II. COMMUNISME OU CAPITALISME ?

  • Le fil à couper le beurre
  • Le mode de production capitaliste
  • La propriété privée
  • Le profit
  • Salariat et industrialisation
  • L'Etat et le capitalisme
  • Récupération
  • Les sauvages
  • Marx & Engels

Pour l'opinion courante le communisme serait d'abord une doctrine élaborée au l9e siècle par les deux célèbres frères siamois Karl Marx et F. Engels qui aurait été perfectionné un peu plus tard par le fondateur de l'état soviétique Lénine. Elle aurait été appliquée avec plus ou moins de bonheur dans un certain nombre de pays : U.R.S.S., Europe de l'est, Chine, Cuba ... C'est dans ce sens que l'on débat pour savoir si oui ou non la Yougoslavie ou l'Algérie ont des régimes socialistes, capitalistes ou mixtes. Que l'on se rassure ou que l'on se ... lamente nous n'allons pas vanter les charmes de ce socialisme ou de ce communisme-là. Nous ne prenons pas des vessies pour des lanternes, là morne grisaille des pays de l'est ou les délires du culte de la personnalité en Chine pour l'avenir radieux de l'humanité.

LE FIL À COUPER LE BEURRE

Le communisme n'a été fondé ni par Marx, ni par Engels, ni par Ramsès II. Il y a peut-être un inventeur génial à l'origine du fil à couper le beurre ou de la poudre à canon. Il n'y en a pas à l'origine du communisme, pas plus d'ailleurs qu'à l'origine du capitalisme. Les mouvements sociaux ne sont pas affaire d'invention.

Engels puis Marx ont rejoint un mouvement déjà bien conscient de son existence. Ils n'ont jamais prétendu avoir inventé ou la chose ou le mot. Sur la société communiste proprement dite, ils n'ont pas écrit beaucoup. Ils ont aidé le mouvement et la théorie communistes à se dégager des brumes de la religion, du rationalisme, de l'utopisme. Ils ont incité les prolétaires à ne pas se reposer sur les plans de tel ou tel réformateur ou les révélations de tel ou tel illuminé.

Les révolutionnaires véritables ne fétichisent pas les idées de Marx et d'Engels. Ils savent qu'elles sont le fruit d'une époque déterminée et qu'elles ont leurs limites. Les deux hommes ont évolué et se sont parfois contredits. On peut dire que tout est chez Marx. Il faut être encore capable de trier !

Nous ne prétendons pas être marxistes. Mais nous dénions à ceux qui se prétendent marxistes le droit de s'approprier et de falsifier la pensée de leurs idoles.

La preuve de l'impuissance des grands hommes face aux mouvements de l'histoire nous est donnée par l'ignoble façon dont l'oeuvre de Marx et d'Engels a été déformée pour être utilisé contre le communisme.

Il y a des individus plus doués et plus clairvoyants que la masse de leurs semblables. La société de classe cultive ces différences. Elles se répercutent au sein du mouvement communiste. Nous ne discutons pas pour savoir si ce sont les chefs ou le peuple qui font l'histoire. Nous disons que l'oeuvre de Marx comme celle de Fourier, de Bordiga ou de n'importe quel porte-parole du communisme dépasse le simple point de vue d'un individu. Le communisme ne nie pas les différences de capacité, ne réduit vas les théoriciens à de simples haut-parleurs des masses, mais par contre il est l'ennemi acharné et permanent du carriérisme et du vedettariat.

Le communisme n'est ni une idéologie ni une doctrine. De même qu'il y a des actes communistes, il y a aussi des paroles, des écrits, une théorie communiste, mais l'action n'est pas l'application de l'idée. La théorie n'est pas le plan préétabli d'un combat ou d'une société qu' il conviendrait de faire passer le mieux possible dans les faits. Le communisme n'est pas un idéal.

Les pays qui se proclament marxiste-léninistes ne sont pas des zones où les principes du communisme auraient été mal appliqués pour telle ou tille raison. Ce sont des pays capitalistes. Leur régime présente des caractères particuliers, mais il est aussi capitaliste que n'importe quel régime libéral. On peut même dire qu'un pays comme la Pologne ou la R.D.A. est beaucoup plus capitaliste que beaucoup de pays peu industrialisés du "monde libre". Dons ces pays "communistes" on combat certaines tendances spontanées du capital. Cela se fait pour le bien du développement général du capitalisme et ce n'est en rien une particularité.

