La Recherche de l'Unité

par Yann-Ber TILLENON

La recherche de l’unité ne signifie pas pour la philosophie classique la recherche d’un dogme central qui expliquerait tout, mais celle d’une cohérence globale entre tous les savoirs.

La notion d’unité, c’est-à-dire celle de rassemblement de tous les éléments du réel, n’a rien à voir avec l’affirmation d’une Vérité fixe. La philosophie classique, occidentale ou orientale, distingue trois grands domaines d’investigation : l’éthique anthropologique, la philosophie politique et la philosophie de l’histoire. L’unité de la démarche philosophique est caractérisée par sa tentative de jeter des ponts entre toutes les disciplines.

L’éthique anthropologique. Cette branche de la philosophie vise à la connaissance de l’homme. Elle utilise la psychologie, la morale, la médecine, l’anthropologie, la physique, etc. Elle pose les questions suivantes : qu’est-ce que l’homme, qu’est-ce l’espèce humaine ? La vie humaine a-t-elle un sens ? Comment atteindre au bien-être et surmonter la souffrance ? Qu’est-ce que la mort ? Comment devenir soi-même et s’accomplir ? Les hommes sont-ils tous semblables ou égaux ? L’espèce humaine est-elle supérieure à toutes les autres et centrale dans le cosmos ? Qu’est-ce que le “bien”, qu’est-ce que le ”mal ” ? Existe-t-il une morale universelle ? Comment définir l’amour ?

L’harmonie est-elle dans le combat perpétuel ou la réconciliation finale ? Que penser des religions, des croyances dans des divinités, de l’immortalité de l’âme ? L’éthique anthropologique aborde aussi la question de la création esthétique et de sa signification : qu’est que l’art ? Quels sont ses rapports avec le sacré et la spiritualité ? Que sont la beauté et la laideur ?

La philosophie politique, elle, s’intéresse à la vie des hommes en société, puisque l’homme est un animal social, un zoon politikon, selon Aristote. Les domaines explorés sont : les rapports de soi-même avec les autres, l’organisation de la Cité, les régimes politiques, la définition de la nationalité et de la citoyenneté, la réflexion sociale sur l’injustice, la justice, les inégalités, les oppressions, les dominations ; la guerre et la paix ; les responsabilités vis-à-vis d’autrui, la charité, l’agressivité, la définition de l’ennemi ; les notions d’aristocratie, de subordination, de hiérarchie, etc.

La philosophie politique pose le problème général des rapports humains à l’intérieur de la même Cité et entre les Cités. Elle tente de définir l’“essence du politique”. Elle se demande si tous les régimes conviennent à tous les peuples et nations. Elle réfléchit, pour cela sur la pertinence des concepts de démocratie, de dictature, de tyrannie, d’anarchie, de centralisme, de fédéralisme, de système impérial, de système national. Elle aborde évidemment la question de l’État et celle de la souveraineté, mais aussi celles du pouvoir, de la Loi (légalité et légitimité), du Principat.

La philosophie de l’histoire Cette branche de la philosophie, conséquence des deux premières, porte sur le problème épineux de l’unité de l’humanité et du sens de l’histoire et des civilisations. L’espèce humaine a-t-elle une unité convergente de destin ? Est-elle divisée en peuples inégaux destinés à se combattre éternellement ?

L’histoire humaine a-t-elle un sens dans l’univers ou n’est-elle qu’une petite tempête dans le fleuve immense du vivant ? L’humanité laissera-t-elle une trace ou n’est-elle qu’un bref épisode dans l’histoire de la petite planète Terre ? Quel est le futur de l’humanité – alors qu’elle semble aujourd’hui à la fois à une apogée et en proie à de graves menaces, par sa faute ? Qu’en est-il des races humaines ? L’humanité peut-elle, au cours de l’évolution, être remplacée par d’autres espèces, et qu’en conclure ?

Le XXI e siècle peut-il voir la fin d’une grande phase des civilisations “développées ” et connaître une voie pour l’ensemble de l’humanité ? Qu’en est-il des phases de succession des civilisations ? Bien entendu, les différentes écoles philosophiques ont répondu et répondent de manière très différente et antagoniste à toutes ces questions.

Mais l’essentiel est qu’elles posent toutes les mêmes interrogations fondamentales. Par exemple – et pour ne citer que ce point – certains pensent qu’il y a une homogénéité convergente de l’humanité et d’autres qu’il n’existe d’unité de l’espèce humaine que dans l’hétérogénéité et la hiérarchie. Comme nous le disions plus haut, la grande séparation entre toutes les écoles philosophiques porte entre le choix de l’humanisme et du surhumanisme. Mais s’il existait entre ces deux choix un pont invisible, une unité ultime ? Nous tenterons de défricher cette piste dans ce modeste ouvrage.