LA LANGUE BRETONNE ET LA RÉVOLUTION

Le mouvement bretonnantiste .

1. Les raisons réelles du recul du breton .

2. Les raisons alléguées du recul du breton . . . . .

3. Les motifs allégués du combat pour la langue . . .

4. Les motifs réels du combat pour la langue . . .

5. Les raisons réelles du mouvement bretonnantiste .

Organisation révolutionnaire et politique linguistique

L'organisation révolutionnaire de la poussée bretonne

La politique linguistique de l'organisation révolutionnaire bretonne

Notes .

Entre le Général DE GAULLE ânonnant des vers bretons dans un discours politique et Yves GOURVÈS incarcéré à la Santé pour terrorisme refusant de prononcer un mot de français devant le Juge d'Instruction.

Entre les Comtes qui baisent, en langue bretonne, la main des Baronnes et les grévistes du Joint Français qui plantent le drapeau aux hermines sur leur usine…

Entre le Curé traditionaliste qui milite en breton contre Vatican II et le Parti Communiste Français qui organise des Festoù-noz où le jeune abbé prolétarien ira trinquer au rouge et chanter l'Internationale en breton…

Entre une milice nationale bretonne sous uniforme allemand en 1944 et les agitateurs marxistes-léninistes membres du Front de libération de la Bretagne…

Entre les économistes supputant les chances de la Bretagne dans un horizon mondial et les publics acclamant les chanteurs autonomistes…

Entre les milliers de lycéens inscrits aux cours de breton et les syndicalistes paysans qui parlent de révolution bretonne en occupant les laiteries, il y a quelque chose de commun, facile à désigner et difficile à définir.

Facile à désigner, car c'est partout la même référence à un fait breton. Difficile à définir, car ce fait breton reste mal délimité, et la référence qui lui est faite est variable et ambiguë.

Le texte présenté ici, adapté d'études publiées en langue bretonne, a pour premier propos de contribuer à la compréhension de ce « quelque chose" qui se passe en Bretagne.

Ce "quelque chose", ensemble de faits apparaissant à tous les niveaux de la réalité sociale, est suffisamment univoque pour mériter une appellation globale; celle que nous lui donnons, « poussée bretonne », se veut assez imprécise pour n'exclure aucun de ces faits, ni pour ne préjuger de leur déterminisme et encore moins des buts inscrits en certains d'entre eux.

Comprendre la « poussée bretonne » consistera d'abord à faire un inventaire des façons dont elle se manifeste, des actions et des œuvres, des sentiments, des opinions, des volontés où elle s'actualise.

Comment fonder une opinion sur cette « poussée bretonne » qui en donne une explication au moins partielle ? Comment dévoiler son déterminisme? Comment situer les combats divers où elle s'affirme par rapport aux autres luttes et en premier lieu à la lutte de classe ?

Il est un travail d'approche qui consiste à passer en revue les opinions en cours et les différentes explications données par ceux-là même qui participent à la « poussée bretonne », et d'en éprouver la validité.

Une telle voie d'approche, si elle contraint à un long détour, a le grand avantage de fournir, en plus d'une clarté pour la connaissance, des repères pour l'action.

Car si nous désirons en savoir davantage, ce n'est pas en tant que spectateurs ou étudiants désintéressés, mais comme "agents" de cette « poussée bretonne » et comme participants au travail engagé à même les évènements où elle se concrétise.

Comme matière de recherche nous prenons ici un des secteurs les plus denses de la poussée bretonne, l'ensemble des actions, des travaux, des organisations, des revendications, etc. qui ont pour but la défense ou la promotion de la langue bretonne.

Nous désignerons ce secteur par les termes mouvement culturel, mouvement linguistique, mouvement bretonnantiste ou, plus simplement du nom même que lui donnent ses militants, « combat culturel breton ».

LE MOUVEMENT BRETONNANTISTE

" De tout cœur avec vous dans l'amour de notre langue". C'est la traduction de la formule terminant nombre de correspondances en breton.

Une telle expression surprenante pour qui n'est pas prévenu marque en fait des sentiments profonds et authentiques, et bien souvent témoigne de l'engagement de toute une vie à la cause de la langue bretonne.

Ces sentiments, cet engagement doivent être compris a partir de trois éléments : le déclin du breton, l'amour passionné que certains lui portent, leur impuissance à enrayer son déclin. Le mouvement bretonnantiste est un phénomène apparu au 19 è siècle et prenant toute son ampleur depuis la deuxième guerre mondiale.

Se traduisant bien souvent par des faits individuels et strictement « culturels », il tend à dépasser ces deux niveaux vers un niveau organisé d'une part, un niveau politique d'autre part.

Nous considérerons tour à tour les deux éléments du mouvement bretonnantiste qui sont le recul de la langue et les combats menés pour arrêter ce recul.

Différentes analyses sont nécessaires à la compréhension des faits. Nous serons conduits à examiner successivement :

1. Les raisons réelles du recul du breton,

2. Les raisons alléguées de ce recul,

3. Les motifs allégués du combat pour la langue,

4. Les motifs réels de ce combat,

5. Les raisons réelles du mouvement bretonnantiste.

1. Les raisons réelles du recul du breton.

c'est au 9ème siècle que la langue bretonne connaît la plus grande expansion territoriale et sociale. Elle est à cette époque la langue des populations qui vivent à l'ouest d'une ligne allant de Dol à Donges.

C'est la langue du peuple comme des milieux dirigeants. C'est une langue de culture, parfaitement adaptée à tous les aspects de la vie économique, sociale et intellectuelle de l'époque.

Avec l'apparition de la féodalité au 11 è siècle, le breton recule sur trois plans:

a) les hautes classes et les milieux dirigeants adoptent le français.

b) dans le peuple, la limite orientale du breton recule progressivement jusqu'à une ligne qui va de Saint-Brieuc à Guérande, il est remplace par le gallo (ensemble de parlers romans) dans les zones perdues .

c) la langue s'appauvrit et se morcelle en dialectes plus ou moins différenciés.

Un nouveau recul se produit à l'époque moderne.

Parallèlement à la destruction du système social traditionnel fondé sur la paroisse, les parlers bretons tendent à disparaître au profit du français, les parlers gallos connaissent le même sort avec toutefois un certain retard du a la plus grande persistance du système social traditionnel dans la partie orientale de la Bretagne.

Ces reculs successifs du breton se sont produits lors des transformations de la société en Bretagne (passage au féodalisme, passage à la société industrielle).

Dans ces transformations sociales, les classes dirigeantes bretonnes perdaient progressivement leur pouvoir au profit des classes dirigeantes françaises.

L'effondrement du pouvoir politique breton (1532), la disparition des dernières institutions politiques bretonnes (1789), l'altération et la disparition des structures propres à la société bretonne, que ces structures soient économiques, politiques ou socioculturelles, sont divers aspects d'une même crise interne désignée par le terme de désarticulation sociale.

Une société est désarticulée quand l'histoire qu'elle concourt a produire par son travail lui est étrangère, en fait quand un secteur constituant de son existence devient solidaire d'une histoire étrangère tout en restant intégré dans cette société.

Ce secteur peut être politico culturel : les classes dirigeantes féodales bretonnes (dont la puissance historique était fruit du travail de la société bretonne), en s'assimilant aux classes dirigeantes françaises et en leur laissant capter cette puissance, restaient néanmoins dirigeantes en Bretagne : elles inauguraient par là ce détournement du flux de production d'histoire qui constitue le mécanisme premier de la désarticulation.

Le secteur peut être économique: l'industrialisation décupla la puissance historique des sociétés qui la réalisaient, leur permettant de capter le fruit du travail, le travail et enfin les travailleurs des sociétés non industrialisées, entraînant et accélérant leur dépérissement historique.

Mais quel que soit le point de départ, la désarticulation affecte toujours l'ensemble de la vie de la société globale qu'elle atteint: le détournement politico culturel des classes dirigeantes féodales bretonnes fit le lit du détournement économique de l'époque moderne et contemporaine, et celui-ci à son tour conditionna la débâcle généralisée à laquelle nous assistons.

Dans une perspective dynamique, la désarticulation consiste en une rupture de la dialectique sociale, laquelle est toujours une dialectique interne : dans une société désarticulée, le travail n'a plus pour fruit une histoire propre à cette société, c'est-à-dire la maintenance active d'elle-même; ce fruit est dédoublé, coupé en deux parties étrangères l'une à l'autre:

a) la maintenance passive de la société, marquée de ce fait par un dépérissement global .

b) la participation passive également, captée, détournée, à une histoire étrangère à la société. Cette coupure entre la maintenance passive de soi-même et la participation passive à un flux de production historique étranger implique l'abolition de la dialectique sociale : le travail ne se répercute pas directement et positivement dans la production d'une histoire qui soit l'histoire des travailleurs, mais, capte et détourne, il n'est plus que matière passive dans la production d'une histoire qui n'est pas la leur.

La déchéance de la langue bretonne est un aspect du dépérissement global de la vie sociale en Bretagne : la maintenance passive dont elle a été l'objet pendant des siècles étant elle-même un élément de la désarticulation qui frappe la société bretonne.

Notons ici le rapport dialectique existant entre la langue et le pouvoir politique. Certes, la persistance du pouvoir d'Etat breton jusqu'en 1532, de l'autonomie jusqu'en 1789 n'enraya pas le déclin du breton.

Cependant le pouvoir d'Etat national, même détenu par une classe dirigeante francisée, ménageait toujours la possibilité de l'avènement d'une nouvelle classe dirigeante de langue bretonne, - l'histoire d'Europe nous fournit de nombreux exemples de tels renversements et, de la renaissance de langues nationales.

L'anéantissement du pouvoir d'Etat breton précipita toutes les classes de la société bretonne dans le champ de forces de la société étatique française, et les classes dominées bretonnes, « deux fois opprimées » pour reprendre l'expression de LÉNINE, voyaient s'éloigner leur chance de devenir classes dominantes bretonnes à leur tour.

Pour ce qui est de l'influence de l'Etat sur la langue, il faut remarquer qu'elle est toujours limitée : il était en le pouvoir de l'Etat breton ou de l'Etat français de ralentir ou d'accélérer le processus de déclin du breton, mais non pas de le déclencher ni de le stopper, encore moins de le renverser. Le déterminisme de ce déclin, nous l'avons vu, se situe plus profondément que le palier étatique (2). Nous y reviendrons plus loin.

Les forces que nous venons de mentionner comme agissant sur Le destin du breton sont toutes des forces contraires. La survie du breton jusqu'au 20ème siècle est Le fait d'une maintenance passive.

Comment rendre compte des forces énormes qui sont celles de cette maintenance passive, Enormes quand on les compare à L'importance des forces de destruction qui s'opposaient à elles? Nous nous trouvons là devant un terrain à peine défriché, celui des faits nationalitaires. Alors que la dynamique des classes sociales fait L'objet d'études innombrables depuis un siècle, la dynamique nationalitaire est devenue matière de recherches dans ces dernières années seulement.

Là se situe une grave impasse théorique des mouvements révolutionnaires. Comment saisir dans un champ unique de praxis Les forces de classes et Les forces nationalitaires? C'est une des tâches Les plus importantes du moment.

2.Les raisons alléguées du recul du breton.

Une première constatation est à faire : pas plus aujourd'hui que dans le passé, les "combattants du breton" n'ont cherché les causes réelles de son déclin à la lumière des faits historiques et sociologiques.

Or ce n'est pas la science qui fait défaut, loin de là. Les explications qu'ils donnent du destin contraire de la langue bretonne sont si différentes, si partielles, qu'on doit se demander jusqu'à quel point ils se soucient d'en connaître les raisons réelles, et pourquoi il arrive en fait un moment dans leur pensée où le désir d'ignorer ces raisons devient plus fort que celui de les connaître. Ne veulent-ils pas ignorer les réalités qui enlèveraient tout fondement à leur "combat" ?

A y regarder de plus près, on découvre qu'ils n'organisent pas leur action à partir de la connaissance de causes réelles, mais que les motifs qu'ils donnent à leur "combat pour la langue" - et par suite les causes qu'ils attribuent à son déclin - sont élaborés après coup à partir de ce "combat" lui-même pour lui servir de justification.

Meven MORDIERN (3) par exemple, quand il emplit plusieurs volumes pour convaincre ses lecteurs de la supériorité du breton, en laquelle il voit une raison et un droit à ses progrès futurs, ne voit d'autres responsables à ses reculs passés que l'incurie et la défection de nos ancêtres.

A aucun moment il ne semble lui venir à l'esprit qu'il est des choses plus essentielles que les Bretons firent passer avant leur langue - ne serait-ce que leur survie économique à l'époque précisément où vivait Meven MORDIERN.

Il fait de la langue le bien suprême et fonde sur elle sa conception du monde: sa vision de l'histoire, sa sociologie, sa morale. Celle-ci ne reconnaît qu'une finalité : refaire du breton une grande langue.

Le breton avait reculé parce que les élites du pays avaient perdu leur éthique (comprise dans le sens bretonnantiste de Meven MORDIERN); cette éthique, les élites d'aujourd'hui doivent la retrouver pour que le breton retrouve sa place dans le monde.

D'où la stratégie qu'il proposait: le breton doit devenir l'affaire des gens instruits, détenteurs du prestige social, et de la même façon que le peuple avait suivi les gens instruits dans la francisation il les suivra encore dans la rebretonnisation.

Pourquoi les gens instruits reviendront-ils au breton? Pourquoi prirent-ils la voie de la francisation? MORDIERN ne voit pas qu'ils se francisèrent, non pas en tant que "gens instruits" mais en tant que membres d'une société passant sous la domination d'une autre, et que les forces en présence avaient peu à voir avec le niveau d'instruction ou avec la langue.

Il n'y aperçoit qu'un problème d'éthique, le devoir des élites étant de faire en sorte que le peuple retourne à sa langue après des siècles de défaillance (4).

On ne peut se passer d'établir la relation entre l'idéologie de Meven MORDIERN et sa situation réelle dans les rapports de production : à aucun moment de son existence, il ne prit part à la production économique, car il pu vivre des rentes de sa famille.

Sa production fut considérable, mais demeura une production individuelle : il ne connut de rapports sociaux, même avec ses collaborateurs (VALLÉE, ERNAULT, HEMON), qu'au niveau des produits (les résultats de ses travaux scientifiques tous bénévoles), et jamais par la dialectique entre Les producteurs; à aucun moment il n'entra dans un système social de production.

L'indépendance dont il jouissait à l'égard des contraintes de la production sociale aide à comprendre comment il bâtit son monde individuel au terme d'une dialectique idéaliste entre le passé et le présent celtiques qu'il constituait tous deux par la voie de l'érudition; comment la passion de sa vie fut de recréer le monde celtique en tant que monde celtophone, et comment la production de toute sa vie fut soumise à cette passion.

