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locronan et l'europe mystique


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le : 21. 06. 2007 [13:56]
Yann-Ber TILLENON
Yann-Ber TILLENON
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DU SYNCRETISME A LOCRONAN :
LE PORTAIL POUR L’EUROPE MYSTIQUE



Locronan est perchée au flanc des derniers escarpements des Montagnes Noires et surplombe la Baie de Douarnenez, encadrée par les landes du Cap de la Chèvre et par les vents de la pointe du Raz. Les trains de houle arrivent jusqu’au fond de la Baie où ils s’écrasent sur les sables de Kervel, Pentrez et La Palud. La pente en remonte doucement et verdoie jusqu’aux premiers escarpements de Menez Lokorn (1) où, très exactement à mi hauteur, se tient l’église de Locronan. Comme une tour de guet cachée dans des forêts primaires, elle a surmonté six siècles d’hivers brumeux, d’automnes venteux, d’étés cuisants et de printemps fougueux du Pays Glazik. A ses pieds, les demeures des riches tisserands du XIVe, XVe et XVIe ou du siège de la Compagnie des Indes attirent par leur architecture et leur état de conservation les touristes du monde entier. Ils ne manquent jamais de s’émerveiller devant les secrets antiques et médiévaux que leur réserve Lokournan : triades architecturales classiques ( lavoir, chapelle, calvaire ), hêtre hissé au plein milieu de la place, rocher de fertilité où les femmes frottaient leurs parties génitales, grands pardons sexennaux du nom de Troménies tournant dans le sens du soleil et que devait faire chaque bon chrétien breton (2), chapelle du Penity où reposent le gisant et les reliques de Saint Ronan et offerte par Anne de Bretagne, menhirs christianisés, oratoire et croix celtique massive au sommet de la Menez Lokorn à Plas Ar c’Horn, vieilles croix ensevelies sous les lierres, les vieilles pierres et les fleurs. Et toujours les mêmes questions que posent les touristes, qu’ils soient japonais, italiens ou allemands : pourquoi tant de richesse ici au milieu des landes et des vallons ? Comment une foi aussi chrétienne voisine t’elle d’aussi près les vieux rites venus d’un vieux fond europaïen ? Car en effet, Locronan n’est pas seulement une « porte pour les mondes oubliés » (3), elle ouvre notre esprit à l’ontogénèse mystique de l’Europe : l’alliance entre le christianisme solaire et le paganisme le plus viscéral, la grande sympathie entre le ciel,la nature et les hommes, l’ultime réconciliation entre notre Déesse et notre Père.

La stratégie irlandaise de Saint Ronan

Au début du VIe siècle, comme le témoignent les mystérieuses forêts dites du Nevet (dérivé de Nemeton) situées entre les champs du Porzay (Porthoed c’est à dire les ports en vieux breton) et le bourg de Locronan, un vaste quadrilatère sacré par les druides et portant en son milieu le temenos ( à l’emplacement de l’église actuelle ) inscrit dans le paysage la représentation du cercle du ciel et du cycle du temps. Ce lieu de culte rayonne alors dans toute la région son système de pensée et de conception du monde, car la christianisation n’a touché que les villes marchandes de l’Armorique gallo-romaine, et dès le IIIe siècle, l’Armorique nécessitait « la présence de plusieurs milliers de troupes frontalières, les limitanei»(4), et était tenue comme territoire ennemi au IVe siècle par le pouvoir central romain et chrétien en proie aux Bagaudes (5). Si la christianisation de la Gaule et de l’Ile de Bretagne était avérée à la fin de la chute de l’Empire, le christianisme était marginal en Armorique et ne s’est développé qu’à l’époque des doubles royaumes (Domnonée et Cornouaille) et de la seconde migration bretonne. Un jeune membre du clergé irlandais arriva selon la légende en bateau ( Vita Ronani écrite au XIIe ) sur ces terres hautement païennes et appliqua l’une des stratégies de Saint Patrick : christianiser le centre du pouvoir, le reste suivant. Aussi, à l’image de Patrick qui alla à Tara convertir l’Ardri, certains filid et chefs de clan et y obtenir des dispositions favorables, et qui gagna le concours d’Uisnech lors de l’assemblée des druides ( province centrale du Meath ), Ronan s’établit dans la forêt du Nevet pour y commencer sa mission. Il superposa les symboles chrétiens aux rituels antiques et amorça la substitution du schéma gynécocratique par le patriarcal : sur la chaire de l’église, un médaillon montre le succès de Ronan auprès des hommes et la résistance des femmes menées par Keben. Comme Patrick qui établit son église épiscopale à Armagh tout près d’Emain Macha dont la structure nemetonique a été démontrée, Ronan s’installa en ermite dans la forêt du Nevet à l’ombre de Menez Lokorn. La christianisation a ainsi pu commencer.