La planification impérative, la propriété collective des moyens de production, l'idéologie prolétarienne n'ont rien de communiste. Ce sont des traits du capitalisme qui ont été accentués ici. Tous les caractères fondamentaux du système et la logique de l'accumulation du capital, rebaptisés "accumulation socialiste", s'y portent bien.

LE MODE DE PRODUCTION CAPITALISTE

Voir dans les régimes marxiste-léninistes du socialisme ou du communisme, c'est méconnaître leur réalité, c'est surtout montrer que l'on ignore ce qu'est le capitalisme.

On le croit fondé sur le pouvoir d'une classe bien particulière la bourgeoisie, sur la propriété privée des moyens de production, sur la recherche frénétique du profit. Aucun de ces aspects n'est fondamental.

La bourgeoisie est l'héritière de l'antique classe des marchands. Après avoir joué longtemps un rôle important mais bien délimité au sein des sociétés à base, agraire la bourgeoisie marchande s'est mise à contrôler au cours du moyen âge européen non plus de simples marchandises mais des instruments de production. Parmi eux la force de travail humains dont elle a fait par le salariat une marchandise. C'est l'origine du capitalisme.

La bourgeoisie est au pouvoir à partir du moment où elle est devenue classe dominante grâce à la puissance des forces économiques et industrielles qui la portent et qui ont rendu caduques les anciennes façons de produire. Mais elle ne peut pas faire autre chose que de se plier aux lois de son économie. Propriétaire du capital, elle doit obéir à cette force qui l'entraîne, la bouscule et parfois la met en faillite.

L'individu ou l'entreprise particulière dispose d'une marge de manoeuvre, mais ne peut naviguer longtemps contre le courant.

Aucune classe dans le passé n'a pu satisfaire tous ses caprices en utilisant la puissance qui semble à sa disposition. Le tyran le plus incontesté ne peut se maintenir que s'il connaît les étroites limites de sa souveraineté réelle. C'est une erreur de vouloir expliquer les phénomènes sociaux en termes de pouvoir. Cela vaut encore moins pour le capitalisme que pour les systèmes qui l'ont précédé.

La classe des gérants du capital s'est vu sans cesse remodelé par l'action même du capital. Qu'y a-t-il de commun entre le riche marchand du moyen âge et le manager moderne ? Leurs motivations et leurs goûts sont différents. C'est nécessaire pour qu'ils puissent remplir la même fonction à deux moments du développement du capital. La classe des seigneurs féodaux se repérait par la tradition et l'hérédité. Cela ne vaut plus pour une bourgeoisie qui ce défait et se refait à travers réussite, mariage et faillite.

Les rapports qui lient l'esclave et le maître, le serf et le seigneur sont des rapports personnels. Au contraire, plus qu'à un patron le prolétaire moderne est lié à un système. Ce qui l'enchaîne ce n'est pas une allégeance personnelle ou une contrainte particulière, c'est directement la nécessité de survivre, la dictature de ses propres besoins. Le prolétaire déraciné de sa glèbe et séparé des moyens de production n'a plus d'autre solution que d'aller se prostituer. Il est libre, merveilleusement libre. Il peut même si cela lui chante refuser d'aller se vendre et crever de faim.

Un bourgeois ou un politicien peut faire faillite au plan personnel. En Russie ou en Chine c'est toute une fraction de la classe bourgeoise internationale qui s'est retrouvée sur le carreau. Elle c'est vue remplacée par une bureaucratie. Que l'on ne voit pas dans cette dernière une classe radicalement différente ! Un banquier ou un capitaine d'industrie "communiste" ressemble plus à son adversaire capitaliste que celui-ci ne ressemble à son "ancêtre" non pas du 15e ou du 16e siècle mais d'il y a 50 ans.

Si le capitalisme, qu'il soit occidental ou oriental, ne peut s'expliquer par le pouvoir de la bourgeoisie, le communisme peut encore moins être ramené au pouvoir du prolétariat. Son avènement signifie l'autodestruction de cette classe.

LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE

La propriété privée des moyens de production n'est pas un trait constitutif du mode de production capitaliste. Elle relève de la sphère juridique. Elle subsiste à l'est avec les lopins de terre des paysans. A l'ouest elle est grignotée par la propriété publique.