Enfin, comment son explication de la décadence de la langue renseigne davantage sur ses motifs personnels de travailler à la résurrection de celle-ci que sur les causes réelles de sa décadence.

Meven MORDIERN préconisait une ligne d'action que nous appellerons la stratégie des élites : le devoir des élites est de revenir au breton et en même temps d'en faire une langue d'élites. Nous n'avons là qu'une des stratégies proposées par les bretonnantistes.

Mentionnons la stratégie du jardinier qui fut celle de LE GONIDEC5 et de VALLÉE (6) : adapter le breton, le corriger et l'enrichir afin d'améliorer l'instrument de relations sociales qu'il était pour le million de paysans le parlant quotidiennement.

Une telle stratégie impliquait que le breton reculait en raison de sa pauvreté linguistique. Comme si les militants de la langue s'étaient contentés d'une explication superficielle en refusant de pousser plus loin l'analyse, et cela de peur de découvrir que la pauvreté linguistique, sur laquelle ils avaient prise, n'était pas la vraie cause mais, tout comme le recul social et géographique du breton, l'aboutissement d'un processus historique sur lequel ils n'avaient aucune prise.

En fait, la stratégie du jardinier déboucha dans la stratégie des élites, sous l'influence de Meven MORDIERN (7), mais aussi par une évolution interne. Jardiner le breton parmi les paysans ne les fit pas rester au jardin.

Le lien qui unissait ce million de paysans à la langue bretonne ne pouvait résister à la "marée du français"; il fallait un autre lien, fait de volonté et de conscience, tel que seules des élites pouvaient le créer.

c'est ainsi qu'apparut un nouveau type de militants : les Bretons conscients ou mieux: les Bretonnants conscients.

L'horticulture prenait la place du jardinage pour faire du parler paysan une langue bourgeoise. En même temps ce nouveau breton commençait à se répandre parmi les « gens instruits", touchant d'autant moins de lecteurs que son niveau linguistique s'élevait (nous disons bien "lecteurs", car pendant longtemps le breton "littéraire" fut uniquement lu).

A son tour, la stratégie des élites fut dépassée par le groupe de jeunes gens instruits anime par Roparz, HEMON (8)., Ceux-ci, sans renier leurs prédécesseurs, brisèrent le cercle de la langue pour la langue et insistèrent davantage sur la production en breton que sur le breton lui même, inaugurant ce que nous nommerons la stratégie de La beauté .

Aux Bretons sensibilisés à la beauté littéraire par les écoles françaises, il fallait montrer une beauté littéraire bretonne pour qu'ils retrouvent foi en leur bretonnité. Cette stratégie conçue par des littérateurs ne tenait compte que des raisons linguistiques ou littéraires, - mais ce n'était pas pour des raisons esthétiques que les Bretons s'éloignaient de leur langue.

A côté de cette action menée dans la langue même, il existe depuis le 19ème siècle une action politique en faveur de la langue bretonne dans le cadre de l'Etat français; son premier objectif est "le breton à l'école".

Cette action s'exprime par des campagnes de propagande, des pétitions au gouvernement, et plus récemment des marches pour obliger l'Etat français à ouvrir les portes de ses écoles et de l'O.R.T.F. à la langue bretonne.

Nous classerons cette forme de lutte dans la stratégie de L'Etat: si le breton était utilisé par l'Etat au lieu d'être rejeté par lui, il redeviendrait la langue des Bretons. C'est ici que trouvent place aussi les thèses de Youenn OLIER qui font d'un Etat breton la condition du " salut de la langue ".

D'un côté les militants qui veulent obliger l'Etat français à prendre en charge le destin du breton, de l'autre les théoriciens qui voient dans l'Etat breton le seul moyen adéquat à la rebretonnisation.

Une telle stratégie présuppose que l'Etat français est la cause de la francisation de la Bretagne alors qu'il s'est établi en Bretagne longtemps après la langue française, la venue de l'un et de l'autre étant les conséquences d'un même processus historique.

La stratégie de L'Etat français comme la stratégie de L'Etat breton, outre qu'elles donnent à l'Etat un rôle qui n'est pas le sien, sont fondées sur une compréhension erronée des causes de la débretonisation et, par conséquent, des implications de la rebretonisation.

Cette compréhension erronée apparaît par exemple dans l'action menée par Ar Falz (1) dans les années 30. On s'en prend à l"'Etat français impérialiste" et lui reproche d'opprimer les prolétaires bretons en leur refusant l'instruction dans leur langue (11), faisant de l'oppression linguistique la cause de l "'esclavage" du peuple breton, et du "droit à la langue" le point principal de sa libération.

Pas un mot des conséquences sociales et économiques de la francisation; au contraire, Alors qu'elle atteint au XXe siècle une prospérité économique enviable la Bretagne n'a guère progressé «intellectuellement »" (Ar Falz 10/92 1933).

D'autre part, après avoir loué le sens politique de LÉNINE et la politique linguistique de l'Union Soviétique, il demande à l'Etat bourgeois français de prendre exemple sur l'Etat prolétarien en ce qui concerne les droits accordés aux peuples allogènes (2), ¬allant ainsi de front à l'encontre de la doctrine de LÉNINE qui exigeait que les objectifs secondaires tels que les droits culturels" restent subordonnés à la stratégie de la révolution socialistel (3).

Ar Falz fut un combat isolé, centré sur des objectifs linguistiques, impliquant sans doute mais aussi oubliant les objectifs premiers, sociaux, politiques et économiques, qui font la révolution.

Sans doute pourrait-on étudier d'autres stratégies, comme la stratégie de la foi, appuyée sur le slogan "Le breton et la foi sont frère et sœur en Bretagne" qui impliquait que le breton reculait parce que le catholicisme se perdait et réciproquement.

Mais les stratégies mentionnées nous fournissent un matériel suffisant pour que nous puissions maintenant achever de dégager leurs caractères communs et analyser les motifs réels du mouvement bretonnantiste.

Leur caractéristique la plus évidente est que les "combattants de la langue" choisissent dans le réseau des causes du déclin de la langue la maille qui précisément donnera un semblant de justification à l'action qu'ils mènent.

Bien sûr, la pauvreté de la langue est une des raisons de son abandon par les Bretons (14), mais cette raison n'est qu'une maille secondaire dans le réseau entier des causes, étant elle-même l'effet de causes plus profondes.

Si elle peut servir à fonder une entreprise d'enrichissement du breton, elle ne saurait apporter la preuve qu'une stratégie de l'enrichissement peut enrayer le recul sociologique de la langue.

Le rôle des élites est évident dans le déclin du breton comme est évident le rôle culturel de toute classe dominante, mais la stratégie des élites ne tient aucun compte de deux aspects du processus :

a) les élites bretonnes ne sont depuis longtemps que les courroies de transmission des classes dirigeantes françaises .

b) ce n'est pas par des arguments éthiques ou esthétiques qu'on change le rôle social d'une "classe. "

Il est certain que la politique linguistique de l'Etat français a accélère le recul du breton, mais en admettant que l'Etat français trouve bon de renverser sa politique à l'égard du breton, il ne ferait au plus que ralentir le recul et non pas transformer ce recul en progrès.

Il est probable qu'un Etat prolétarien aurait donné au breton, après la première guerre mondiale, alors qu'il était encore la langue maternelle de centaines de milliers de personnes, un statut dans l'enseignement et dans l'administration. Mais une telle transposition partielle du modèle soviétique ignorait une condition et une conséquence importantes:

a) un statut prolétarien de la langue bretonne impliquait un Etat prolétarien, et alors l'objectif à fixer était la révolution socialiste, c'est-à-dire la destruction de l'Etat bourgeois français et l'édification d'un Etat prolétarien, - et non pas l'obtention d'un statut prolétarien pour la langue bretonne au sein de l'Etat bourgeois comme le revendiquait Ar Falz.

b) la conséquence de la politique culturelle soviétique n'était sans doute pas connue dans les années trente; or les statistiques officielles montrent qu'en Union Soviétique la proportion des jeunes ayant pour première langue une autre langue que le russe diminue rapidement (15); la transposition du modèle soviétique à l'État français n'aurait donc guère changé les chances de survie du breton dans le cadre de cet État.

Il n'est donc pas une seule des stratégies bretonnantistes qui ne soit sous-tendue par un raisonnement faux; nul besoin de chercher plus loin la raison de leurs échecs.

La même inadéquation marque les motifs invoqués par les "combattants de la langue" pour mener leur action - nous allons le voir maintenant.

2. Les motifs allégués du combat pour la langue.

La poussée bretonne dans son ensemble concret peut être décrite comme une symbiose d'actions spontanées, non soucieuses de se soumettre à l'analyse critique.

Celles d'entre elles qui se soucient de continuité et s'organisent, se figent en structures inertes: c'est le magma sans cohésion de ces structures inertes qu'on nomme Mouvement Breton (bien qu'en soit absent tout mouvement dialectique) Deux carences caractérisent l'état de symbiose où est enlisé le Mouvement Breton:

A) le manque de lien logique interne : chaque organisation est le résultat hasardeux de :

a) son adhésion non critique à un aspect partiel de la poussée bretonne.

b) des tendances personnelles des organisateurs, expressions non-critiques de toutes les contingences dont celle de leur idéologie de classe .

y) des transpositions également non critiques d'organisations semblables dans le passé breton et de mouvements minoritaires ou révolutionnaires contemporains.

B) le manque de lien logique externe : chaque mouvement ou bien rejette les autres comme non conforme à sa théorie ou bien les accepte comme pratiques convergentes vers le même but.

Ce rejet et cette acceptation, comme aussi l'appel à l'unité, slogan sacré du Mouvement Breton, ont la même signification : ils sont l'expression de l'impuissance inhérente à l'état de symbiose, mais n'en sont pas le remède.

Chaque organisation projette de transformer quelque chose, la Bretagne, la France, l'Europe, mais ne s'inclut pas dans le projet: ce quelque chose est toujours extérieur à elle-même, elle écarte à priori la possibilité de sa propre destruction, fermant ainsi la porte a toute dialectique, et par la à toute radicalisation et à toute synthèse tant interne qu'externe.

Les caractères de l'état de symbiose, le manque de lien logique interne et externe se retrouvent dans tous les rameaux du mouvement bretonnantiste. Il suffit de faire un inventaire des motifs allégués par les "combattants de la langue" dans leur action pour s'en rendre compte.

Nous avons vu la position de Meven MORDIERN : c'est le devoir impérieux des Bretons de conserver la langue bretonne, mieux, d'être à son service, car elle est "la grande chose en ce pays, au-dessus de l'Eglise, plus ancienne qu'elle, plus glorieuse qu'elle par la grandeur de son passe", le breton est "le Géant trois fois millénaire, supérieur aux gens qui le parlent ou qui devraient le parler et qui ne sont auprès de lui que des lutins éphémères semblables aux menus nuages que l'on voit se faire et se défaire dans le ciel" (16).

Quant a la question de savoir si c'est le bien des Bretons d'avoir le breton pour langue, il veut l'ignorer, n'accordant d'importance qu'à la question inverse : quel bien la langue bretonne peut-elle tirer des Bretons?

Notons bien cette inversion, car nous la retrouverons sous une forme ou une autre dans les motivations de tous les mouvements bretonnantistes : les militants préfèrent avancer des prétextes rationnels pour expliquer leur volonté d'action plutôt que de reconnaître qu'une volonté irrationnelle est la base réelle de leur action.

Le stratagème de Meven MORDIERN est de chosifier la langue, d'en faire une idole, une sorte d'absolu devant lequel les hommes n'ont qu'une existence relative.

C'est la déraison d'un amoureux au comble de la passion qu'on entend là, à ceci près que cette déraison est susceptible de devenir la raison d'une conception du monde: le culte de la Patrie, de la Race, de la Classe ne procède pas par des voies différentes, ici, par bonheur, le culte de la langue resta le fait d'un individu ou d'un groupuscule.

Les contemporains de Meven MORDIERN étaient plus sages ou bien plutôt plus tièdes de tempérament. Leurs prétextes restaient plus modestes et plus vraisemblables : pour eux c'était aussi un devoir de conserver le breton, mais un devoir relatif, c'était "la langue de nos pères", "la langue de notre passé", "le trésor que nous a confié Dieu ou la Nature", "une richesse de la Bretagne, de la France, de l'Humanité" etc.

On retrouve la même inversion dans cette recherche de prétextes moraux pour donner un semblant de fondement rationnel au mobile irraisonné qu'est l'amour de la langue.

On sait comment Roparz HEMON réagit contre ces arguments. "Et si nous choisissons notre langue, ce n'est pas parce qu'elle est «la langue de nos pères» et «notre langue bien-aimée», ni «la langue du cœur», ni toutes les inepties qu'on a coutume d'entendre de la part de gens qui ne savent rien faire sans s'excuser.

Nous choisissons notre langue «parce que nous voulons la choisir » et nous abandonnons l'autre «parce que nous voulons l' abandonner » (17).

Cette attitude, volontariste en apparence, se voulait une attaque contre les régionalistes. C'était aussi une fuite, car dans la page précédant cette déclaration volontariste, Roparz HEMON explique ses motifs à lui de choisir le breton et d'abandonner le français: le breton fait notre nationalité, notre nationalité fait notre liberté (par opposition au régionalisme qui nous assujettit à la France); par suite "le breton est pour nous la liberté, le français l'esclavage. Nous choisirons le breton, ou nous ne serons que des enfants, pire, des gens sans courage » (18).

Ce qui ne faisait que repousser la conduite volontariste du plan de la langue à celui de la nation : nous voulons être une nation, non parce qu'elle serait «le vieux pays de nos pères» et «notre pays bien-aimé», mais parce que nous choisissons d'être cette nation.

Ce qui revient à s'enfermer dans une pétition de principe: nous sommes Bretons parce que nous voulons parler breton, nous parlons breton parce que nous voulons être Bretons. Roparz HEMON a beau invoquer des motifs rationnels, il ne peut finalement pas refouler l'expression véridique, et non rationnelle, de sa vie : "Nous choisissons notre langue parce que nous voulons la choisir".

L'analyse dialectique de la situation personnelle de Roparz HEMON nous éclaire un peu. Fils d'une famille bourgeoise et francisant de Brest, il subit la contradiction que nous connaissons bien : la Bretagne (ou du moins le breton) se manifestant au seul niveau de l'idéologie, face à une infrastructure française.

Roparz HEMON refusa de se fabriquer un semblant de bretonnité singée du monde paysan. Il dépassa la contradiction en créant une base de production bretonne nouvelle de portée universelle - par la littérature.

Ailleurs ont été soulignées les limites d'une telle base de production : elle était individuelle et située en dehors de tout rapport économique.