Double consécration de l’espace

Mort à Lamballe, Ronan vit les évêques se disputer sa dépouille. Pour ne pas faire de jaloux, cette dernière fut mise sur un attelage de deux bœufs. Ils choisirent leur route seuls et libres, et arrivèrent au pied de Menez Lokorn : la Vita Ronani puis la tradition orale décrivent scrupuleusement le chemin pris par les bœufs. Immense fut l’étonnement des chercheurs lorsqu’ils s’aperçurent que ce tracé était le même que faisaient les prêtres constructeurs grecs avant d’élever un temple, ou que faisaient les pères brahmanes dans les rituels védiques du feu sacrificiel, ou que traça d’un sillon Romulus-Quirinus lors de la fondation de Rome : « le sillon lui même est tracé par une charrue attelée d’un couple à la fois homogène et dissemblable, le taureau placé à droite et présentant son flanc droit à l’extérieur, la vache à gauche présentant le flanc gauche à l’extérieur » (7). La symbolique commentée par Jean le Lydien précise ainsi que « les Romains sont redoutables aux hommes de l’extérieur, et les Romaines sont fécondes ».
Lorsque les bœufs de Ronan s’arrêtèrent, ils furent à l’emplacement du village de Locronan : les reliques y figurent toujours au fond de la chapelle du Pénity.
Il est intéressant de s’apercevoir que c’est au moment où Ronan mort consacre et christianise définitivement l’espace de Locronan que surgit la méthodologie indo européenne de consécration : Ronan mort consacre donc de la manière gentilice le nouveau fief chrétien. L’inauguratio chrétienne n’est qu’une reproduction et un harmonique de l’inauguratio précédente (celte ou préceltique). Le symbole de résistance inconsciente est particulièrement fort mais ne s’arrête pas là.

Le double langage de la Troménie

Ainsi la Troménie fait le tour d’un quadrilatère organisé et orienté Est-Ouest: ce serait le chemin parcouru chaque jour de la semaine par Saint Ronan pour la petite Troménie, et le dimanche pour la Grande Troménie. Pour l’église qui appela la Troménie, le pardon septennal, l’explication paraît tenir la route : jusqu’à ce qu’on s’aperçoive de la persistance du rythme sexennal comme le prouvent les archives parvenues jusqu’à nous.
Les douze stations de la procession s’intercalent entre une trentaine de reposoirs abritant un saint : ces stations sont de petites huttes à l’image des casea frondea de la fête (estivale également) des Neptunalia à Rome : les douze stations sont celles de Saint Eutrope, ecce Homo, Saint germain, Sainte Anne, Notre Dame de la Bonne Nouvelle, Saint Milliau, Saint Jean, Saint Guénolé, saint Ouen, Chappelle Ar Zonj, Saint Théleau, Saint Maurice. Donatien Laurent a montré comme les dédicaces des stations lui ont permis de faire le rapprochement entre chaque station et chaque période de l’année, donc de la projection des cycles cosmiques sur un paysage terrestre donné : Saint Eutrope y est toujours guéri car plongé par le prêtre dans l’eau lustrale de sa guérison et indique le premier quart de la Lune de Novembre de l’après Samain ; à la quatrième station (février) Birgit se voit remplacée par sainte Anne et la Vierge de la Bonne Nouvelle (mars en cinquième station) en plein milieu d’une forêt marécageuse et symboliquement en plein milieu d’un hiver de part et d’autre d’Imbolc (les célébrations de Birgit sont décrites par des traditions irlandaises légendaires et toujours d’actualité (9) en Basse Bretagne dans les Monts d’Arrées) ; la septième station est consacrée à Saint Jean Baptiste pour la fête de Beltaine dont l’écho est à Locronan l’arbre de mai ( un hêtre ) installé par les conscrits de l’année sur la place du village et qui sera brûlé et fêté le 23 juin pour le solstice et la Saint Jean ; la dixième station se trouve au sommet dégarni de Menez Lokorn, au plus près du soleil, et est consacrée à un Ronan soudain transfiguré en Lug ( Lugnasad est le 1er août) comme le prouvent la date de la célébration ( au milieu de l’été comme l’escalade du Croagh Patrick sur la péninsule de Murrisk dans le comté de Mayo), ou son analogie dans les légendes ( boiterie, capacité à enrichir ce qu’il touche, aptitude à tisser et surtout rapport à la fonction royale comme garant de la fécondité de ses terres). Là où Lug est lumière (c’est son étymologie), au plus proche des cieux sur la montagne dominant tout le pays, Ronan est consacré et son image reflète le temps d’une station de procession une figure christique postceltique et solaire, dont les origines plongent dans la tradition européenne la plus antique.