L'Etat est souvent propriétaire de grands ensembles industriels. En étant nationalisés, les Postes ou les Chemins de Fer n'ont pas perdu leur nature de capital. F. Engels voyait dans cette tendance de l'État à devenir propriétaire des forces productives une évolution générale qui reléguerait le capitalisme privé dans les magasins d'Antiquités.

Le développement du capitalisme moderne tend à dissocier de plus en plus propriété et gestion des forces productives. Non seulement les dirigeants des compagnies nationalisées mais même ceux des entreprises privées de grande taille ne sont pas propriétaires ou le sont d'une infime partie du capital qu'ils contrôlent. Les besoins en capitaux des géants industriels dépassent de loin ce qu'une fortune personnelle ou familiale pourrait leur fournir. Ces ensembles fonctionnent avec l'argent que leur fournit une masse de petits actionnaires et d'épargnants qui n'ont pratiquement aucun pouvoir.

La situation des pays de l'est doit être comprise en fonction de cette évolution générale du capital.

LE PROFIT

Le capitaliste serait animé par la recherche du profit maximum. L'expression "profit maximum" ne veut pas dire grand-chosee. Un patron peut tenter un jour, une semaine, un mois de faire tourner hommes et machines à fond s'il est sûr de trouver des débouchés. Il risque de se repentir assez vite d'avoir épuisé son capital. L'échec d'une tentative de ce genre a eu lieu en Chine avec le "grand bond en avant". L'importance du profit dégagé et donc la détermination du revenu des actionnaires et des dirigeants, le taux de croissance économique ne sont pas décidées librement par des capitalistes tout-puissants.

Dégager de l'argent, voilà ce qui pousse le capitaliste soit pour s'enrichir soit pour investir. Si il ne le fait pas, par laisser-aller ou par bonté ou parce que ce n'est objectivement plus possible, son entreprise sera éliminée. Pour le bureaucrate cela joue aussi mêlé à la crainte de sanctions administratives. On ne proclame d'ailleurs ni en U.R.S.S. ni en Chine que le profit a disparu. Au contraire on cherche le profit, pour le bien du peuple, pour construire le communisme. Il serait devenu un instrument de mesure économique au service de la planification !

A l'est comme à l'ouest et comme l'a montré Marx on ne peut expliquer le développement du capitalisme par l'appât du gain. C'est l'inverse qui est vrai. Les notions de profit ou de rente foncière n'expliquent pas la marche du système. Ce sont les catégories à travers lesquelles les classes dirigeantes prennent conscience des nécessités économiques et sont poussées à agir.

Contrairement aux humanistes de gôche qui voient ou affectent de voir dans le profit leur grand ennemi, les révolutionnaires ne se laissent pas illusionner. Nous ne reprochons pas au système son immoralité. Nous ne nous accrochons pas à des secteurs archaïques qui ne sont plus rentables.

Le profit disparaîtra avec la révolution. Et sans délai ! Jusque-là il joue dans une certaine mesure un rôle de protection des travailleurs. Il impose des limites à là tyrannie patronale. Il l'oblige à ménager le matériel humain. S'il était possible d'abolir le profit en conservant le capital, l'entreprise moyenne tournerait au camp de concentration et la société glisserait dans la barbarie la plus totale. Le nazisme n'est pas un accident de l'histoire. Il est le déchaînement de forces qui continuent de se tapir dans les bas-fonds de la civilisation du capital. Le profit fixe des bornes à l'autoritarisme, la volonté de domination et d'écrasement qu'engendre un système inhumain.

Que l'on s'en prenne au profit ! Mais alors que l'on s'en prenne aussi à l'ensemble d'une société où c'est la vie même de l'homme qui est devenue marchandise.

SALARIAT ET INDUSTRIALISATION

Le mode de production capitaliste est bâti sur deux piliers solidaires qui le distinguent des modes de production qui l'ont précédé.

Le premier de ces piliers c'est le salariat. Des hommes avaient déjà loué à d'autres hommes leurs charmes, leur attachement politiques, leur capacité militaire et même leur force de travail. Mais tout cela était resté marginal dans des ensembles sociaux composés de petits groupes entre lesquels monnaie et marchandises ne circulaient pas beaucoup. Le développement du capitalisme signifie l'introduction véritable du salariat dans la sphère de la production. Il en fera la forme générale d'exploitation.