En cela, la bretonnité de Roparz HEMON était le fruit de sa production individuelle (il était conscient de cet aspect de sa situation personnelle et l'assumait lucidementI9): il s'était fait breton non pas en revêtant des éléments d'une bretonnité déjà produite (en se conformant à ce qu'on étiquetait breton autour de lui), mais en établissant un foyer de production bretonne nouvelle.

C'était là un acte authentique de création, c'est à dire un acte de liberté; et c'est pourquoi il était sincère lorsqu'il disait: 'parce que nous voulons la choisir", - bien qu'il demeure que ce "choix" doive être défini, comme nous le verrons plus loin.

L'erreur commence quand il cherche à justifier ce qu'il fait et demande à son tour des excuses pour faire du breton "la langue de notre liberté". Le breton est sans doute la langue de notre liberté, mais pas dans le sens où l'entendait Roparz HEMON.

La Bretagne, le breton sont des produits de l'histoire passée; or ils ne concernent notre liberté que pour autant que nous mettons en eux l'action de notre liberté, que dans la mesure où ils deviennent le capital de notre histoire. Hors de cela ils ne représentent que des entraves - comme tout élément anhistorique tant qu'il n'a pas été évacué.

Ce n'est pas en raison de notre nationalité que le breton est la langue de notre liberté comme le prétend Roparz HEMON, mais bien en raison de notre liberté que nous réalisons par eux que le breton est notre langue et la Bretagne notre nationalité.

Ici encore, l'inversion bretonnantiste et nationaliste est évidente. « Notre nationalité n'est-elle pas notre bien le plus Cher? N'est-elle pas tout pour nous : notre liberté, notre renommée, notre orgueil de peuple face au monde et à nous-mêmes ? » (20).

Ni la langue ni la nationalité ne sont liberté par elles-mêmes; elles sont les fruits parmi d'autres d'une production d'histoire; et la liberté réside dans l'acte de création, non dans le déjà créé.

Comme Meven MORDIERN, Roparz HEMON situe le lien social au niveau de ce qui est déjà produit et non dans l'acte de produire, réifiant ainsi la langue et la nationalité, - plaçant la liberté dans le capital et non dans l'acte de création.

D'où l'erreur de sa stratégie qui est de ne pas faire la différence entre, d'une part, la bretonnité (et le breton) historique, produit et capital de la révolution, lieu de création des révolutionnaires et fruit de leur liberté, et d'autre part, la bretonnité (et le breton) tombés hors de l'histoire, dont le peuple breton s'efforçait de se défaire.

D'où aussi sa croyance qu'il suffît d'éclairer les Bretons, de "libérer leur esprit" pour qu'ils découvrent en leur bretonnité ce qu'elle était: leur liberté.

C'est la raison pour laquelle les gens du second Emsav (21) et en général les nationalistes et les bretonnantistes n'ont pas compris que, parallèlement à l'action révolutionnaire de Gwalarn créant une bretonnité historique nouvelle, se développait une transformation non moins révolutionnaire par laquelle le peuple breton évacuait sa bretonnité anhistorique (fût-ce au prix de la francisation) .

"Parce que nous voulons la choisir". Cette formule volontariste semble situer la liberté dans le "choix" que les Bretons font de la Bretagne et du breton. En fait, il n'y a là qu'une illusion idéaliste. Le "choix" de la Bretagne et du breton doit être compris comme décision individuelle sans doute, mais aussi comme effet d'un conditionnement collectif socio-historique.

En tout cas c'est plus loin que se réalise la liberté, quand celui qui a choisi" d'être Breton commence de produire de l'histoire à partir du capital d'histoire breton "choisi".

La question qui se pose est celle-ci : comment déterminer les forces qui amènent les Bretons du 20ème siècle à faire de leur bretonnité le lieu de leur production d'histoire. Nous nous retrouvons là sur le terrain de recherche déjà mentionné plus haut.

Nous énumérerons rapidement les autres motifs allègués par les bretonnantistes pour justifier leur "combat". Tous sont gauchis par la même inversion; de plus, l'ensemble des raisons dont se réclament aujourd'hui les "combattants de la langue" a quelque organisation qu'ils appartiennent sont des restes accommodés au goût du jour des thèses d'Ar Falz et de Gwalarn.

Rappelons la thèse du breton trésor de la Bretagne

(de la France, de l'Humanité), thèse réifiante ignorant la différence entre un capital d'histoire dont le destin ne concerne que ceux pour qui il est un moyen de production d'histoire et qui n'a nul besoin de défenseurs, et une matière anhistorique, improductive dont il faut se débarrasser pour le plus grand bien de tous.

Nous connaissons la thèse du droit pour un million de bretonnants de voir leur langue à l'ecole et sur les ondes, défendue aujourd'hui par « Kuzul Ar Brezhoneg » (22) à la suite de l'aile droite du second Emsav, c' est-à-dire sans mention de classe, et par Galv (23) a la suite de l'aile gauche qui fait du combat linguistique, à l'exemple d'Ar Falz de l’entre-deux-guerres, une revendication des classes laborieuses.

Il est ici une question qu'on doit poser: que représente le "breton" dont les combattants de la langue revendiquent la présence dans les écoles et sur les ondes ? Autre question liée à la première pourquoi enseigner et diffuser la langue bretonne?

Si l'on excepte le mouvement révolutionnaire dont la base de production est nécessairement marginale à la base de production française et dont l'action idéologique n'est pas bretonnantiste, la totalité des rapports sociaux modernes, en Bretagne se fait en français.

La raison simple en est que les parlers bretons sont un aspect de la société traditionnelle et le français un aspect de la société moderne.

C’est déjà le fait d'un raisonnement faux que de prétendre qu'il suffirait d'enseigner et de diffuser le breton moderne pour que celui-ci soit accepté comme langue de la société moderne en Bretagne; à plus forte raison quand on sait que le breton qu'on cherche à enseigner et à diffuser n'est pas le breton moderne, mais une forme bâtarde, mélange de patois et de langue de Gwalarn, à vrai dire un sabir d'éprouvette impraticable dans la vie moderne et incompris de la plupart des bretonnants traditionnels.

Un autre argument a souvent été avancé en faveur de l'enseignement du breton dans les écoles françaises, celui du traumatisme linguistique subi par les petits bretonnants. Cet argument conservait quelque fondement à l'époque de Breiz Atao (24) et d'Ar Falz lorsque les enfants des campagnes de l'Ouest breton étaient encore élevés en breton. Il est hors de doute que ces enfants subirent des dommages irréparables par l'acculturation sauvage qui fut pratiquée sur eux dans les écoles.

Il faut tout de même remarquer que cette acculturation n'allait pas à l'encontre de la volonté généraIe de la population: en l'absence d'un mouvement national révolutionnaire sur le point de triompher, c'est-à-dire de conduire le peuple breton dans une voie de modernité bretonne, il n'y avait pas d'autre issue que la francisation.

Les parents, qui avaient eu tant de mal eux-mêmes à apprendre le français, envoyaient leurs enfants à l'école pour qu'ils l'apprennent plus tôt et mieux qu'eux.

L'Etat français jouait seulement un rôle accélérateur dans le processus du changement de langue, en aidant une population qui se trouvait dans la nécessité impérieuse d'apprendre la langue du monde moderne.

Et quand le ministre français de MONZIE, vers 1920, prononçait sa célèbre phrase : "Pour l'unité linguistique de la France, le breton doit disparaître", il mettait lui aussi en avant une raison qui était bien loin du motif réel de la francisation dans laquelle se lançaient les Bretons.

Le reproche à faire à la politique linguistique de l'Etat français à ce moment-là est d'avoir mené l'acculturation d'une manière sauvage, traumatisante, au lieu d'utiliser les vernaculaires pour que le passage d'une langue à l'autre se fasse sans heurt.

Mais le nationalisme aveugle, chauvin, des Français et de leurs dirigeants les faisait fouler aux pieds avec une rage hystérique ces signes de bretonnité qui leur apparaissaient comme une négation dans les faits de l' ''unité française". Il y avait donc un abîme entre les motifs des dirigeants français de franciser les Bretons et les motifs des Bretons d'être francisés.

Mais ce n'est pas sa politique linguistique qu'on doit reprocher le plus à l'Etat français, et les accusations portées contre lui par les bretonnantistes ne sont guère fondées.

Même en laissant de côté la question nationale bretonne qu'il ne reconnaissait pas, le rôle de l'Etat était de permettre au peuple breton de se développer, de faciliter sous tous les rapports le passage de la société traditionnelle à la société industrielle; l'Etat français, en laissant le peuple breton affronter seul et désarmé la brutalité du monde capitaliste, prouvait encore s'il était besoin que les principes de la Révolution française sont depuis longtemps inapplicables dans les Etats libéraux.

L'Etat français ne su rien faire d'autre que de s'appuyer sur les anciennes classes dirigeantes bretonnes en abandonnant les classes opprimées à leur détresse. Certes, la plus lourde accusation à porter contre lui n'est pas sur sa politique linguistique, mais bien sur sa politique sociale.

Notons encore que l'acculturation n'était pas le problème des seuls Bretons. Dans chaque région de France où s'éteignaient des sociétés et des langues traditionnelles et où les coutumes et les dialectes locaux entravaient l'accès au monde moderne, les mêmes problèmes se posaient.

Sans doute les dirigeants français n'eurent pas à développer partout la même répression qu'en Bretagne, n'eurent pas à montrer le même sadisme dans les territoires romans de leur pays, mais sociologiquement parlant, la francisation obéissait aux mêmes motifs et suivait le même processus.

Sociologiquement parlant on ne force pas les faits en présentant le problème de la francisation en Bretagne comme un problème provincial français.

Breiz Atao, Gwalarn, Ar Falz cherchèrent à donner un sens breton à l'acculturation en la décrivant comme l'oppression d'un pays par un autre pays, d'un peuple par un Etat étranger tout au moins de langue.

Cette· affirmation fondée sur le passe historique, en contradiction avec le fait que leurs compatriotes ne percevaient pas de nationalité bretonne et confondaient dans l'immédiat francisation et modernité, constituait le premier moment d'une dialectique révolutionnaire. Mais ceci les militants bretons ne le conçurent pas et leur action dévia dans l'impasse des revendications, culturelles entre autres, dépouillant le sens révolutionnaire ébauché: ce n'était pas à l'IlEtat etrangerll de faire la révolution qu'ils ne faisaient pas.

Ce que nous avons décrit plus haut (voir p. 10) comme stratégie de l'Etat devient ici plus clair. Que sa voie soit celle d'une agitation populaire bretonne contraignant l'Etat français à accorder les revendications autonomistes ou bien celle d'un Etat breton institué par une minorité active prétendant réaliser les aspirations qu'elle prête à la population, la stratégie de l'Etat apparaît comme une fuite hors de la dialectique sociale concrète.

Elle ne sait considérer qu'un couple peuple-Etat, et sous la forme spontanéité/autorité. Si elle parle de "révolution" elle l’a conçoit comme une pseudo dialectique externe entre le peuple opprimé et l'Etat oppresseur, ignorant que toute dialectique est interne : la révolution est la transformation par laquelle une société dépasse et réduit sa désarticulation, l’Etat oppresseur n'est qu'un aspect secondaire de cette désarticulation; quand il ne reste que lui à réduire, la victoire est à portée de main.

Aujourd'hui les différences entre les enfants des campagnes de l'Ouest breton et les autres enfants de France ont disparu en ce qui concerne les langues vernaculaires.

S'il reste une différence de langue, ce problème est moins que jamais spécifique à la Bretagne : il tient â l'écart croissant entre la langue enseignée dans les écoles françaises et le mode de vie du jeune Français25.

Remarquons que cet écart est moins accusé dans l'Ouest de la Bretagne où les enfants sont élevés en français qu'a l'Est, où ils parlent encore souvent le gallo. L'argument de l'acculturation utilisé par les "combattants du breton" est donc aujourd'hui entièrement privé de fondement.

Les principaux arguments bretonnantistes en cours entre les deux guerres mondiales sont aujourd'hui repris sous le terme de "démocratie culturelle" qu'utilise comme slogan le groupe de pointe de l'action culturelle bretonne, Galv. Ce slogan recouvre deux thèses principales :

- la thèse du million de bretonnants et de leurs droits linguistiques. Cette thèse était déjà illusoire il y a cinquante ans quand les Bretons, anxieux de combler leur retard à entrer dans le monde moderne, se défaisaient des entraves du passé, entre autres de leurs parlers traditionnels.

-

-

-

- Et quand bien même ce droit leur aurait été reconnu, il n'aurait été qu'un de ces droits formels inscrits dans les Constitutions et restant lettre morte du fait du décalage entre elles et l'histoire réelle de la société.

Ce droit serait d'autant plus formel maintenant que le français est devenu la langue de base partout en Bretagne dans les rapports de production. Deux constatations faciles à faire montrent combien est irréaliste la thèse du million de bretonnants:

a) la pyramide des âges en ce qui concerne les bretonnants est du type "toupie suspendue, c'est-à-dire qu'elle fond par le bas, les jeunes générations étant élevées en français .

b) partout en Bretagne le français est la langue des rapports modernes de production; le breton, non seulement reste la langue des rapports de production traditionnels, mais encore recule plus vite que ces rapports traditionnels eux-mêmes ;

La thèse de la "culture populaire"; il faut dissiper l'illusion que permet le terme ambigu de "culture" et bien séparer ses deux significations : la signification dialectique de dépassement créateur dans une vection historique et la signification anhistorique que lui donne la sociologie américaine d'ensemble des modèles culturels en un temps et en un lieu donnés.

La culture au sens plein, dialectique, n'est autre que la production d'histoire. Si l'on appelle "culture populaire" la "culture" d'une classe ou d'une société opprimée, ce ne peut être qu'au sens anhistorique américain, car la classe ou la société opprimées, dans la mesure où elles restent opprimées ne produisent pas d'histoire, n'ont pas de culture au sens historique.

Le début de leur histoire, le début de leur culture ne peut être que le début de leur combat de libération. La "culture populaire bretonne" est certainement une mine où la culture révolutionnaire découvre des repères et puise des matériaux - les révolutionnaires ont été tour à tour linguistes, ethnologues et sociologues -, mais c'est un contresens historique que de traiter en synonymes "culture populaire" et "culture révolutionnaire" et de faire de la conservation d'une « culture populaire » l'enjeu de la révolution.

Nous avons vu que les nationalistes culturels

de l'entre-deux-guerres faisaient ce contresens: sous prétexte que le breton était le lieu de leur production, c'est-à-dire le terrain où ils réalisaient leur liberté, ils considéraient le breton comme étant en soi une source automatique de liberté et de culture véritable.

Ils refusaient de voir que le breton était pour leurs compatriotes un lieu d'arriération, un handicap non seulement économique mais aussi socio¬culturel.

