Vécu, Voie et Conception du Monde

par Yann-Ber TILLENON

Il est à la mode aujourd’hui de se dire « philosophe », quand on n’est qu’un simple publiciste, ou un spécialiste de la politologie ou de la sociologie.

De même fleurissent les “ cafés philo” où l’on déclare philosophie de simples discussions politiques ou morales de bistro. Tout cela n’est que de la parodie. De même, l’étude scolaire des écrits et des systèmes des philosophes ne rend pas pour autant philosophe. Et la majorité des “ profs de philos ” ne pratiquent pas la philosophie. Car les vrais philosophes ne sont certainement pas des intellectuels.

L’intellectuel disserte sur des idées, met en forme des opinions (généralement à connotation politique) mais ne met pas en pratique les valeurs qu’il défend. La philosophie, elle, suppose que l’on “vive en philosophe ”. Au delà et derrière les systèmes théoriques des philosophes, il y a toujours une Voie qui, dans la philosophie antique comme en Orient est parfois initiatique.

Comme l’écrit Pierre Hadot ( Qu’est-ce que la philosophie antique ?) : reprendre ici citation P. 7 On le voit : une école philosophique ou un système philosophique ne peuvent pas se réduire à des “réflexions” intellectuelles, mais constituent toujours la tentative de construire une conception du monde, ce qui n’a rien à voir avec une idéologie.

L’intellectuel idéologue défend un système d’idées, souvent politico-économico-moral, qui se situe dans une perspective partisane, en général celle d’une conquête du pouvoir. C’est pourquoi, par exemple, on ne peut pas assimiler à des philosophes les intellectuels marxistes ou libéraux.

À la différence de l’idéologie, la conception du monde embrase des domaines qui vont bien au delà du politique, du social et de l’économique ; par exemple l’essence et le destin de l’homme, la vision de la nature, de l’histoire des civilisations, la psychologie, l’équilibre mental, l’accomplissement de soi, etc.

Les écoles de philosophie classique, européennes ou orientales, ont étroitement associé l’enseignement théorique aux savoirs pratiques, par exemple la quête de la sagesse pour pouvoir agir sur soi-même et son propre environnement Le Musée de Pythagore, l’Académie de Platon, le Lycée d’Aristote, le Jardin d’Épicure, le Portique des Stoïciens ont formé des philosophes selon une conception du monde et une manière de manier sa vie, sans se contenter d’un enseignement théorique.

Mêmes si les voies ont été diverses et antagonistes, l’objectif est le même : réunir en un même ensemble organique les connaissances, le mental, les sentiments et le corps. Le point commun est de penser et d’agir dans la même direction, c’est-à-dire dans la même cohérence. Le but de la philosophie classe est ainsi d’opérer une transformation de soi, une auto-métamorphose, à travers l’action et la quête de la connaissance, de manière à se penser soi-même et d’agir comme un être unifié et cohérent. Et, c’est cette cohérence qui manque le plus à notre époque.

Car la plupart des penseurs et des idéologues d’aujourd’hui sont marqués par une sorte de schizophrénie, de perpétuelle contradiction entre leur discours et leur comportement. La caractéristique de la démarche philosophe et l’effort du philosophes comprennent l’impératif de ne pas séparer l’intellect du comportement, la réflexion intellectuelle et la manière de vivre. Il ne suffit pas de “penser ” pour philosopher, mais de ressentir et d’agir de la même manière, avec cohérence.

D’avoir un mode de vie en conformité avec son enseignement et des idées. Une théorie, en effet, n’est crédible que si ses adeptes en prouvent la validité en essayant de la suivre. Mais la “ morale” du philosophe n’est pas nécessairement la “ bonté ”. Elle implique simplement de vivre selon ses idées.

En effet, une pensée qui n’exige pas d’elle-même une mise en application pratique ne peut être montrée en exemple. La connaissance philosophique est assimilable à une seconde naissance, à une élévation sur le plan de la conscience. C’est pourquoi, les grands philosophes ont été des Maîtres qui formaient des disciples, par seulement intellectuellement, mais spirituellement et pratiquement.

Les disciples sont invités à progresser, grâce à l’enseignement du Maître, sur les plans parallèles de la connaissance, du comportement intérieure et de la vie intérieure.