Le deuxième pilier c'est l'industrialisation ou plus largement une mutation dans les rapports de l'homme à la nature et à sa propre activité. L'homme ne se contente plus de gratter le sol pour en tirer sa subsistance. Dorénavant il va entreprendre de transformer systématiquement et à une échelle croissant la nature. Le capitalisme c'est une révolution ininterrompue dans les méthodes productives. C'est le progrès de la science et de la raison face au fatalisme et à l'obscurantisme. C'est le mouvement qui succède à l'immobilisme des sociétés agraires.

Le communisme ne fera pas machine arrière. La fin du salariat ne signifie pas le retour à l'esclavage ou au servage. Le dépassement du procès de "conquête de la nature" et de l'organisation industrielle du travail ne veut pas dire retour à l'immobilité passée. Le communisme abandonnera le caractère agressif et désordonné de l'action du capital. Son but n'est pas de détruire, de morceler et de soumettre mais d'agir globalement sur le monde pour l'humaniser, le rendre habitable. Au-delà de l'industrie il réconciliera l'utile et l'agréable. Il retrouvera à un niveau supérieur la familiarité perdue qui unissait l'être humain à son environnement.

Le capitalisme n'a pas commencé à s'épanouir un beau matin parce que soudain on se serait rendu compte de l'efficacité qu'il recélait. Ce n'est pas une victoire de l'entendement. Il s'est imposé sur le tas à travers des bouleversements sociaux souvent cruels et irrationnels. Il a suscité des réactions de révolte. Il a dû reculer avant de mieux repartir. Ses salariés il les a pêché dans une masse de paysans qu'il avait préalablement chassés de chez eux et réduits à l'état de mendiants.

Le mouvement du capital a un double aspect. D'une part il est développement des forces productives humaines et matérielles, donc de valeur d'usage, d'utilité. D'autre part il est développement de la valeur marchande. La marchandise présentait déjà ce double visage. Le capital reste marchandise mais il a, de plus, valeur tendance à s'augmenter sans cesse.

Le capital a longtemps percé sous la marchandise. Le marchand peut grâce à son ingéniosité ou à sa roublardise posséder et faire tourner une masse grandissants de produits. L'usurier de même en ne s'embarrassant que d'argent. Mais ces formes primitives du capital ne peuvent s'étendre indéfiniment. Le valeur reste parasitaire et ne crée pas les moyens nécessaires à son accumulation. Ce n'est qu'en s'emparant et en fixant une valeur sans cesse croissante dans les moyens de production que le capital a pu réellement s'épanouir. Vampire oui se nourrit de valeur, c'est-à-dire de travail humain, il doit pour arriver à ses fins développer lé machinisme et la productivité. Pour lui ce ne sont que des moyens. Pour nous c'est finalement ce qui importe. Cette évolution technique prend souvent des formes désagréables : chômage, armes meurtrières, saccage de la nature, mais elle permettra de révolutionner l'activité humaine et de sortir de l'ère barbare des sociétés de classe.

Le communisme n'abat pas le capital pour retrouver la marchandise originale. L'échange marchand est un lien et un progrès. Mais c'est un lien entre des parties antagonistes. Il disparaîtra sans que l'on en revienne au troc, cette forme primitive de l'échange. L'humanité ne sera plus divisé en groupes opposés et en entreprises. Elle s'organisera pour aménager et utiliser son patrimoine commun, pour distribuer corvées et jouissances. La logique du partage remplacera la logique de l'échange :

L'argent disparaîtra. Il n'est pas un instrument de mesure neutre. C'est la marchandise dans laquelle se reflètent toutes les autres marchandises.

L'or, l'argent, les diamants n'auront plus d'autre valeur que celle qui naît de leur utilité propre. Suivant le souhait de Lénine l'on pourra réserver l'or à la construction des pissotières.

L'ETAT ET LE CAPITALISME

Dans le camp "communiste" l'argent continue tranquillement à circuler. La division par les frontières et à l'intérieur de ces frontières, la division de l'économie en entreprises, se porte à merveille.

Le rôle que joue l'État dans l'économie et qui est fondé juridiquement sur la propriété publique des entreprises s'explique par la nature du capitalisme.