Galv, Kuzul ar Brezhoneg et les bretonnantistes d'aujourd'hui, en reprenant l'idéologie de Breiz Atao, Gwalarn, Ar Falz, font le même contresens à cette différence près que le breton n'est plus une prison pour les Bretons, puisqu'ils s'en sont libérés par la francisation.

Les buts proclamés par les bretonnantistes sont donc purement fictifs. Ils exigent de l'administration française qu'elle fournisse au peuple breton les moyens de conserver la langue bretonne. Mais dans les conditions où il se trouve (monde moderne, monde français précisément) le peuple breton n'a aucun besoin objectif de la langue bretonne.

Il est irréaliste d'aider les gens à conserver ce qu'ils n'ont aucun motif réel de conserver.

À vrai dire, la position des bretonnantistes est difficilement tenable - ils ne la tiennent qu'en se préservant soigneusement de toute analyse théorique comme aussi de toute application pratique. Pour preuve voyons comment ils se comportent personnellement.

Les parlers du début du siècle ont été abandonnés par ceux qui les employaient comme ne convenant pas au monde moderne où ils devaient vivre.

Depuis, les parlers locaux n'ont fait que s'appauvrir et le monde moderne n'a fait que s'éloigner à grands pas du monde traditionnel dont ils ne sont pas sortis.

Les bretonnantistes ne sont pas fous au point de prétendre que les Bretons délaisseraient le français pour retourner aux parlers locaux. Ils ont deux façons de se tirer d'affaire:

a) pas question, disent-ils, d'abandonner le français; il garderait sa place (comprenons qu'il resterait la langue des rapports effectifs de production); le breton resterait à côte comme élément de la culture populaire bretonne26; ce qui équivaut à demander que soit figé, institutionnalisé, l'actuel état de choses - faussement décrit comme l'existence d’un million de bretonnants; aucun statut officiel n'empêchera la toupie démographique de s'effriter, surtout n'empêchera les Bretons de prendre pour langue celle des rapports effectifs de production ni de se défaire des derniers vestiges des parlers locaux improductifs et baptises "culture populaire".

b) sous l'appellation "langue du peuple", les bretonnantistes désignent en fait le breton de Gwalarn, auquel dans un souci de populisme certains d'entre eux superposent des tournures patoisantes, ce qui ne suffit pas quand même à éviter cette situation paradoxale : pour parler cette "langue du peuple" le peuple breton devrait subir un changement de langue analogue à celui dont les bretonnantistes accusent l'Etat français; il y a plus: la langue de Gwalarn, bien qu'elle ait été un grand pas vers la modernité, est inadaptée aux besoins de la vie moderne; pour le vérifier, il suffit d'interroger sur son travail quotidien, sur ses études par exemple, un adolescent élevé en breton de Gwalarn dans une famille nationaliste. Il sera incapable de répondre avec quelque précision et le français viendra vite au secours du breton défaillant.

3. Les motifs réels du combat pour la langue.

Répondre avec quelque précision et le français viendra vite au secours du breton défaillant.

Le combat culturel breton ne tendant objectivement vers aucun but effectif, on est obligé de chercher les motifs réels des militants bretonnantistes en dehors des motifs qu'ils allèguent.

"De tout cœur avec vous dans l'amour de notre langue". S'il y a un élément presque toujours présent chez les « combattants de la langue », c'est l’amour sans limite qu'ils lui portent.

Pour VALLÉE, Meven MORDIERN, Roparz HEMON, il est clair que le breton fut l'amour de leur vie. Un tel amour de la langue était-il une forme de patriotisme? Pour Meven MORDIERN le breton était l'aspect le plus concret que prenait son pays véritable, la Celtie.

Pour Roparz HEMON, la patrie s'est retirée dans la langue et il l'a emportée à Dublin. Et sans doute pour VALLÉE c'était la même chose. Ce ne sont pas là des exceptions. Quiconque a fréquente paotred ar brezhoneg (les gars du breton) sait comment ils passent généralement leur temps quand ils se retrouvent : ils parlent du breton.

Quand nous étudierons plus loin les causes du mouvement bretonnantiste, nous chercherons à savoir pourquoi le patriotisme breton s'est manifeste sous cette forme. Ici nous ne nous occuperons que du mobile qui se cache derrière les divers motifs allègués et qui s'avère être l'amour de la langue.

Il est facile de tracer le processus suivi par le "mordu du breton". Poussé par sa passion il se jette dans une activité bretonnante quelconque (dont la nature dépend de multiples contingences, des goûts personnels, de l'idéologie de classe, du hasard des rencontres, etc.); dans un second temps, le "combattant de la langue" qu'il est devenu cherche à justifier, à motiver son action.

Il est rare qu'il se contente aujourd'hui de proclamer son patriotisme, son amour naïf du breton ("nous choisissons notre langue parce que nous voulons la choisir"), et il donne a cet argument peu mobilisant une forme plus convaincante ("le breton pour nous c'est la liberté", « Ia grande Chose de ce pays », "le Géant trois fois millenaire"); le plus souvent, il revêt son mobile irraisonné d'une cuirasse de motifs rationnels choisis pour leur impact, d'où les innombrables visages que prend la propagande bretonnantiste: langue de nos pères confiée par Dieu pour les catholiques traditionalistes, patrimoine biologique à l'instar du sang pour les racistes des années trente, trésor culturel français pour le Chanoine FALC'HUN, culture prolétarienne avilie par les capitalistes pour les autonomistes culturels de gauche, etc.

C'est l'inversion déjà mentionnée : l'argument mobilisateur, le prétexte rationnel devient le motif de base de l'action, l'argument central du combat, le fondement d'un système qui fournira en même temps les causes du déclin de la langue (et du pays tant qu'a faire), les buts de l'action entreprise et la stratégie pour les atteindre ...

Dans ce scénario le beau rôle reste toujours au breton bien-aimé : on attribue ses malheurs à la scélératesse de ses ennemis de race ou de classe, à la lâcheté de ceux qui avaient le devoir de le défendre; seules ses vertus lui reviennent.

Nous avons montré comment les motifs allégués vont chercher leur fondement dans des données historiques et sociologiques partielles, laissant délibérément dans l'ombre tout ce qui menace de les ruiner - qui parmi les bretonnantistes reconnaîtrait que la francisation a été un progrès objectif pour le peuple breton?

Pour l'avoir affirmé, les auteurs du texte original breton de la présente analyse ont récolté une bonne part d'injures. Quel "combattant de la langue" consent à écouter l'objection que la Bretagne bretonnante qu'ils imaginent pourrait être plus malheureuse qu'une Bretagne francisant?

Non, c'est le breton qui fait le bonheur: On saisit pourquoi l'idéologie bretonnantiste tout entière, quelle que soit la forme qu'elle revête, s'appuie sur une pseudo rationalité qui oblige a distinguer toujours entre les motifs et les causes allégués, et les motifs et les causes réels.

Mentionnons ici deux cas particuliers, deux entreprises tentées pour tirer parti de La poussée bretonnantiste.

Parmi Les militants de Galv, il en est qui ne sont pas bretonnantistes : ce sont Les courroies de transmission du parti politique L'Union Démocratique Bretonne; ils prennent une part active à l'agitation linguistique pour L'exploiter au profit du parti. Dans Leur cas, Les arguments de Galv ne recouvrent pas une passion irraisonnée pour Le breton, mais des raisons techniques délibérées : Le breton est pour eux une matière à revendication, et les militants de la langue des agitateurs à encadrer et à utiliser comme appât devant Les filets du parti francisant.

L'autre entreprise consiste en la propagande linguistique organisée par E.S.B. de 1967 à 1969. Elle se fondait sur La thèse erronée qu'il y a un futur révolutionnaire dans chaque candidat bretonnant ou du moins que Les révolutionnaires bretons doivent à priori se trouver parmi ceux qui veulent apprendre La Langue.

On ouvrit des écoles de breton dont la raison réelle était de recruter pour E.S.B. Mais les élèves, s'ils étaient motivés pour étudier Le breton, ne L'étaient pas nécessairement pour faire La révolution, et quand on Leur dévoilait Le désert à traverser derrière l'oasis des cours de breton, ce n'est pas sans raison qu'ils accusaient Leurs professeurs d'avoir cherché à Les abuser.

5. Les raisons réelles du mouvement bretonnantiste.

Une première description de l'action bretonnantiste en faisait une action frappée de désarticuLation :

a) elle participe a la maintenance passive du vestige linguistique d'une société bretonne disparue; le fait qu'elle participe activement a cette maintenance passive ne change rien à la chose et sa lutte à contre-courant d'un dépérissement virtuellement achevé n'en est pas moins illusoire .

b) elle participe passivement a l'histoire de la société française: luttant toujours à contre-courant pour s'imposer dans le champ de forces sociologique de cette société qui la renvoie constamment à la marge, elle parvient néanmoins à y porter quelques fruits: le breton a l'école et a l'ORTF, la mode du bretonnisme dans l'hexagone, la revalorisation de la province - fruits qui s'inscrivent dans le flux de la production d'histoire française et plus précisément dans le courant de la régionalisation.

Une analyse plus fouillée a montré qu'a cet aspect externe de la désarticulation correspondait un aspect interne, une carence de lien logique: le combat culturel n'a pas de but effectif, et les motifs qu'il proclame sont des prétextes sans plus à assouvir une passion patriotique à travers d'actions qui ne mènent nulle part. Les intentions des bretonnantistes ne représentent pas le sens réel de ce qu'ils font : le mouvement bretonnantiste est un phénomène sans transparence; derrière la couche opaque des motifs allégués nous avons mis à jour les motifs réels; il nous reste à aller au-delà de ceux-ci pour tenter d'établir les causes réelles du phénomène.

Avant d'aller plus loin, mettons la question non plus sur l'objet de la présente analyse mais sur les analystes eux-mêmes. Nous avons indiqué que le texte original de cette adaptation française était en breton.

Emsav Stadel Breizh dont sont membres ses auteurs effectue tout son travail théorique en langue bretonne. La question qui se pose immédiatement est bien sûr celle-ci : pourquoi le breton? pourquoi prendre le breton comme langue de la révolution et de l'Etat?

Il est important de situer cette question aux deux niveaux où elle se pose: individuelle et collective. Les raisons individuelles ne sont pas suffisantes à expliquer pourquoi on s'engage dans une action bretonne (comme dans toute action du reste), car elles s'inscrivent toujours dans le champ des raisons collectives de la poussée bretonne elle-même.

Si la poussée bretonne collective est faite de l'ensemble des poussées bretonnes individuelles, elle est en même temps le fond sociologique qui les conditionne.

Entre les deux niveaux individuel et collectif il existe un rapport d'implication mutuelle qui fait que la prise de conscience bretonne, le patriotisme, la volonté d’œuvrer pour la Bretagne, le changement de langue sont pour le moins autant le fait d'un conditionnement collectif que d'un libre choix individuel.

Demander : "pourquoi le breton ?" revient donc à demander : "pourquoi la poussée bretonne ?" et à situer la question dans le domaine de la recherche sociologique avant de la poser en termes d'option politique.

Ce que nous appelons « poussée bretonne » est d'abord un fait, pratiquement latent entre le début du siècle et les années soixante, se manifestant aujourd'hui avec une intensité croissante.

Assimiler ce fait à une poussée nationalitaire et y voir le prélude de l'émergence d'une nouvelle nation dans la carte du monde est une hypothèse plausible si l'on se réfère d'une part a la rapide extension de la poussée bretonne, d'autre part a l'universalité de la poussée nationalitaire.

Celle-ci est une force sociologique qui s'exerce dans tous les peuples de l'histoire qui est à l'origine même de leur constitution comme peuple – une des principales sources de l’énergie employée dans la production historique.

Il est un exemple clair du rapport existant entre cette force et la production d'histoire, c'est celui qu'ont établi les écrivains de Gwalarn.

Ils ont remis le breton dans l'histoire et en ont fait un capital de la production d'histoire bretonne (leur erreur a été de ne pas voir le fossé existant entre le breton historique qu'ils créaient et le breton anhistorique à l'époque précisément où le peuple breton achevait de se débarrasser de ce dernier). Ils ont remis le breton dans l'histoire en fondant sur lui leur vie d'écrivain.

Quelle est la force qui les fit réaliser leur vie d'écrivain en breton et redonna par là au breton une place dans l'histoire?

La même force sociologique qui continue de se développer aujourd'hui et incite les Bretons à vouloir créer de nouveau un peuple historique, - les amenant aussi à s'égarer dans les impasses des combats culturels, économistes, populistes, nationalistes.

En dernière analyse, la question a poser est donc celle-ci : la poussée bretonne est-elle en mesure de développer la force nécessaire aux Bretons pour se reconstituer en tant que peuple ?

Une autre question se présente : pourquoi est-ce maintenant que se manifeste une poussée bretonne ?

Le patriotisme breton n'est pas un fait nouveau, toutefois ceux qui s'appliquent à le concrétiser en œuvres et en organisations ne furent longtemps qu'une poignée, de nobles, de prêtres, de grands et de petits bourgeois, - ce qui explique d'autre part les côtés réactionnaires et passéistes des mouvements bretons; aujourd'hui le patriotisme breton s'exprime a la base même du peuple, au point que sa poussée est un des phénomènes sociologiques les plus remarquables du moment en Bretagne.

Pour comprendre ce fait il faut suivre l'évolution de la situation sociale en Bretagne depuis la première guerre mondiale. Nous renvoyons le lecteur à d'autres analyses déjà publiées27. Il importe de saisir comment les Bretons pris entre leur conception traditionnelle du monde et les exigences brutales de l'économie moderne ont rejeté leur monde traditionnel et du même coup leur bretonnité; comment Breiz Atao fut un non opposé à un tel rejet de la bretonnité; et aussi comment depuis la deuxième guerre mondiale les Bretons, ayant acquis une conception moderne du monde et les armes qu'elle procure, en viennent a considérer les solutions comme dépendant de leur propre pouvoir de décision.

L'effondrement des structures socio-économiques traditionnelles contraignait les Bretons à s'intégrer en catastrophe au monde moderne et a la société française. C'est la raison pour laquelle ils restèrent obstinément fermés à la propagande des autonomistes faisant état du pouvoir de décision qu'ils devaient prendre sur leur destin.

Dans la situation d'urgence où ils étaient il n'y avait pas de choix possible, - c'était absurde de demander aux naufragés du monde traditionnel breton de repousser le navire français qui s'offrait a les recueillir et d'attendre à la nage une barque bretonne qui n'existait pas, même en projet. Par contre, depuis la seconde guerre mondiale, leur situation les amène à concevoir l'idée d'un pouvoir de décision sur leur destin.

En place de l'ancien but qui était de survivre apparaît un but nouveau, celui de mener leur vie a leur gré. Les problèmes du développement économique sont loin d’êtres résolus, au contraire ils tendent à s'aggraver.