Pourquoi les ducs à Locronan ?

Ceux qui se sont déplacés à Locronan le savent, les maisons des simples tisserands sont particulièrement belles et ornementées, l’église ressemble plus à une cathédrale qu’à une église de campagne et est flanquée d’une magnifique chapelle à gisant. L’intersection de deux routes importantes, la présence de ports à proximité et de champs de lin et de chanvre n’expliquent pas tout. En effet, les derniers ducs de Bretagne n’ont manqué d’effectuer leur Troménie et ont tous, lorsqu’ils ont eu un enfant (Anne a appelée sa fille Renée en l’honneur de Ronan car Renée est née après que sa mère ait effectué sa Troménie), exempté d’impôts les habitants de Locronan et offert des cadeaux substantiels. Ce qui explique leur prospérité : des millénaires après, Lug Samildanach le Polytechnicien, assure encore fertilité et prospérité à ses sujets. Ronan, et ce certainement à ses éternels regrets, a endossé les caractéristiques des patrons du culte auquel il a tenté de substituer son christianisme. Aussi, à une période où une descendance était gage de sécurité pour le royaume ou le duché, les Ducs venaient chercher auprès de Ronan l’assurance de l’existence de leur progéniture pour éviter de toujours meurtrières et dévastatrices guerres de succession. Les symboles de fertilité abondent en Locronan : se placer sous le gisant assure fertilité ; les femmes stériles il y a encore peu de temps se frottaient contre des pierres au sol qui gardaient la trace des roues de la charrette de la dépouille de Saint Ronan ; deux menhirs de fertilité se trouvent au sommet et à la base de la Montagne ; la chaise de Ronan, kador Sant Ronan, assure également une fécondité accrue, est encore appelée la jument de Pierre, ar gazeg vaen, comme une référence à Epona, la manifestation équine de la Déesse-Mère, matrice et mère de tous. Par un jeu de réflexions successives, la fonction royale (dont la capacité de catalyser les paramètres de fécondité et de richesse) et le charisme solaire de Lug échoue à Ronan, et on en profitera pour rappeler que le Roi chez les Celtes étaient les garants de prospérité pour son royaume (et de richesse pour ses sujets) comme témoignent les rites irlandais d’intronisation royale où le prétendant devait s’unir à une jument devant tout le clan pour démontrer sa virilité et donc son aptitude à procréer, ou encore comme le montre la légende du Roi Pêcheur ( dont le royaume où pénètre Perceval est désert, silencieux et en friche ) qui est pudiquement dit « blessé à la cuisse », c’est à dire castré.
Cette fertilité est validée par le paysage consacré: la configuration quadrangulaire du nemeton terrestre, image du nemeton céleste, fait qu’une moitié située au Nord est constituée de zones forestières, humides et parfois marécageuses, et que la moitié Sud est plus sèche, élevée et rase. Aux stations féminines du Nord ( hanternoz en breton, c’est à dire milieu de la nuit, image du milieu de la période sombre, goanv, de l’année où se situe la gouel Berc’hed ou fête de Birgit christianisée plus tard en Sainte Brigitte ) répondent les stations masculines du Sud (dehou en breton qu’on peut également traduire par droit) : au sexe humide, profond, obscur de la femme s’oppose la droiture du mont phallique de Menez Lokorn qui monte vers la lumière ( où jeux de mots traditionnels associent la corne d’abondance au phallus royal érigé en symbole dispensateur de richesses ). Ainsi les celtes, christianisés, proclament leur conception thématique préchrétienne du juste milieu, de l’équilibre des entités, de l’extrême centre, de la voie du milieu par le mariage des contraires : l’eau et le soleil, dans l’harmonie la plus parfaite et l’équité la plus exacte, sont nécessaires pour faire croître les pousses. C’est le grand équilibre social et affectif entre notre mère et notre père : un équilibre qui se projette dans la structure mentale de toute réalisation ou création celte : art et entrelacs, société et parité homme/femme, civilisation et symbolique (le trois, le premier chiffre à avoir un centre et exprimant le parfait équilibre du point entre deux entités contraires(10). Même chrétiens, les bretons n’ont pu se défaire de leur vision de suprême équilibre entre l’entité céleste masculine fécondatrice et l’entité féminine terrestre fertile : cet équilibrage mental est certainement hérité des peuples mégalithiques préceltiques et proto-indo-européens, les atlantes (devenus les peuples refoulés des forêts, des dessous de l’océan comme les nefilims bibliques, et du sidh), et qu’on soupçonne ne posséder comme panthéon qu’un vague dieu céleste s’exprimant par l’éclair et qu’une déesse-mère utérine et matricielle (11).