L'État et la marchandise sont de vieux amis. Les marchands veulent que la société soit unifiée, que les voleurs soient pourchassés et que la monnaie soit garantie. L'État et la bureaucratie trouvent avec la circulation des biens et des personnes le moyen de se détacher du monde agricole.

L'État moderne, royal ou républicain, est le produit de la dissolution des structures féodales par le capital. Il s'oppose aux intérêts particuliers en tant que représentant de l'intérêt général. Il est nécessaire au capital parce qu'il l'aide à dépasser les contradictions et les oppositions que celui-ci ne peut s'empêcher de provoquer. La monarchie et la bourgeoisie, malgré des moments difficiles, se sont soutenus face à la féodalité. L'unification politique était nécessaire au développement des entreprises commerciales et industrielles. La fortune et la richesse permettaient le renforcement et l'autonomie du pouvoir d'Etat. Souvent même l'Etat est intervenu directement pour fournir ou rassembler les capitaux nécessaires à telle ou telle branche d'industrie. Il a mis au point l'arsenal juridique nécessaire au développement d'une main d'oeuvre libre. Il a liquidé les vieilles coutumes et les vieilles entraves. Lorsque la bourgeoisie apparaît directement sur la scène politique il y a déjà longtemps qu'elle est une force dominante et que l'Etat monarchique était passé à son service.

En Russie et au Japon, pays qui furent jetés sur la scène international en état de sous-industrialisation, c'est l'État lui-même qui provoqua et organisa le développement du capitalisme. Il le fit pour préserver les bases de sa propre puissance, pour se fournir en armes modernes. En mettant le capital à son service il ne faisait que s'incliner devant sa supériorité. La monarchie engageait un processus qui finalement allait la détruire. Les conditions nécessaires à cette greffe n'existaient pas partout. Si elle réussit au Japon ce fut parce que l'état y était déjà autonome et le commerce développé. La Chine échoua momentanément, ainsi que la plupart des autres pays précapitalistes.

L'Etat doit souvent intervenir pour corriger un capital qui aime à se montrer capricieux et préfère s'installer là plutôt qu'ailleurs. Les régime bureaucratiques ne font qu'accentuer cette tendance à un point qu'elle n'avait jamais atteint.

Le capitalisme oriental permet-il une croissance plus harmonieuse ou plus rationnelle que le capitalisme occidental ? La question n'a pas grand sens. Si il est advenu c'est grâce aux défaillances du capitalisme traditionnel. Si ce capitalisme traditionnel est réimporté aujourd'hui à Moscou ou à Leningrad c'est à cause des défaillances du capitalisme oriental.

Là où la bourgeoisie s'était lentement développée par l'économie la bureaucratie conquit le pouvoir politique en s'appuyant sur des forces sociales comme le prolétariat ou la paysannerie. Elle n'en est pas moins le fruit de la désagrégation de la société traditionnelle par le capital international. La bureaucratie n'avait pas le choix. Elle ne pouvait pas comme elle le prétendait instaurer le socialisme ou le communisme. Elle ne pouvez pas non plus restaurer et fertiliser le capitalisme traditionnel. Cela à cause de ses appuis sociaux et de ses besoins en capitaux. Empiriquement elle trouva une voie conforme à sa nature et qui lui permit d'accumuler aux dépens de la paysannerie, du capital industriel.

La bureaucratie est une force unifiante qui a permis le transfert autoritaire de richesse d'un secteur à l'autre de la société. Elle modifie le développement spontané du capital au profit de ses objectifs de puissance et de permanence. Mais le capital n'est pas une force neutre que l'on peut utiliser dans n'importe quel sens. La bureaucratie planifie, domine. Mais que planifie-t-elle, que domine-t-elle ? L'accumulation du capital. Elle réduit le marché libre, elle combat un marché noir sans cesse renaissant. Ce n'est pas la preuve de son anticapitalisme mais le signe que la base naturelle du capital est bien vivace. Que dirait-on du jardinier qui parce qu'il doit arracher les mauvaises herbes prétendrait que les plantes qu'il cultive ne sont plus des végétaux !

Les Etats occidentaux eux-mêmes ont été amenés à intervenir de plus en plus directement dans le jeu des forces économiques. Ils doivent avoir une politique sociale et s'occuper de planification. La bureaucratisation n'est pas un phénomène propre aux pays de l'est. Il concerne aussi bien les Etats démocratiques et fascistes que les grandes firmes privées. Elle est le produit et le triste remède a l'atomisation croissante de la société.