Mais les Bretons, s'ils ne trouvent pas dans l'arsenal intellectuel, idéologique et technique du monde moderne le moyen de les résoudre, acquièrent grâce à lui la conviction que c'est à eux-mêmes et à personne d'autre de les résoudre.

Cette conviction se renforce à mesure que se répètent leurs échecs économiques et que devient plus intolérable leur dépendance sociopolitique, progression dialectique ne pouvant plus aboutir qu'au moment où ils tiendront en main un pouvoir de décision réel sur leur vie collective, qu'ils seront à nouveau producteurs de leur histoire.

Dans une telle progression dialectique, le patriotisme intervient comme une force positive et croissante elle aussi. Une dialectique cantonnée aux niveaux politique et économique ne peut créer le patriotisme certes, mais la où il préexiste elle lui donne le moyen puissant de s'historiser, - c'est ce à quoi nous assistons en Bretagne en ce moment, alors que le blocage de toute dialectique sociale entre les deux guerres le réduisit â l'état pratiquement latent.

C'est dans un tel contexte qu'apparaît la flambée du bretonnantisme. Comment la comprendre? On peut y voir un phénomène de rebond. Après la première guerre mondiale, les Bretons ne voyaient qu'une seule voie: nier ce qu'ils étaient, étouffer en eux tout élément de bretonnité.

Aujourd'hui le patriotisme pourrait de nouveau se manifester; il se produirait un retour du balancier: après l'étouffement le réveil, après le refoulement le défoulement. Voilà du moins ce que pourrait voir un œil naïf. Regardons-y de plus près.

Qui se francisa entre les deux guerres ? La masse populaire bretonne dans son entier, les bretonnants avec plus de hâte encore que les gallos. C'était là une mutation adaptée a un but effectif : survivre en s'intégrant au monde moderne, - nul besoin pour la comprendre de distinguer entre des motifs allégués .

et des motifs réels: Qui aujourd'hui apprend le breton, en dehors de ceux pour qui le parler est impliqué par le travail révolutionnaire? Surtout des Bretons accordés avec le monde moderne grâce à une francisation correcte, qui ne supportent pas directement le poids de la crise socio-économique, patriotes certes, mais à qui l'activité bretonnante permet d'éponger le bouillonnement de leur patriotisme. Nous l'avons vu, l'action bretonnantiste n'est ordonnée à aucun but effectif. Elle serait donc un faux-bond du balancier ?

À ce point de l'analyse, il devient nécessaire de rassembler les conclusions des étapes qui ont marque sa progression. Faisons donc l'inventaire des raisons du mouvement bretonnantiste telles qu'elles nous sont apparues :

a) l'appropriation de la civilisation moderne, qui amène les Bretons a attendre de plus en plus d'eux ¬mêmes la solution de leurs problèmes.

b) la cessation du besoin de se franciser, ce be¬soin étant maintenant satisfait.

c) le fait que le breton en question est maintenant celui de Gwatarn, souffrant la comparaison avec les autres langues littéraires; le fait que se répande l'idéologie bretonnantiste de Breiz Atao, Gwatarn, Ar Falz, ravivée par les courants léninistes, popu¬listes, anarchistes. etc., favorables aux langues des peuples opprimés.

d) le patriotisme.

L'élément a) est une condition non suffisante; s'il a rendu possible la renaissance du patriotisme breton, il n'explique pas l'action bretonnantiste. Car si celle-ci était l'expression d'une volonté de la part des Bretons de changer leur destin, elle se¬rait une entreprise véritable ordonnée à un but effectif comme le fut elle-même la francisation, et non pas cette constellation d'activités installees chacune au fond de son impasse .

L'élément b) est aussi une condition du mouve¬ment bretonnantiste, et en même temps une raison de l'irréalisme de ses objectifs. Par la francisation, les. Bretons se sont approprié une des clés du monde moderne et il n'ont aucune envie de s'en dessaisir.

À moins que ne vienne en même temps que la rebreton¬nisation la solution de la crise qui est la leur dans le monde moderne, il n'y a pas de raison pour qu'ils abandonnent le français. Pas question d'ailleurs pour la plupart des bretonnantistes de renoncer au français. A quoi sert le breton, s'il ne devient pas une langue véritable prenant la place du français ? À être un hobby individuel, un folklore? Et pourtant les bre¬tonnantistes repoussent avec mépris les folkloristes .

la Bretagne, disent-ils, est essentiellement dans sa langue; jouer du biniou, porter la coiffe, c'est s'at¬tacher au contingent en rejetant le nécessaire (remar¬quons que certains groupes folkloriques, en plus du costume et des danses, prescrivent et emploient le breton); le folklore, disent-ils encore, n'a pas d'impact politique, il ne rencontre aucune opposition du gouvernement qui le favoriserait plutôt; le combat pour la langue au contraire a un sens politique, etc.

Ce qu'ils n'aperçoivent pas, c'est que le mouvement folklorique a eu au début de l'après-guerre un impact politique certain et qu'il demeure, par la masse des jeunes qu'il groupe en organisations, un foyer virtuel d'agitation bretonne.

C'est que d'autre part rien n'empêche le gouvernement de satisfaire les revendi¬cations bretonnantistes en donnant au breton dans les écoles et les mass media une place en rapport avec son utilisation réelle dans la vie sociale : ni plus ni moins la place que lui donnent les groupes folklori¬ques bretonnants.

L'élément c) est une condition importante, qui aide en outre à comprendre l'inadaptation étonnante du combat culturel. C’est à l' époque du second Emsav, c'est-à-dire entre les deux guerres mondiales, que furent conçues la plupart des thèses qui composent aujourd'hui l'idéologie bretonnantiste.

Ce n'est pas par hasard qu'elles apparurent au moment où Breiz Atao ébauchait une dialectique révolutionnaire, où GwaLarn remettait le breton dans l'histoire.

Ces thè¬ses, énumérées plus haut sous la forme des divers arguments et stratégies bretonnantistes, reflétaient 1 '.état de symbiose qui caractérise le Mouvement Bre¬ton (voir p. 13), et contenaient néanmoins un embryon de synthèse dialectique, notamment dans le thème hemonien de "langue bretonne, langue de notre liber¬té", justifié par la base de production bretonne nou¬velle instaurée par le créateur de Gwalarn.

Pour des· raisons qu'il serait trop long d'exposer dans le ca¬dre de cette analyse, cet embryon de synthèse dialec¬tique cessa de se développer au début des années trente (nous avons eu un aperçu de la contradiction qui le barrait dans la théorie de Roparz HEMON, p. 16), et il fallut attendre la fin des années soixante pour que redémarre une dialectique capable de dépas¬ser les contradictions où demeurait figée l'idéologie nationaliste et bretonnantiste du second Emsav.

Mais c'est sous sa première forme, inadaptée, que cette idéologie a survecu dans les mouvements bretonnantis¬tes de l'apres-guerre, et son inadaptation n'a fait qu'augmenter avec le temps (comparons le degré d'adé¬quation avant et après la seconde guerre mondiale de thèses comme celle de la nocivité de la scolarisation en français ou de l'oppression culturelle des prolé¬taires bretonnants).

Notons que les bretonnantistes d'aujourd'hui se referent aux mouvements de libération nationale du Tiers-Monde, aux principes de l'UNESC028, reprenant pour cela les éléments d'idéologie de classe intro¬duits par SOHIER29 dans l'idéologie nationaliste du deuxième Emsav.

Mais les arguments empruntes au com¬bat de classe sont restés sous forme de placages sur le combat bretonnantiste, sans qu'aucune synthèse dialectique ne vienne dépasser l'absence de lien in¬terne; la creation d'Ar Falz, bretonnantiste-populiste, greffé sur le mouvement nationaliste (SOHIER fut mem¬bre du Parti National Breton30 jusqu'a sa mort en 1935), comme la création de Galv, bretonnantiste¬ progressiste, émanation d'Ar Fal" et de l'Union Démo¬cratique Bretonne, sont la concrétisation de cette hétérogénéité non dépassée entre la lutte de classe et le nationalisme.

Ceux qui prétendent situer le combat dans le cadre de la lutte des classes ont beau proclamer la "vocation nationale" de la Bretagne31, leur marxisme ne donne pas le moindre support théo¬rique ni pratique à leurs idées nationalitaires et ils sont réduits à opérer une jonction factice au niveau des emprunts idéologiques quand ce n'est pas phraséologiques; les bretonnantistes ont beau se ré¬clamer de la "démocratie culturelle", nous avons vu en quoi consiste la "culture populaire" en cause (pp. 22-23), mais eût-elle été une vraie culture nationale, on ne voit pas comment concilier avec la lutte de classe cet autonomisme culturel après les dénonciations répétées qu'en ont faites les théori¬ciens de la lutte de classe32•

En fait, les liens que l'idéologie bretonnantiste entretient avec les situations concrètes se situent tous dans le passe elle est le relais de l'idéologie nationaliste de l'entre-deux-guerres, dont les références aux situa¬tions d'alors étaient déjà presque entièrement fausses et inadéquates.

L'élément d) est évidemment la cause première de toute 'action bretonnantiste : les Bretons ne s'in¬téresseraient pas à leur langue comme ils le font sans leur patriotisme.

Parmi les bretonnantistes il faut distinguer deux catégories: 1) les "militants de la languell regrou¬pés dans Galv surtout, dont la connaissance du breton reste souvent rudimentaire, et dont l'action est cen- ; trée sur les revendications linguistiques 2) les "bretonnants conscients", ecrivains, linguistes amateurs

"0". '"''"''' """0' '00"'0' ,,, ,,'ci.Hm, '0 . breton et des celtistes de renom. La plupart d'entre eux se contente d'une satisfaction personnelle dans la production littéraire, philologique ou pédagogique et tous considèrent comme étant leur devoir de faire du prosélytisme.

Si l'activité intense et tranquille des "breton¬nants conscients ne tend vers aucune solution soci¬ale ou politique (la population les ignore ou sourit de leur passion innocente), il faut souligner que c'est grâce à l'armée silencieuse des linguistes et des écrivains qui lui ont donné sans compter le labeur de toute leur vie que le breton a fait en 80 ans les progrès techniques énormes nécessaires à son adaptation au monde moderne, - même si ce n'était pas là toujours le but des "amoureux du breton".

Cette rentabilité en chambre du travail littéraire et linguistique, la conscience de son importance à long terme; rend plus subtile l'illusion du combat culturel. Certes, une création authentique, littérai¬re ou autre, est à jamais révolutionnaire même si son ou ses auteurs n'ont pas conscience de la base de production révolutionnaire sur laquelle ils l'ont nécessairement conçue.

Or, 99 % de la production lit¬téraire et artistique est faite de répétitions, de variations, d'échos habiles du 1 % des créations authentiques, de sorte qu'une littérature peut sem¬bler en pleine floraison alors que la base de produc¬tion révolutionnaire dont elle sort a dépéri depuis longtemps.

Elle devient alors un mirage qui détourne du souci d'avoir une base de production révolution¬naire et en fait perdre la notion même. En cela, la "production" littéraire, et à plus forte raison phi¬lologique, recèle une illusion difficile à dissiper.

Si n'importe quel travailleur ne peut pas s'approprier les moyens de production économiques, politiques, sociaux, n'importe qui peut s'approprier la langue, - par conséquent la langue semble être le maillon faible de la chaîne, le plus facile a briser pour obtenir la libération.

Et le breton est bien ce sem¬blant de libération, une "libération spirituelle" au niveau des individus et des petits groupes, "¬témoin le bonheur des jeunes patriotes qui, le jour où ils en viennent à savoir la langue suffisamment pour "vivre en bretonl1,ont l'impression d'être entièrement affranchis du monde français. L' « opium » qu'est cette prétendue libération a été dénoncé maintes fois33•

Plus haut nous avons montré comment L'idéologie bretonnantiste était fausse et inadéquate dès Le début. Il n'est pas inutile de chercher pourquoi elle l'était. Les militants du second Emsav, entre Les deux guerres mondiales donc, étaient des petits-bourgeois ayant été francisés avant Les classes populaires34, c'est-à-dire qu'ils se trouvaient confrontés indivi¬duellement tant au monde traditionnel qui leur devenait étranger qu'au monde industriel dans lequel ils n'avaient aucun pouvoir.

Un tel individualisme de situation aide à comprendre l'individualisme de leur idéologie. Remarquons que VALLÉE encore sous l'influ¬ence du premier Emsav, à l'exemple et sous l'impulsion de l'Association Bretonne35, fut fondateur d'un Comité de Préservation du Breton en 1895.

Mais il délaissa rapidement cette action impliquant un soutien qui n'existait plus de la part des notables du pays. Pour Meven MORDIERN, Roparz HEMON, les écrivains de Gwalarn et les militants de Breiz Atao, transfuges du monde traditionnel ou étrangers à lui, individus sans pou¬voir dans le monde moderne, ils ne trouvèrent que la brèche du combat individuel : réduits à une production individuelle, il ne purent réaliser de lien social au niveau de l'acte même de production; ce qui les ame¬nait aussi à situer le lien national, ou du moins le lien de la bretonnité, au niveau des productions so¬ciales du passé, la langue notamment.

Une nation n'é¬tait pas pour eux une société dont l'unité se fait dans l'actuel par le travail social, elle était un ensemble d'individus essentiellement liés par un pa¬trimoine.

Ils concevaient le lien social au niveau des biens possédés, - la bretonnité étant elle-même un de ces biens: "Notre nationalité n'est-elle pas notre bien le plus cher ?" écrivait Roparz HEMON, - et non pas au niveau du travail créateur, source des biens et surtout de l'être social lui-même.

Cette expérience de la nationalité s'accordait avec l'idéo¬logie libérale, qui situe le lien social dans le pa¬trimoine et non dans le travail, qui met le pivot social dans le capital source de capital et non dans la production sociale source de société. L'idéologie explicite du deuxième Emsav est donc sans l'ombre d'un doute le nationalisme bourgeois.

Notons que Meven MORDIERN confiait toujours la victoire future du breton à des représentants de la classe bourgeoise, possédant l'argent et le savoir, et qu'il ne liait jamais cette victoire à un combat du peuple pour sa libération sociale ni même nationa¬le.

Roparz HEMON de son côté confiait le relèvement de la langue à des entreprises privées individuelles, - sur le modèle de l'entreprise libérale; il fondait sa stratégie sur cette illusion de l'idéologie libé¬rale qu'est la croyance en l'efficace des idées pour changer le destin; il croyait notamment que le destin de la langue dépendait d'un combat volontariste au niveau de la langue elle-même et des structures socia¬les qui lui sont attenantes (école, vie familiale, littérature, éditions).