Mortel=Païen=Lumière

Le thème principal de la Vita Ronani est « Ronan, la lumière qui luit dans les ténèbres ». Il est de notoriété que nombre de monnaies d’or provient des environs de Locronan : deniers de 845,de 864 et de 877, coupelles à affinage d’or ont été retrouvées dans le secteur. Michel Treguer et Donatien Laurent précisent que tout comme Croagh Patrick, Menez Lokorn était une montagne aurifère (12). L’or en tant que produit et initiateur de la prospérité a une haute charge symbolique de la fonction alors dévolue à Lug et sur les épaules de Saint Ronan désormais. L’analogie avec Patrick est instructive : quand Ronan personnifie Lug, Patrick invoque le soleil : au retour de sa captivité en Irlande, le jeune Patrick, pas encore évêque missionnaire, se retrouve en difficulté physique ( il est rejeté sur une terre inhospitalière après une tempête en Mer d’Irlande) et morale (Satan vient lui rendre visite sous la forme d’un rocher sur la poitrine, c’est à dire qu’il est en proie au doute – le Mont des Oliviers de Patrick). Il se mit à invoquer le Soleil, et le Soleil déchira la nuit et monta dans le ciel le secourant : « je vis à ce moment-là le soleil se lever dans le ciel et tandis que j’appelais de toute mes forces « Elie, Elie » (13), voici que l’éclat du soleil tomba sur moi et dispersa aussitôt toute pesanteur de moi : je crois avoir été secouru par le Christ » ( Confessions, 20,6-10). Désormais, Patrick interprètera toujours auprès des irlandais, le Soleil – et indirectement Lug - comme le Christ qui éclaire les nations. Mais Ronan ne luit pas seulement d’or et de soleil dans la nuit, Ronan cristallise l’essence humaine païenne et l’essence divine chrétienne.
C’est ce qu’on appelle l’ « Affaire » de l’oxyton ( accent aigu ) et du périspomène ( accent grave) : Homère utilise toujours le terme grec de ph’os pour désigner ses héros mortels au lieu d’anthrôpos (homo comme homme et non pas animal), ou d’anêr (vir comme homme et non pas femme), ou encore brôtos (mortuus comme homme mortel et non immortel). Or, ce nominatif se confond naturellement ( n’oublions pas qu’Homère est avant tout un poète, un barde à l’époque où tout verbe était encore symbole) avec phôs, lumière ( phaos, éponyme de photon et de photo). La traduction en homme est particulièrement appauvrissante pour ne pas dire erronée : « l’enluminé », « le lumineux », « l’illuminé » serait plus adéquat. Ce qui sous entend que « il faut avoir le privilège de mourir un jour ( privilège dont les dieux sont privés et sans doute jaloux) pour jouir de la lumière du monde. Etre païen, c’est d’abord trouver du plaisir à voir la lumière »(14).
Sans doute est-ce hautement symbolique que, mort et ayant perdu son essence de mortel, Ronan sacralise à la manière païenne (le chemin parcouru par les bœufs) cette zone de perméabilité entre l’homme et les dieux qu’est le nemeton de Locronan : ermite boiteux, Ronan devient homme de lumière, puis rend son domaine à un Christ solaire au moment où il franchit le Styx ou pénètre dans le Sidh ou entre dans un Paradis chrétien, comme par hasard situé dans le *dyew- où culmine le Soleil réel et Lug le polytechnicien.
Ermite boiteux, Ronan devient certes homme de lumière : mais il le fait en parlant, convertissant les hommes puis les masses à sa foi. Or, il y a bien un nœud étymologique, une ambivalence sémantique (Chantraine) : le verbe phainô et ses dérivés sont issus d’une base indoeuropéenne signifiant « éclairer,briller » comme phôs et « expliquer,parler » comme phêmi. Le héros grec, homme de lumière, réfléchit son propre éclat sur les choses qu’il nomme. Ronan éclaire la nature et la physis en la disant, en la nommant et en nommant le grand ordonnancement de ce monde. Sur un médaillon de la chaire de l’église de Locronan, on le voit parlant aux hommes et expliquant sa foi. Le très chrétien Ronan reste dans l’épopée de la cosmologie païenne : il est définitivement « la lumière qui éclaire les ténèbres » de la Vita Ronani.