Dans un sens il est inexact de parler pour les pays de l'est de capitalisme bureaucratique ou de capitalisme d'État. Tous les capitalismes modernes sont bureaucratiques et étatiques.

L'Etat, propriétaire de l'ensemble de l'industrie, n'en a pas pour autant le contrôle absolu. Pouvoir réel et pouvoir juridique ne sont pas la même chose.

Avec le capitalisme libéral l'État peut en s'appuyant sur des forces populaires, militaires ou même bourgeoises s'attaquer à telle ou telle grande entreprise; il est le pouvoir. Cela ne lui permet cependant pas de s'élever au-dessus des lois économiques. On veut se dresser contre la puissance des monopoles mais l'on ne peut revenir aux petites entreprises du passé.

Avec le capitalisme oriental l'État bureaucratique quelle que soit sa soif de contrôle ne peut abolir les catégories marchandes et la concurrence entre les entreprises. Tant qu'il y aura des entreprises distinctes elles se feront concurrence même si les prix ne sont par libres.

Ce manque d'unité n'est pas limité à la sphère économique. La bureaucratie elle-même est sans cesse divisée par des luttes de fraction et des conflits de personnes. A défaut d'unité l'image de l'unité doit être maintenue. L'ennemi n'est pas la concurrent au main du parti mais l'anti-parti.

Ce que la bureaucratie fait gagner en efficacité à l'économie, elle le fait reperdre. Le mensonge, la perte de la réalité imbibe le corps social. La lutte cachée remplace la concurrence ouverte.

Capable d'organiser le démarrage économique dans des conditions ingrates la bureaucratie est à la remorque de l'avance technologique des sociétés libérales.

RÉCUPÉRATION

Quel intérêt des capitalistes ont-ils à se faire appeler communistes ? C'est une règle générale que les capitalistes n'aiment pas être appelés capitalistes !

Cette appellation a une origine précise liée à la révolution russe. Se dire communiste c'est prétendre que l'on se dévoua pour la classe ouvrière plutôt que de reconnaître qu'on l'exploite. C'est pouvoir donner au développement inhumain du système un sens humain : la construction du communisme. Ailleurs on suspend devant les masses des projets de "nouvelle frontière" ou de "nouvelle société" !

Lorsque le capital en proclame communiste, lorsqu'il récupère la pensée de Marx pour la distiller dans ses universités aux intellectuels ou pour en abrutir les ouvriers dans ses usines il ne fait qua singer un mouvement que par ailleurs il accomplit réellement. Le capital ne crée pas, il récupère. Il se nourrit de la passion et de l'initiative des prolétaires, c'est-à-dire qu'il se nourrit du communisme.

On ne peut comprendre grand chose au communisme si l'on n'a pas compris la nature capitaliste des pays de l'est. Le combat révolutionnaire ne peut pas ménager le stalinisme qui est un système et une idéologie fondamentalement anticommuniste. Le fait qu'il ait des bastions au sein même de la classe ouvrière ne doit pas nous attendrir mais au contraire nous inciter à ne pas faire de compromis.

L'on a rendu un fier service au stalinisme en ne le critiquant pas en tant que système capitaliste. Des révolutionnaires, notamment anarchistes, l'ont reconnu comme communiste à condition de pouvoir accoler à ce terme celui d'autoritaire. L'autorité, voilà le monstre ! En guise d'explication on va chercher dans le caractère de Karl Marx.

Les trotskistes ont développé à la suite de Trotsky, l'adversaire malheureux de Staline, des interprétations aussi compliquées qu'imbéciles. Base socialiste et superstructure capitaliste cohabiteraient tout au moins en U.R.S.S. Pour les autres pays on continue à en discuter. De toute façon ils n'ont jamais rien compris au communisme. Pas plus que Trotsky qui voyait dans le travail obligatoire un principe communiste. Ils ne sont pas révolutionnaires, Trotsky, lui, l'était. Mais il n'a jamais été autre chose qu'un révolutionnaire bourgeois et un bureaucrate malheureux. Laissons tout ce petit monde à son intellectualisme, ses querelles byzantines et à son ridicule fétichisme de l'organisation.