C'est la vie sociale qui deve¬nait un aspect de la vie de la langue - on retrouve là encore l'inversion signalée plus haut comme parti¬culière au bretonnantisme. La stratégie de l'Etat'~ qu'elle soit celle des combattants de la langue" mettant en cause l'Etat français, ou celle des théo¬riciens de l'Etat breton, a la même origine que l'in¬dividualisme libéral de Meven MORDIERN et Roparz HEMON, à la différence près qu'elle se tourne vers l'Etat comme vers le remède à l'impuissance indivi¬duelle.

Toute l'idéologie bretonnantiste, celle des mouve¬ments étiquetés progressistes comme les autres, est issue du nationalisme bourgeois; celui-ci donne comme principe à la nationalité la défense d'un patrimoine, l'Histoire étant celle des luttes externes et inter¬nes des défenseurs successifs de ce patrimoine, - et non le travail social, créateur de la société et di¬rectement producteur de son histoire.

En tout état de cause, les conditions d'une victoire du nationalisme bourgeois dans un combat de libération ne sont pas réunies en Bretagne, - pour autant qu'elles le soient encore quelque part dans le monde.

Ce ne sont pas les défenseurs des ruines d'un patrimoine breton qui fe¬ront la Bretagne, mais le travail social conçu comme source de l'histoire de la société qui travaille,

C’est-à-dire comme travail révolutionnaire, s'il est une défense à assurer c’est celle des travailleurs par eux-mêmes et non celle d'un patrimoine.

La se trouve la raison profonde de l'échec des actions bretonnantistes et des actions du même type. L'impasse du combat culturel breton est le fait d'une transposition malheureuse du nationalisme bourgeois sur la poussée nationalitaire bretonne.

ORGANISATION REVOLUTIONNAIRE ET POLITIQUE LINGUISTIQUE .

L'organisation révolutionnaire de la poussée bretonne.

La poussée bretonne est donc loin d'être le fait d'une détermination explicite dictant d'elle-même l'action politique. Et en effet les actions politi¬ques qui se réclament d'elle ou bien résultent de placages où elle ne se reconnaît guère, ou bien, émanant d'elle, demeurent rudimentaires et incapables de lui fournir l'organisation dans laquelle elle prendrait forme historique.

JUSQu'ici les organisations exprimant la poussée bretonne n'ont pas débouché dans un acquis historique, dans la mutation irréversible de la structure d'une éventuelle société globale bretonne. Toutes, tôt ou tard, retombent à l'état inorganisé et leurs produits sont réincorporés par la poussée progres¬sante et « réutilisés » dans sa structuration.

Ainsi l'action culturelle de l'entre-deux-guerres s'ins¬crivait dans une action politique globale visant à la création d'un État breton. Le breton de Gwalarn, : base de la langue moderne, n'aurait certes pas vu le jour en dehors de cette visée d'une nation bre¬tonne indépendante. Comme on le sait; les organisations nationalistes de l'entre-deux-guerres ont tou¬tes été démantelées en 1944-1945. Or aujourd'hui dans l'ensemble de la poussée bretonne, qui dit langue bretonne dit langue de Gwalarn.

Celle-ci constitue une structure de la poussée elle-même et toutes les organisations ayant à voir avec le breton la prennent pour base, au point que se produisent des faits para¬doxaux tels que celui-ci: la langue née d'un mouve¬ment national breton, n'ayant donc de sens que dans le projet d'une société globale bretonne, donc d'un État breton, se trouve enseignée dans les écoles de l'État français, par des professeurs et à des élèves tous intégrés à la société globale française.

L'analyse du combat culturel breton montre assez le vice dont souffrent les organisations nées de la poussée bretonne et prétendant en être l'avant-garde et le cadre de développement. Toutes se fondent sur un complexe idéologique dont le schéma est bâti à contresens de l'idéologie dominante de la société française du moment, empruntant à ses ennemis quand ce n'est pas aux ennemis de la France.

Ainsi le clé¬ricalisme du Mouvement Breton du début du siècle s'opposant à l'anticléricalisme de la Troisième Ré¬publique, le fascisme des années trente, le gauchisme actuel; ainsi les thèses sur la francisation, la colo¬nisation, l'aliénation, toutes remarquables par leur indigence et leur réduction à des slogans figés.

La mise au jour du décalage entre motifs et causes réels et motifs et causes allégués montre le mécanisme de la constitution de ce complexe idéologique et de son hétérogénéité. Une fois constitué et servant de fon¬dement à l'organisation, il est en quelque sorte pris dans la masse et reste fige tant que dure l'organisa¬tion.

Le remettre en cause serait exposer l'organisa¬tion à s'effondrer. Pourtant, si elle ne s'effondre pas, elle dépérit tôt ou tard, car son idéologie, au lieu d'être le pont sans cesse refait entre l'action politique et les faits sociologiques dans toute leur richesse et leur mouvement, forme un écran opaque la condamnant à tourner en rond jusqu'à l'exténuation.

Pourquoi cette malédiction planant sur les organisations bretonnes? Des organisations françaises qui n'ont souvent pas un fondement idéologique plus étoffé ni plus explicite rencontrent un tout autre succès et font œuvre historique.

C'est qu'une action, du moment qu'elle se centre sur la poussée bretonne, se transporte à la marge non seulement des organisa¬tions politiques en place, françaises, mais surtout de la structure globale de la societe française.

Car celle-ci est radicalement incompatible avec une pous¬sée se voulant le mouvement de renaissance d'une so¬ciété globale bretonne.

Insistons sur le fait qu'il s'agit, non d'une incompatibilité politique, sujette à révision, mais d'une incompatibilité sociologique, radicale, mettant en cause, non un choix de ligne politique, mais une existence nationale.

De ceci la première conclusion a tirer est qu'une action politique bretonne est nécessairement révolu¬tionnaire, pour les raisons suivantes :

- elle implique l'incompatibilité radicale de deux sociétés globales, la société globale française où se trouve intégrée la population bretonne, et une société globale bretonne vers laquelle tend la pous¬sée bretonne

- Le but d'une organisation bretonne se situe plus profondément que les niveaux politiques, économiques, culturels, puisqu'il concerne la structure même de la société.

Se faire l'expression de la poussée bretonne, c'est, pour l'organisation révolutionnaire bretonne - prendre position en marge de la société globale française,

- assumer l'incompatibilité radicale de la poussée bretonne avec la société globale française,

- prendre dialectiquement en charge la progression de la poussée bretonne vers son aboutissement histo¬rique.

Prendre dialectiquement en charge signifie que lui incombe d'abord un travail de théorisation, à trois niveaux:

a) au niveau de la poussée elle-même sous forme d'une analyse sociologique continue de ce qui se passe en Bretagne

b) au niveau de l'organisation en tant qu'expression de la poussée, par une analyse de sa propre action

c) au niveau de l'idéologie dont cette action se réclame et qu'elle contribue à élaborer. Ces trois niveaux, loin d'être des compar¬timents étanches, sont les pôles entre lesquels cir¬cule le travail théorique.

Ainsi, si la sociologie de la poussée bretonne n'est encore qu'ébauche, ce serait une erreur de considérer que le travail révo¬lutionnaire doive attendre d'être en possession d'une connaissance exhaustive de son champ d'action pour commencer : au contraire, la connaissance sociologi¬que est en même temps le guide et le fruit du travail révolutionnaire.

La progression de la poussée bretonne vers son aboutissement historique consiste en la transforma¬tion de sa structure en la structure d'une société globale.

En cela, le rôle de l'organisation révolu¬tionnaire comporte deux objectifs: a) un objectif négatif : dénoncer les impasses en soumettant à la critique toute action où se concrétise la poussée (les siennes propres en premier lieu) afin d'amener la poussée à se radicaliser et à dépasser partout le stade de la symbiose b) un objectif positif : re¬pérer, accentuer, dégager les"éléments virtuels d'une structure globale nouvelle, aiguiller et renforcer les courants interne de la poussée dans la voie de la synthèse, ébaucher ainsi le travail d'édification d'une nation bretonne.

Ces deux objectifs sont étroitement liés dans leur champ d'action comme dans leur interaction.

Par exemple, la dénonciation de l'impasse du combat cul¬turel vise à en dégager les forces qui y sont immobi¬lisées (avec toutes réserves sur la récupérabilité de forces longtemps gelées), et surtout à détourner de cette impasse les forces montantes encore inenga¬gées. Et non seulement à les détourner de telle ou telle impasse existante, mais de toute impasse possi¬ble en développant en elles un réel esprit dialecti¬que.

Le mécanisme des échecs du Mouvement Breton appa¬raît maintenant plus clairement. Si la poussée bre¬tonne se situe à la marge de la société globale française, les Bretons dans lesquels elle se manifeste sont, eux, intégrés a cette société globale et à son système de production.

D'où une distorsion qui tant qu'elle persiste condamne toute tentative de concrétisation de la poussée bretonne. Comment échapper à cette distorsion? A priori deux voies paraissent possibles.

Ou bien revendiquer pour le "fait breton" une place dans la nation française, allant au-devant des projets de régionalisation du gouvernement; ce qui revient à considérer le "fait breton" comme un résidu nationalitaire et à lui octroyer un statut particulier consacrant sa maintenance passive dans le cadre de la vie sociale française.

Ou bien voir en la poussée bretonne une poussée nationalitaire prescrivant la réactualisation d'une société globale bretonne. Nous avons vu comment les choix individuels entre ces deux voies sont conditionnés par le fait collectif de la poussée bretonne elle-même.

Or précisément la plupart des organisations du Mouvement Breton ont rejeté la première voie : la poussée bretonne les porte bien au-delà des program¬mes de régionalisation.

Pourtant, loin de réduire la distorsion, elles s'y enferrent: bien qu'ayant rejeté la première voie, elles n'ont pas réalisé les implications de la seconde, et d'abord l'incompatibi¬lité radicale entre la poussée bretonne et la société globale française.

Elles prennent position dans les deux à la fois et continuent a revendiquer la recon¬naissance du "fait breton" dans l'ensemble français. Cette position intenable les contraint à agir à con¬tre-courant de la vie sociale française, à s'y voir repousser sans cesse vers la marge, à s'y cramponner à coup de revendications ambiguës et à garder pour toute idéologie un strict nécessaire de slogans in¬variables.

Elles sont réduites à travestir des luttes ressortissant à la dialectique interne de la société française en luttes externes entre un "peup1e breton" et ses oppresseurs étrangers.

Ainsi la grève du Joint Français est interprétée comme un combat breton sous prétexte que des manifestations nationalitaires sont venues se greffer sur la lutte de classe. Certes, la prise en charge de la poussée bretonne ne dispense pas dans l'immédiat de la lutte de classe en Bretagne.

Certes, la poussée nationalitaire n'arrivera à son terme que par les classes travailleuses bretonnes, et celles-ci développeront en elle une dialectique de classe.

Mais il importe de ne pas confondre une lutte de classe interne de la société globale françai¬se: avec une poussée nationalitaire bretonne margi¬nale â cette société.

L'une et l'autre progressent selon une dialectique interne.

A vouloir amalgamer les deux intempestivement par le biais d'une pseudo¬ dialectique externe mettant face à face un prétendu prolétariat national breton et un capitalisme oppres¬seur des travailleurs bretons comme de la nationalité bretonne, en tentant d'exploiter la lutte de classe en faveur de la poussée bretonne, on néglige entière¬ment la dialectique réelle de l'une comme de l'autre, on n'est plus que la mouche du coche de l'une et de l'autre. C'est bien la le rôle que jouent les orga¬nisations du Mouvement Breton.

Le travail des révolutionnaires est d'organiser la poussée bretonne la où elle est, c'est-à-dire a la marge de la structure globale française. Comment organiser un ensemble tel que la poussée bretonne se présentant au départ sous forme de passion patrioti¬que, d'aspirations, de courants d'idées?

Cet ensem¬ble idéologique n'a aucune prise sur les structures sociales du fait qu'il reste en marge du travail so¬cial, que ses porteurs sont intégrés au système de production français.

L'organiser consiste à l'engager dans une transformation continue qui le rend adéquat à la réalité socio-historique, cohérent en lui-même et mobilisateur.

Nous retrouvons là les trois niveaux du travail de théorisation implique par la prise en charge dialectique de la poussée bretonne.

En ce tra¬vail de théorisation consiste le travail social de l'organisation révolutionnaire. Celle-ci se conçoit et s'édifie en base de production révolutionnaire radicalement indépendante des rapports de production de la société globale française.

Il faut ici réfuter la conception qui traite en synonymes "travail social" et "travail économique", "production sociale" et "production économique", et qui voit la théorisation, l'action révolutionnaire comme des activités d'exception intervenant en quelque sorte du dehors sur le travail et la production.

Tout travail économique est certes un travail social, et toute production économique une production sociale, mais la prise en charge du mouvement des structures sociales, que ce mouvement soit la lutte de classe ou une poussée nationalitaire, pour être révolution¬naire n'en est pas moins un travail social.

Les transformations qui en résultent, pour être une pro¬duction d'histoire n'en sont pas moins une production sociale.

D'autre part, l'analyse de la production économique comme production de biens économiques est une analyse tronquée, elle aussi ne peut être menée correctement qu'en termes de production d'histoire.

Il est deux cas extrêmes de la production sociale. Nous avons mentionne le premier (pp. 5-6J : quand le travail ne se répercute pas directement et positive¬ment dans la production d'une histoire qui soit celle des travailleurs, et qu'il n'est plus que matière passive dans la production d'une histoire qui n'est pas la leur; il n'a plus pour eux alors qu'une valeur économique pure.

Le second cas est celui où, le sys¬tème concret des rapports de production économiques étant impraticable, la prise en charge du mouvement des structures sociales se fait en dehors de lui.

Un exemple courant est celui de la grève, qui est une accélération de la production d'histoire au travers d'un freinage de la production économique.

L'exemple¬ type, pleinement positif, est le travail révolution¬naire, qui se développe à côté du travail économique depuis une base de production an économique.

Remarquons que le premier cas est la condition du second : Les situations comportant une production anhistorique, désarticulée, appellent comme remède une production an économique, révolutionnaire.

La création d'une base de production révolution¬naire est la seule façon de redresser la distorsion qui rendait illusoire toute action bretonne.

La con¬tradiction qui persiste, au lieu d'être paralysante, constitue un puissant ressort de l'action révolutionnaire. Au plan individuel, cette contradiction appa¬raît dans l'écartèlement de l'existence de chaque révolutionnaire entre sa base de production révolu¬tionnaire et sa base de production dans la société globale.

Au plan collectif, elle apparaît entre le caractère de groupement particulier marginal qui est celui de l'organisation révolutionnaire et son objec¬tif de prise en charge globale.

L'organisation révo¬lutionnaire dépend entièrement d'un phénomène socio¬logique marginal qui est la poussée bretonne : cette situation de faiblesse est en même temps la seule situation possible pour prendre en charge dialectique la progression de la poussée bretonne, c'est-à-dire sa synthèse, sa radicalisation et, à terme, sa con¬crétisation en société globale bretonne.

