LA LANGUE ET L'ESPRIT

Au mois d’août 1966, (je n’avais que 18 ans…). J’étais prêt à tout casser…… J’étais en vacances à Lannilis, pays de mes ancêtres… J’avais peint en grandes lettres noires, sur le mur de la graineterie « Briand », face à la sortie de l’église, pendant la nuit du 14 au 15 : « Les Français dehors ! ». J’étais fier de ma « provo », de mon « exploit libérateur ». J’étais gonflé à bloc à l’époque , en pensant à la sortie de la messe du 15 août!...

Résultat : Le lendemain, les anciens discutaient entre eux, outrés, et j’ai entendu dans leur français du moment: « …où qu’c’est t’i qui veulent qu’on aillent ?... ». En ce temps j’étais patriote, « nationaliste », conservateur un peu illuminé... Ce que je ne suis plus aujourd’hui. J’ai donc commencé à me poser pas mal de questions. Elles m’ont conduit, deux ans plus tard, après l’armée en Polynésie, tout droit à Emsav Stadel Breizh, (Mouvement Étatique de Bretagne).

C’est là, dans ce lieu génial de travail, de création de l'Emsav, que j’ai commencé à trouver pas mal de réponses pendant quelques années dialectiques, avant de participer au mouvement des jeunes du PSU puis des « autonomes » à Paris. Mais la route est longue, même si les artistes vieillissent moins rapidement puisqu’ils s’élèvent au-dessus du monde physique, temporel et se rapprochent, un peu, du métaphysique atemporel… 35, 40 années ont passées. Je commence à fatiguer et à être un peu « déçu » par les "Bretons pur beurre".

Je trouve, en effet, vraiment dommage d’être trop souvent confronté à des « intellectuels ». Ce qui les caractérise c’est la dérobade », le « virtuel ». Ils ne mettent pas en pratique leurs convictions. Ils peuvent dire tout et le contraire de tout puisque cela n'a aucune conséquence pratique dans leur vie concrète. C’est désolant. Beaucoup pourraient devenir des gens déterminant, politiquement, dans l’Emsav, donc dans l'histoire s’ils se débarrassaient du Français qui est en eux.

Les “intellectuels”, surtout en France (Bretagne comprise…) où ils sont apparus, depuis les “illuminés” du siècle des lumières, voient tout dans l’abstrait. Ils finissent toujours par trahir. Ils se justifient avec la vaseline des idées pour endormir et violer leurs victimes!... Il faut une mise en application! Il faut que la majorité appliquent ses convictions concernant notre langue de l’Emsav, le néo breton moderne. Sinon cette majorité restera toujours dans l'ambiguïté, ce qui est source d’hypocrisie, donc d’équivoques, de confusions, de conflits, de fâcheries.

L'homme est la reproduction du cosmos. Rien ne se fait dans l’histoire, (sur terre, dans le monde physique, matériel) en dehors de l’intervention de l’esprit (du ciel, du monde métaphysique, spirituel) par l’intermédiaire du véhicule psychique, émotionnel (atmosphère) de l’âme, donc de l’am-our, (âme en action), de l’am-itié.

C’est pourquoi à mon avis, les amitiés solides n’existent que dans le même idéal commun (monde de l’esprit). Il y a alors transparence des relations, en toute franchise, parce que l’idéal est constitué par l’intervention de l’esprit, donc de l’Être. Ce dernier étant au dessus des conflits matériels, donc des personnalités égoïstes, narcissiques avec leurs orgueils et susceptibilités, il permet de les transcender !.... Les hommes spirituels travaillent avec l’esprit. Les intellectuels travaillent avec le mental, la réflexion, non pas avec l’esprit, l’inspiration. Le mental fait barrage à l’esprit. Il « réfléchi » donc il le « renvoie ».

Dans tous les pays nous retrouvons les trois étages, le "physique/matériel" (territoire), le "psychique/émotionnel" (société), le métaphysique/spirituel (État). C'est l'État qui fait vivre tout pays dans l'histoire de l'humanité. L’esprit s’exprime par la langue. Toute langue n’est-elle donc pas la langue d’un “état d’esprit et ne doit-elle pas incarner “l’esprit d’un État” ou dépérir?... De la même manière, en utilisant le français, en ce moment, est ce que je n’incarne pas la langue de l’État français, de la République et de sa révolution ? Quand j’utilise le breton moderne, est ce que je n'incarne pas la langue de l’État “breton”, de “Breizh”, de sa révolution, donc de l’Emsav et non pas la langue de “Bretagne” qui est le français ?... "Esprit", "État", "langue" ne sont-ils pas une trilogie indissociable?

Cette approche du rapport entre "État, langue et esprit" est capital à mon avis. Elle permet d’y voir plus clair, je pense, dans tout le fatras des idées concernant l’identité, l’ethnie, la race, le peuple etc... Je crois que l’importance donnée à l’aspect racial, visible, physique, matériel, « animal » des hommes est une vision matérialiste, zoologique de l’homme, issue d’un manque de savoir, de connaissances, d'éducation, donc d'"élévation" (educere = élever...).

Cette « importance » n’’intervient-elle pas pour donner une identité par facilité, primaire, en donnant une importance au premier degré, aux apparences et non plus aux compétences ? N’est-ce pas pour cette raison que l’écrasante majorité de ceux qui sont dans cette démarche n’apprennent jamais le breton moderne? N’est-ce pas aussi parce qu’ils n’en ressentent pas le besoin, puisque leur esprit de « Bretagne » est français, comme leur langue française?...

Cette démarche n’est elle pas inversement proportionnel à l’importance donnée à l’aspect invisible, métaphysique, spirituel, surhumain qui doit être incarné dans l’État philosophique, dans l’Emsav, issu d’une formation philosophique poussée, qui permet de comprendre notre positionnement dans l’évolution de l’univers et de l’humanité?.

Notre identité, notre « race », si « race » il y a, notre famille, ne doit-elle pas être celle de notre famille philosophique, notre “race de l’esprit”, donc de notre langue? Les origines physiques, matérielles n’ayant alors plus grande importance? N’avons-nous pas plus de points communs avec des Africains ou des Asiatiques de même état d’esprit que le nôtre, surtout s’ils apprennent le breton moderne, qu’avec certains “Bretons pur beurre”, ces Français, qui n’apprendront jamais la langue de l’Emsav, de Breizh ?...

Yann-Ber TILLENON.