Les maoïstes, ces "mystico-staliniens", ramènent toute l'affaire à une question de politique et de morale. L'U.R.S.S. est devenu social-impérialiste et peut-être bien capitaliste. Heureusement la Chine et l'Albanie sous la sage direction prolétarienne de Mao, de H. Hodja et de Bibi Fricotin n'ont pas été contaminés. Le communisme c'est le profit et la politique mis au service du peuple !

A mesure que les idées communistes vont se répandre, y compris en U.R.S.S. et en Chine, pour satisfaire aux besoins d'un prolétariat redevenant révolutionnaire ces sectes vont paraître de plus en plus farfelues ! Elles essaient de tenir sur la scène de la politique le rôle de la révolution. Elles sont à l'avant-garde, mais à l'avant-garde du capital. Car en période de révolution c'est l'ensemble des guignols de la politique qui tentera de prendre des airs révolutionnaires pour ne pas être jeté à bas. C'est devenu une tradition que la révolution soit combattue au nom de la révolution. Les militants staliniens bu gauchistes qui se sont fourvoyés rejoindront le véritable parti communiste.

Certains, moins aveugles, ont reconnu dans le capitalisme oriental la division en classes sociales. Malheureusement ils ont cru aussi y reconnaître un mode de production nouveau et supérieur. C'était faire bien d'honneur à Staline et consorts.

LES SAUVAGES

Nous ne voyons rien de communiste dans les régimes qui se prétendent tels. Par contre nous le voyons là où l'on n'a pas l'habitude de le voir. Les sociétés primitives qui, refoulées par la "civilisation", subsistent dans des contrées arides ou difficiles d'accès sont communistes, que leurs membres vivent de la chasse et de la cueillette ou d'une agriculture peu évoluée. Ainsi l'U.R.S.S. n'est pas communiste mais les Etats Unis d'Amérique l'étaient il y a encore quelques siècles !

Nous n'entendons pas ramener l'humanité à ce stade. Ce serait de toute façon fort difficile car cet état de choses exige une très faible densité de population. Il importe cependant de réhabiliter l'humanité primitive et préhistorique.

L'indien était plus heureux et dans un certain sens plus civilisé que le moderne citoyen américain. L'homme des cavernes ne mourait pas de faim. C'est aujourd'hui que des centaines de millions d'humains ont le ventre vide. Le primitif, comme l'a montré M. Salhins, vit dans l'abondance. Il est riche non parce qu'il a accumulé des richesses mais parce qu'il vit comme il l'entend. Sa pauvreté apparente, son dénuement a apitoyé le voyageur occidental qui parfois paradoxalement s'étonne de sa bonne santé avant de lui transmettre sa vérole. Les primitifs ne possèdent pratiquement rien. Mais pour ceux qui vivent de la chasse et de la cueillette cela n'est pas une gêne. Leur dénuement leur permet de se mouvoir librement et de profiter des richesses de la nature. Leur sécurité ne repose pas sur l'épargne mais sur leur connaissance et leur capacité à utiliser ce que leur milieu d'existence leur donne. Ils passent moins de temps qu'un civilisé pour gagner leur subsistance. Leur activité "productive" n'a rien à voir avec l'ennui que secrète le bureau ou l'usine. Heureux Yir-Yiron d'Australie qui confondent dans un même mot le travail et le jeu !

Du communisme passé au communisme à venir il y a une profonde différence. D'un côté il y a une société qui utilise son environnement on sachant s'y adapter, de l'autre côté il y a une société fondée sur la transformation continue et en profondeur de cet environnement. Entre ces deux communismes la période des sociétés de classe paraîtra avec un peu de recul une étape douloureuse mais relativement courte de l'histoire humaine. Maigre consolation pour ceux qui continuent d'y être immergés !

MARX ET ENGELS

Marx et Engels se font appliqués à comprendre le développement de la société capitaliste. Ils se sont peu préoccupée de la description du monde futur lui avait accaparé les efforts des socialistes utopiques. Mais on ne peut dissocier complètement critique du capitalisme et affirmation du communisme. La compréhension réelle du rôle historique de la monnaie ou de l'état ne peut se faire que du point de vue de leur disparition.