Le dépasse¬ment de la contradiction implique de la part de l'or¬ganisation révolutionnaire un travail intense, conti¬nu et rigoureux de théorisation, la production d'une idéologie active, cohérente et totalisante.

La prise en charge dialectique de la poussée bre¬tonne par l'organisation révolutionnaire n'a de sens que comme ressaisie par les travailleurs bretons de la production d'une histoire qui soit la leur.

En cela, la lutte de classe en Bretagne comme mouvement de la structure globale française a pour les travail¬leurs bretons la dimension tronquée d'un combat éco¬nomique ne mettant pas en cause la désarticulation sociale, et ses victoires sont sans lendemain.

La lutte de classe ne peut avoir en Bretagne sa dimen¬sion complète historique qu'en tant que combat des travailleurs bretons pour la maîtrise non seulement de leur production économique, mais de la production de leur histoire.

Ils servent aujourd'hui de matière anhistorique dans une production d'histoire française et bourgeoise, mais quand bien même cette production serait française et prolétarienne - comme aussi bre¬tonne et bourgeoise et même bretonne et prolétarien¬ne - , tant qu'ils ne produiront pas leur propre his¬toire directement et positivement par leur travail, ils n'auront pas vaincu la désarticulation sociale et le travail révolutionnaire restera à faire.

La politique linguistique de l'organisation révolutionnaire bretonne.

Tout combat qui se réclame de la Bretagne sans mettre en cause la désarticulation sociale est sans issue. C'est la raison profonde de l'impasse du com¬bat culturel breton.

Il refuse la marginalité effec¬tive de la poussée bretonne et s'efforce d'établir un semblant de présence bretonne dans la vie sociale française (par le breton a l'école, a l'ORTF); ses succès dans cette entreprise ne corrigent en rien la distorsion de la bretonnité dans la structure globale française, mais la masquent seulement d'une contre distorsion.

Le semblant de bretonnisation de la base de production dans la société globale étant la cari¬cature d'une authentique base de production révolu¬tionnaire. Les tentatives de bretonnisation de la vie régionale française ont leur reflet idéologique dans la thèse selon laquelle le "problème culturel breton" est un problème politique.

Notons que les tenants du "combat économique breton" ont une thèse parallèle les problèmes économiques sont politiques en dernière analyse. Nous retrouvons la stratégie de l'état mentionnée plus haut (pp. 10-11). La croyance en une solution politique d'un "problème culturel breton", d'un "problème économique breton" est un symptôme de la désarticulation sociale et non un remède.

La désar¬ticulation affecte la structure même de la société globale, elle descend beaucoup plus profondément que le palier politique de la réalité sociale. Parler de solution politique, mettre en avant l'État, français ou breton, et de la conclure à la "nécessite d'une révolution" relève de l'escroquerie ou de la phraséologie : comme si la révolution n'était qu'un simple bouleversement politique ou étatique et non une re¬structuration totale de la société.

Aucun État ne fera une société bretonne s'il n'est devenu d'abord l'outil révolutionnaire que s'est fabriqué cette société bretonne dans son mouvement de réactualisa¬tion.

En cela, faire de la langue bretonne l'enjeu d'un "combat" culturel ou politique résulte de la même er¬reur d'appréciation.

Ou bien la langue bretonne est un élément structurel de la poussée bretonne et par la son destin est lie a celui de la poussée bretonne et elle est l'objet de la prise en charge dialectique de la poussée bretonne, ou bien elle n'est qu'une contingence de cette poussée, un folklore, et aucune action culturelle, politique ou étatique ne la sauve¬ra de l'élimination.

Aucun État, même breton, ne fera du breton la langue de la société bretonne si le breton n'est devenu d'abord l'outil du travail révo¬lutionnaire produisant cette société.

Contrairement à ce qu'avancent les bretonnantistes, le breton n'est pas forcement un bien pour les Bretons. En soi il est indifférent a la liberté. Il n'est un facteur de libé¬ration que dans la mesure ou il devient le capital d'une production d'histoire, et la production d'his¬toire en Bretagne passe par l'aboutissement de la poussée nationalitaire en une société globale breton¬ne.

En dehors de cette voie, le breton est ce que la population bretonne a juge qu'il était : Un handicap a faire disparaître. Et c'est bien se moquer des Bretons que de publier comme le fait Galv que quand l'Etat français aura octroyé un "statut officiel à la langue bretonne", ce statut "aura des effets dé¬cisifs quant a la désaliénation du peuple breton"36.

Les révolutionnaires reconnaissent dans le breton un élément structurel de la poussée bretonne. Prendre celle-ci dialectiquement en charge fait du breton leur langue et la langue de base de leur travail. Apprendre le breton fait partie de la première étape de leur formation.

Ils ne reconnaissent à la langue bretonne aucune autre place, et ils dénoncent notamment l'im¬passe de tout "combat culturel", que celui-ci vise à rebretonniser un secteur de la vie régionale française ou la vie nationale d’un projet d'État breton. En ces points fort simples réside toute la politique linguis¬tique de l'organisation révolutionnaire bretonne.

NOTES

l. Les articles dont provient la matière de la presente publication sont notamment : Dafar evit istor an trede Emsav, Emsav 1971; Ar vrogarouriezh evel danvez kevredadel, Emsav 1971; Kevarzhelezh hag Emsav; Diskouez an Emsav d'an dud, Emsav 1972.

2. Un exemple contemporain de l'action compa¬rée des différents facteurs entrant en ligne de compte dans l'évolution d'une société est le Pays basque divisé en ses deux parties, Nord (française) et Sud (espagnole). Les évolutions différentes des deux fractions sont loin de s'expliquer par les seuls facteurs politiques étatiques.

L'importance qu'a eue la bourgeoisie nationale basque du Sud et l'industrialisation qui a été son œuvre a don¬né au mouvement national basque du Sud une impul¬sion et un caractère de modernité qu'on ne trouve pas dans le Nord (Emsav 52/118-122 1971).

3. Meven MORDIERN (1878-1949), un des créateurs du breton moderne, promoteur de la langue scientifique, il fut le premier celtiste a écrire toute son œuvre en langue bretonne; auteur de nombreux ouvrages d'érudition, d'histoire, d'archéologie (Notennoù diwar-benn ar Gelted kozh, 1911-1924; Istor ar Bed, 1929-1938; Prederiadennoù diwar¬benn ar yezhoù hag ar brezhoneg, 1935-1936, etc.); en collaboration avec F.VALLÉE et É.ERNAULT il publia en 1923-1925 Sketla Segobrani, long roman mythologique, odyssée celtique en prose, considéré aujourd'hui comme le texte de base de la langue littéraire .

4. Prederiadennoù ... op. cit., V, Gwalarn 86 1936.

5. J.F.M. LE GONIDEC (177s-1838), grammairien et lexicographe; ses efforts lucides pour l'uni¬fication de l'orthographe et du vocabulaire, pour la rationalisation de la grammaire préparèrent l'avènement de la langue et de la litterature bre¬tonnes modernes; ses principaux ouvrages furent la Grammaire Celto-Bretonne (1807),un Dictionnai¬re Français-Breton (1847), un Dictionnaire Bre¬ton-Français (18s0), une traduction de la Bible (1866).

6. Fransez VALLÉE (l860-1949), surnomme "Tad ar brezhoneg" (le père de la langue bretonne), il a fait sortir celle-ci de ses siècles d'indigence et l'a rendue apte à faire face aux nécessites du vingtième siècle.

Il consacra soixante-dix années de sa vie exclusivement à l'enrichissement du bre¬ton; il sut faire la synthèse de la langue histo¬rique et des parlers populaires et de gager les principes d'un développement dirige de la langue moderne en fonction des besoins. Il colla¬bora pendant quarante ans avec M.MORDIERN et É. ERNAULT - avec eux il composa les Sketla Segobra¬ni, considère maintenant comme le texte de base de la langue littéraire; le fruit de ses travaux est rassemble dans le Grand Dictionnaire Français ¬Breton dont il entreprit la publication en 1931.

7. L'influence de Meven MORDIERN fut prédominan¬te sur le mouvement culturel breton de l'entre ¬deux guerres. Donnant en exemple le courage et la persévérance de peuples partis de peu et finissant par imposer leur langue a une grande partie du monde (les Latins"les Anglais, etc.), il raviva la foi des militants culturels en l'avenir de leur combat, et en même temps les confirma dans leurs tendances élitistes.

8. Roparz HEMON (1900- ), chef de file du pre¬mier mouvement littéraire moderne breton, à la fois poète, dramaturge, romancier, essayiste, lin¬guiste, grammairien, lexicographe; son œuvre prin¬cipale, la revue Gwalarn (16s numéros parus entre 1925 et 1944), fut le foyer et reste la source de pratiquement toute la production littéraire bre¬tonne depuis la première guerre mondiale.

En pres¬crivant aux écrivains de prendre le monde entier comme horizon de leur activité créatrice, il déli¬vra la littérature bretonne de l'enclos provincial d'une Bretagne asphyxiée par une France vivant en autarcie culturelle. Depuis 1945, Roparz HEMON vit à Dublin où il se consacre surtout à des travaux de philologie, notamment a la publication du Dic¬tionnaire historique du breton (1958- ). Son livre Ur Breizhad oc'h adkavout Breizh (Un Breton retrou¬ve la Bretagne) (1931) marqua profondément, et marque encore, l'idéologie de la poussée nationa¬litaire bretonne.

9. Youenn OLIER (1923- ), essayiste, romancier, poète et critique litteraire, il tenta de regrou¬per les patriotes après le démantèlement du mouve¬ment national breton en 1944-1945, et eut un rôle important dans l'élaboration de l'idéologie natio¬naliste des années 1950 en maintenant, contre les régionalistes, les culturalistes et les "économis¬tes", robjectif d'un Itat breton de langue bretonne.

I0. Ar Falz, Bulletin mensuel des instituteurs la~ques partisans de l'enseignement du breton, fonde en 1933 par Yann SOHIER (1901-1935), cessa de paraitre entre 1939 et 1945; etroitement lie au mouvement nationaliste jusqu'a la guerre, Ar Falz reclamait l'autonomie culturelle et citait en exemple la politique culturelle soviétique.

Depuis 1945, l'organisation se cantonne dans les revendi¬cations à court terme, tenant à se démarquer de tout nationalisme en proclamant son loyalisme français et son progressisme; elle est l'un des promoteurs de Galv, Comité d'Action Progressiste pour la Langue Bretonne.

11. "Il Y a peu d'exemples dans l'histoire d'as¬servissement aussi pleinement consenti.

"Alors qu'elle a atteint au xxe siècle une pros¬périte économique enviable la Bretagne n'a guère progressé «intellectuellement» contrairement a tant de petites nations, hier inconnues, aujour¬d'hui grandes et célèbres par leur culture.

"Condamné à traîner comme un boulet une langue maternelle inculte et méprisée, condamne à ne pou¬voir s'exprimer que dans un français de mascarade le peuple breton semble arrêté dans son développe¬ment intellectuel. Il traverse une grande crise morale.

"Cependant c'est un peuple encore sain et pro¬lifique et c'est aussi celui parmi lequel l'alcoo¬lisme et la tuberculose exercent leurs plus effroyables ravages. C'est une race d'artistes et de ·poètes, une des plus spirituelles de l'Europe et c'est en même temps une race d'illettrés.

"La domination politique de la France en a fait un peuple de domestiques, sa domination linguisti¬que en a fait un peuple d'esclaves.

"La langue française a rejeté la Bretagne loin des traditions nécessaires du passe, elle l'a pous¬sée vers une civilisation décadente à laquelle elle ne peut s'adapter et dont elle ne connaît que les formes les plus corrompues.

C'est elle qui élève une barrière entre nous et le monde, c'est elle qui nous isole â la pointe extrême du monde civili¬se comme en une prison sans issue et mieux que ne le ferait l'oppression politique la plus tyranni¬que.

"La Bretagne ne se libérera vraiment de l'em¬prise intellectuelle française que par la conser¬vation et l'étude de sa langue. C'est elle la clef de notre prison. C'est par le breton devenu un instrument de culture que pourra se faire le re¬dressement culturel de notre race et que la Breta¬gne pourra regarder le monde et réaliser tout son destin.

"Si le peuple breton ne conquiert pas cette li¬berté essentielle du «droit a la langue» qu'ont obtenu ses frères de couleur, s'il persiste à res¬ter par une sorte d'anachronisme social le peuple qui ne sait pas lire sa langue, il sera balaye de la carte du monde.

"Et, alors que l'avenir sourira aux descendants de Cham et aux enfants de Batouala, le vieux peuple Armoricain disparaîtra, n'ayant pas su vouloir assez puissamment son autonomie culturelle." Ar Falz, n° 10, pp. 92-93, décembre 1933.

12. "Aussi nous voulons l'enseignement du breton, non pour une minorité, mais pour tous les Bretons. Nous voulons, comme c'est notre droit imprescripti¬ble, que l'école du peuple en Basse-Bretagne soit l'école du peuple breton.

A ceux qui veulent main¬tenir l'enseignement exclusif du français dans nos écoles par l'argument: « Et ceux qui partent ? » nous répondrons: « Et ceux qui restent ? » c'est-¬à-dire la masse condamnée a parler un français de mascarade, le "galleg ar sul" qui fait de nos pay¬sans, maIgré leur intelligence, des diminués.

"Ce droit, il faudra bien nous le donner, car au-dessus des frontières impérialistes, tel un phare, l'U.R.S.S. libérant par le canal de la lan¬gue maternelle ses minorités abruties hier par la russification, éclaire le peuple breton, lui montre l'avenir et guide ses espoirs." Ar Falz, n° 8, p.67, octobre 1933.

"En même temps que les réformes sociales, la liberté culturelle - «le droit a la langue »- est nécessaire au peuple breton pour être vraiment li¬bre.

"Une révolution sociale qui ne nous accorderait pas le droit a l'enseignement en langue maternelle ne ferait pas chez nous la révolution des esprits. »

"La révolution doit parler breton, sinon elle n'apparaîtra seulement au peuple de Basse-Bretagne que comme une forme nouvelle de son oppression sé¬culaire." Ar Falz, n° 11, p .I05, janvier 1934.

"Le prolétariat breton ne trouvera-t-il donc jamais les véritables défenseurs de ses intérêts ? Socialistes, syndicalistes et communistes bretons ne seraient-ils donc que des petits bourgeois se désintéressant de la paysannerie?

Et celle-ci, embrigadée par un clergé prêchant la résignation et le loyalisme français, trompée par les bourgeois radicaux super patriotes, descendants dégénérés des jacobins de 93, aurait-elle enfin perdu sous la férule des magisters de village la vieille tradi¬tion révolutionnaire bretonne qui faisait autre¬fois les paysans se jeter comme des loups sur les soldats du roi et a l'assaut des villes et des châteaux?

Et n'aurions-nous tous, après des siè¬cles d'oppression militaire, politique et culturel¬le, que des âmes de valets ?" Ar Falz, n° 11, pp.

lO8-I09, janvier 1934.

"Nous avons pris connaissance, au début du mois dernier, dans la presse régionale, d'une très im¬portante pétition de la population de Guerlesquin réclamant l'introduction de l'enseignement du bre¬ton dans les écoles.

Cette pétition a été organisée sur l'initiative du fervent celtisant, le docteur Jean Le Cam, avec la collaboration du poète populaire breton bien connu CharIes Rolland (l'auteur de la première adaptation en breton de l'Internationale).

"() Quelques courtes mises au point sont de notre part indispensables à son propos.

« A) D'abord, sur ses conclusions, sur les re¬vendications qu'elle avance (et c'est l'essentiel du document) :

« 1° Enseignement du breton dans les écoles primaires du pays bretonnant. - La revendication est très vague, très générale, imprécise sur le nombre d'heures de breton réclamées, - muette sur l'emploi du breton au début de la scolarité, dans les petites classes, - etc., et sur les buts mêmes de cet enseignement breton. Le breton étudie pour lui-même, et non pour faciliter l'apprentissage du français, c'est ainsi que nous interprétons la pé¬tition, et c'est aussi notre thèse.

"2° L'épreuve prévue pour le breton au C.E.P. n'est qu'une épreuve orale (). Il est indispensa¬ble que l'école apprenne au petit bretonnant a écrire dans sa langue.

" 3° Admission du breton dans les examens et concours, demande Guerlesquin. Nous réclamons, nous, le breton obligatoire pour tous les concours admi¬nistratifs en Bretagne (c'est-à-dire pour les candidats a des postes publics en pays bretonnants).

() Nous trouvons le programme des petitionnaires insuffisant, trop minimum; il n'en reste pas moins que si satisfaction leur était accordée, un grand pas serait fait - le premier - dans notre voie.

" B) Par contre, nous devons faire les plus ex¬presses réserves sur nombre de points de l'argumen¬tation, en trente-trois paragraphes, qui précède les conclusions de cette pétition. Le docteur Le Cam y avance, - y entasse sommes-nous tentes de dire, - une foule de « raisons » de tous genres et de toutes provenances.

Contre certains de ces pré¬tendus arguments nous ne pouvons pas ne pas nous élever. Nous n'admettons pas, par exemple, que l'on se serve des centaines de milliers de cadavres qu'a valu a la Bretagne la "guerre du Droit et de la Justice", - pour protester du patriotisme des Bre¬tons, pour jurer que les Bretons sont les premiers des Français ( !!!).

Il y a peut-être une certaine habileté a réclamer la mise en application chez nous des principes pour lequel l'impérialisme fran¬çais prétend avoir fait la guerre, pour prix des sanglants sacrifices imposés au pays breton, - mais nous goûtons fort peu ce genre de raisonnements¬marchandages.

Nous disons que c'est une honte que l'on essaie de tirer de l'esclavage du peuple bre¬ton par l'impérialisme français et le capitalisme, une raison de plus pour appuyer son droit a culti¬ver sa langue. Nous protestons contre cette utili¬sation d'arguments nationalistes français pour la cause du breton. ()

" ... Ce n'est pas non plus en raison de ses "titres de noblesse", parce que vieille langue, respectable vestige du passé, que nous revendiquons pour le breton le droit a l’enseignement, que nous luttons pour sa rénovation et sa reconnaissance par l'État." Ar Falz, n9 14, pp. 149-152, avril 1934.

"La réforme culturelle dans l'U.R.S.S., - une des reformes qui fait le plus honneur au clair génie de Lénine et à son sens politique, - accor¬dant a plus de 60 minorités le droit révolutionnaire" d'être instruits dans la langue maternelle, a tué dans l'œuf les mouvements autonomistes naissants de ces minorités sous le régime tsariste.

De l'avis de tous, cette réforme, se substituant à la politi¬que d'assimilation qui menaçait de durer des siècles, a permis en vingt ans de liquider l'analphabétisme et d'élever à un niveau culturel qu'envierait la Basse-Bretagne certains de ces peuples, hier encore illettrés et a demi sauvages.

"En demandant l'entrée du breton dans.l'ensei¬gnement, en demandant pour le peuple breton ce droit reclame par Bebel d'être instruit dans la langue de ses peres, nous voulons préparer sincèrement le relèvement culturel du peuple breton et compléter la révolution sociale de demain.

En cela nous nous sentons pleinement révolutionnaires." Y.SOHIER, Responsable d'Ar Falz, instituteur syndi¬qué unitaire, membre de la ligue contre l'Impéria¬lisme et l'oppression coloniale, Populaire de Nantes, 25-11-34, republié par Ar Falz, n° 21-22, p.239, janvier-fevrier 1935.

13. "La social-démocratie désapprouve le mot d'ordre d’autonomie nationale culturelle" (ou sim¬plement "nationale), ainsi que les projets tendant a la réaliser. En effet, ce mot d'ordre est absolu¬ment contraire à l'internationalisme de la lutte de classe du prolétariat, - aide à entraîner le prolé¬tariat et les masses laborieuses dans la sphère d'influence des idées du nationalisme bourgeois, ¬peut se tourner de la tâche de transformation démo¬cratique conséquente de l'Etat tout entier, trans¬formation qui seule peut assurer (dans la mesure où cela est en général possible en régime capitaliste) la paix nationale." V.LÉNINE, Thèses sur la ques¬tion nationale, 1913, Œuvres, t. 19.

"La signification du mot d'ordre de la "culture nationale" ne dépend pas des promesses ou des bonnes intentions de tel ou tel intellectuel de pacotille désireux d'"interpréter" ce mot d'ordre "comme un moyen de propager la culture internationale".

Cette façon de voir serait un subjectivisme puéril. La signification de ce mot d'ordre découle de la situation et des rapports objectifs de toutes les clas¬ses d'un pays donne et de tous les pays du monde.

La culture nationale de la bourgeoisie est un fait (). Le nationalisme bourgeois militant, qui abêtit, décervelle, désunit les ouvriers pour les placer sous la houlette de la bourgeoisie : tel est le fait essentiel de notre temps.

"Quiconque veut servir le prolétariat doit grou¬per les ouvriers de toutes les nations et lutter sans défaillance contre le nationalisme bourgeois, qu'il s'agisse du sien propre ou des autres. Qui¬conque défend le mot d'ordre de la culture nationale a sa place parmi les petits bourgeois nationa¬listes, et non parmi les marxistes." V.LÉNINE,

Notes critiques sur la question nationale, 1913, Œuvres, t. 20.

Cf. aussi Ar varksourion hag ar vroad, III.¬-V.I.LENIN, Emsav 39/71-95 1970.

14. "Vous dites: « Le breton se sauve, arrêtons ¬le". Soit. Mais vous êtes-vous demande pourquoi il s’en va ? Vous demandez-vous pourquoi le paysan, qui faisait le beurre autrefois dans un ribot de bois, emploie actuellement une écrémeuse mécanique ? La question ne se pose même pas. Le Breton a maintenant à sa disposition, pour baratter ses pensées, un outil moderne et perfectionné, qui est le français. Le vieux ribot, "il n'en a plus besoin". Et comme dans sa ferme, il n'y a pas place pour une salle de musée, il le met au feu. Vous voudriez qu'il garde son vieux ribot. Vous lui parlez de sentiment patriotique, de glorieuses traditions, d'esprit de race; bref, d'un tas de machines dont il n'a jamais entendu parler comme bonnes pour faire son beurre.

Ce qu'il faut donc, pour qu'il emploie encore son vieux ribot, c'est le perfectionner, le moderniser de telle manière qu'il trouve, à l'employer, autant d'avantage qu'a se servir de la machine nouvelle, ou tout au moins presque autant. ()

"Et l'on en arrive toujours a cette conclusion, que le peuple breton n'aimera sa langue, et, par suite, ne tiendra à la conserver, que quand il la verra estimée et pratiquée par la classe instruite, la classe bourgeoise avec laquelle, de plus en plus, il se trouve en rapports, et qui est l'objectif ac¬tuel de son évolution.

Pour cela, il n'est nullement indispensable que les bourgeois apprennent le breton il suffit que ceux qui ont déjà évolue ne l'oublient pas, le gardent en estime et le pratiquent délibérément." Tanguy MALMANCHE, introduction à La Vie de Salaün, pp. X-XI, 1926.

15. D'après le recensement de 1959, il n'existe en U.R.S.S. aucune nationalité dont tous les membres déclarent avoir leur langue nationale pour première langue. Par exemple, 99,8 % des Russes, 92 % des Tatars, 75 % des Allemands ont leur langue pour langue maternelle.

Dix millions de non Russes décla¬rent avoir le russe pour première langue. Les résul¬tats du recensement de Juin 1959 en U.R.S.S., Notes et Études Documentaires, 21 janvier 1961.

16. Meven MORDIERN, Talar an Hoc'h, Preder 57/17 1964.

17. Roparz HEMON, A-enep ar gelennadurezh divyezh¬ek, Breiz Atao 1925, in « Ur Breizhad oc'h adkavout Breizh », deuxième edition, p. 130, 1972.

18. Roparz HEMON, id. ibid., pp. 129-130.

19. "Il nous faut quelques écrivains qui aient

le courage d'écrire sans attendre d'être lus, même par les gens instruits, qui écriront pour cinquante, ou vingt, ou dix lecteurs ou pour eux seuls peut-être. () Créer une littérature distincte de la lit¬térature populaire. () Alors seulement la Bretagne aura une littérature qui en sera une. Aucun besoin pour elle de reprendre les sentiers battus. ()

Et si elle n'est pas "bretonne" comme notre pseudo littérature à demi française, () qu'importe? Elle sera assez bretonne puisqu'elle viendra du fond du cœur de Bretons pour leurs frères." Roparz HEMON, Lennegezh, Breiz Atao 1924, in Ur Breizhad oc'h ... , op. cit., pp. 50-SI.

20. Roparz HEMON, A-enep ar ... , op. cit., p. 129.

21. On divise fréquemment l'histoire du mouvement national breton, ou Emsav, en trois périodes : avant la première guerre mondiale (premier Emsav) , entre-deux-guerres (second Emsav) , après la deuxiè¬me guerre mondiale (troisième Emsav).

22. Kuzul ar Brezhoneg est un groupement crée en 1957 par les directeurs de onze associations natio¬nalistes culturelles (éditions, revues, organisa¬tions d'enseignement, etc.) pour "soutenir de tou¬tes les façons le travail fait pour la langue; pro¬pagande, collectes de fonds, défense des droits du breton unifié".

La raison de la constitution de ce groupement était le soutien accordé aux associations qui avaient déclare leur loyalisme à l'Etat français après la seconde guerre mondiale. Ces dernières bénéficiaient notamment du droit d'organiser une quête annuelle dans l'ensemble de la Bretagne.

L'or¬thographe était alors le symbole de ralliement. Les "loyalistes" avaient pour les besoins de la cause adopté une nouvelle orthographe, dite "universi¬taire", elaboree par le Chanoine FALC'HUN à qui fut confiee la chaire de celtique à l'Université de Rennes.

23. Galv, Comité d'Action Progressiste pour la Langue Bretonne fut crée en 1969 par Ar Falz (cf. note I0, p. 5I), la Jeunesse étudiante Bretonne et l'Union Démocratique Bretonne afin "de coordonner leurs efforts concernant l'action culturelle bre¬tonne". L'objectif des revendications est l'intro¬duction du breton dans l'enseignement et à l'ORTF.

24. Breiz Atao, périodique politique crée en janvier 1919, d'abord régionaliste, puis nationa¬liste breton dès 1920, fortement marque par les personnalités de O.MORDREL et F.DEBAUVAIS; il fut le symbole et le lieu de ralliement des nationa¬listes bretons jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. Cf. "Breiz Atao" et la dialectique de libération, ESB 2, 1970; Aperçu des rapports entre l'Emsav et l'évolution économique et sociale de la Bretagne, ESB 5, 1971.

25. On trouve ce problème évoque dans le Projet d'instruction pour l'enseignement du français à l'école élémentaire, par M. l'Inspecteur Général ROUCHETTE (Institut Pédagogique National) 1970.

26. Nous rencontrons ici un autre thème exploi¬té par certains militants culturels : le bilin¬guisme. L'exposé le plus développé de ce thème est la thèse de doctorat de A.LE CALVEZ : Un cas de bilinguisme: le Pays de calles, composée apparem¬ment dans le but de prouver les avantages du bi¬linguisme, et qui en fin de compte ne démontre qu'une seule chose: comment un peuple de militants culturels va d'échec en échec parce qu'il a refusé jusqu’à présent la seule voie, l'action révolution¬naire globale.

Ce n'est pas de rendre bilingues les peuples et les classes opprimés qui importe, mais de les libérer: Pour cette libération, le natio¬nalisme bourgeois que les militants culturels bre¬tons et gallois s'obstinent à professer a depuis longtemps perdu son efficacité.

27. "Breiz Atao" et la dialectique de libération, ESB 2, 1970; Aperçu des rapports entre l'Emsav et l'évolution économique et sociale de la Bretagne, ESB 5, 1971.

28. Cf. L'emploi des langues vernaculaires dans l'enseignement, UNESCO 1953; Déclaration sur la race et les préjugés raciaux, UNESCO 1967.

29. Yann SOHIER (1901-1935), fondateur d'Ar Falz, cf. les notes I0 et suivantes (pp. 51 et s.).

30. Le Parti National Breton, né en 1931 d'une transformation du Parti Autonomiste Breton crée en 1927, indépendantiste et "neutre sur les ter¬rains social et politique", disparut en 1944.

31. Cf. Charte de l'U.D.B., Le Peuple Breton l/l 1964.

32. Cf. notamment les textes cités ci-dessus dans la note 13 (pp. 56-57).

33. Cf. Youenn OLIER, Opiom an Emsav, Preder 24-25/55-72 1961.

34. On trouvera une étude sociologique des rap¬ports entre les différentes classes sociales en Bretagne et le mouvement national breton dans Aper¬çu des rapports…, ESB 5, 1971.

35. L'Association Bretonne, créée en 1843 par des représentants de la noblesse, de la riche bourgeoi¬sie. et du haut-clergé, la plupart gros propriétaires terriens, contribua a développer l'agriculture bretonne en favorisant entre autres l'introduction de nouvelles techniques et de nouvelles cultures.

36. Cf. Livre blanc et noir de la langue bretonne, Galv 1969, p. 45.

ESB. 7. 1972.

______________________________________________________________________________________________________

Yann-Ber TILLENON. KERVREIZH.