Si Marx et Engels n'ont par plus parlé de la société communiste c'est sans doute paradoxalement que cette société était plus difficile à saisir puisque moins à portée de main mais aussi parce qu'elle était plus présente dans les esprits révolutionnaires. Lorsqu'il parlaient d'abolition du salariat dans le "Manifeste Communiste" ils étaient compris par ceux dont ils se faisaient l'écho. Aujourd'hui il est plus difficile de se représenter un monde débarrassé de l'état et de la marchandise parce qu'ils sont devenue omniprésents. Mais devenu omniprésents ils ont aussi perdu leur nécessité historique. L'effort théorique doit prendre le relai de le conscience spontanée avant de devenir inutile parce que ce qu'il affirme sera devenu banalité.

Marx et Engels ont peut-être moins bien saisi qu'un Fourier la nature du communisme en tant que libération et harmonisation des passions. Ce dernier toutefois n'arrive pas à ce dégager du salariat voulant entre autre que les médecins ne soient plus rémunérés suivant les maladies de leurs clients mais selon l'état de santé de la communauté.

Marx et Engels ont été cependant suffisamment nets pour qu'on ne puisse pas leur mettre sur le dos le poids de la bureaucratie et des finances des pays "communistes". Selon Marx l'argent disparaît sans délai avec l'avènement du communisme et les producteurs cessent d'échanger leurs produits. Engels parle de disparition de la production marchande à l'avènement du socialisme. Que l'on ne nous parle pas d'erreur de jeunesse, comme a pris l'habitude de le faire toute une racaille marxologique. Nous nous référons à la "Critique du Programme de Gotha" et à la "Anti-Dühring".

Les staliniens de toute sorte parleront de scories dans l'oeuvre des maîtres. Ils chanteront un couplet pour faire savoir qu'ils sont marxistes et non pas dogmatiques. Pour eux l'argent, le capital, l'état ont perdu leur caractère bourgeois pour devenir prolétariens. Les plus audacieux vont jusqu'à dire qu'une fois le communisme construit on pourra peut-être se débarrasser de tout ce bric-à-brac. Pour les autres le communisme sera simplement une société dont le niveau de vie sera très, très élevé. De toute façon le communisme se perd dans les nuages et l'échelle qui y mène est composée d'une multitude de barraux qui forment autant d'étapes de transition.

Il est exact que l'on construit le communisme dans les pays de l'est. On ne le construit ni mieux ni plus consciemment qu'ailleurs. Une révolution sera nécessaire pour l'accoucher.

Cette conception de la construction du communisme au moyen d'instruments économiques et sociaux est typiquement bourgeoise. Elle se représente la chose comme la production d'un objet manufacturé. Elle voit la société comme une vaste usine. Elle croit que le tout fonctionne comme la partie. Il s'agit de volonté, de projet, de ligne politique...

L'erreur que ces staliniens font sur la cheminement se répercute sur le résultat. Il ne s'agit pas de faire disparaître l'économie d'entreprise mais de faire de l'économie une seule entreprise. Le gâchis que représente l'existence d'une police disparaîtra. Le renforcement du sens moral par l'éducation "communiste" suffira à faire disparaître le vol et la subversion !

La meilleure solution est certainement celle proposée par Joseph Staline lui-même. A défaut de pouvoir changer les choses changeons les mots. Comment voulez-vous, nous explique le petit père des peuples, que ceux qui touchent un salaire soient des salariés puisqu'ils sont à travers l'Etat propriétaires des entreprises qui les emploient. On ne peut être soi-même ton propre salarié ! Le salariat est donc aboli en Union Soviétique. Si vous avez l'impression de toucher une paye, si vous avez peur d'être licencié c'est que vous êtes en pleine illusion. Heureusement que notre patrie socialiste dispose de centres de rééducation et d'hôpitaux psychiatriques !

Staline concède que la production marchande et la division en entreprises subsistent mais il ne peut s'agir da capitalisme car ce qui fait le capitalisme c'est que les moyens de production sont détenus par des particuliers. Tout se ramène en fait à des questions de définition juridique. Il suffit que l'état se proclame communiste pour qu'il le soit.

Depuis que Staline nous a expliqué tout ça dans "Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S." ceux qui se sont penchés sur la question n'ont rien apporté de nouveau.

On peut voir dans Mao Tsé Toung ou Fidel Castro de courageux partisans, des hommes politiques habiles. On peut considérer que les Chinois mangent plus à leur faim que les Indiens et ont moins de libertés politiques que les Japonais. Seulement tout cela relève du capitalisme.