Le Logos de Ronan et de Patrick

Si Homère et les Grecs ont nommé ph’os, l’homme européen au contact de la lumière et qui éclaire en les nommant les phénomènes qui y apparaissent, les druides, eux, ont illuminé le verbe des chrétiens qui n’attendait que ceci. Le célèbre prologue de Saint Jean est le suivant, traduit initialement en grec à partir d’un hébreu musical s’y prêtant toutefois fort peu : Au commencement était le Verbe/Et le Verbe était tourné vers Dieu/Et le Verbe était Dieu/Il était au commencement tourné vers Dieu/Tout fut par lui/Et rien de ce qui fut, ne fut sans lui/En lui était la vie/Et la vie était la lumière des hommes. En Grec, le Verbe se dit Logos, un Verbe de lumière créatrice. Il existe en Celtie un Dieu de Lumière créatrice : en celtique, il se dit Lugos. C’est le Lug des Irlandais. Dans un Jardin des Dragons, le Grand Druide du Gorssedd, Gwenc’hlan Le Scouëzec, a précisé que Lugos « intervient dans notre tradition sous la forme d’un tribann. Il est le symbole de la triple émanation du dieu triple. Ce tribann est aussi un son qui s’écrit O-I-W. peut être pourrions nous émettre comme hypothèse que la Trinité Chrétienne qui n’est en aucun cas issue de l’Ancien testament aurait quelque chose à ( y ) voir… ». Les trois lettres du Y-H-W – Yavhé, Adonaï - des premiers chrétiens nazoréens et des juifs y ressemblent de plus à s’y méprendre. Et il est clair que déjà lumineux d’un point de vue païen, Patrick et son compatriote Ronan acquièrent une seconde dimension lumineuse par leur essence chrétienne.

Du syncrétisme breton au syncrétisme européen

Cette union qui se passe au sein de leur personne représente l’union théologique entre christianisme et paganisme européen sous un sceau solaire: en 325, l’Europe condamne l’Arianisme à Nicée et institue la Sainte Trinité. Ce faisant, Marie Christotokos (mère du Christ d’essence humaine) devient Théotokos (mère du Christ Dieu) – ce qui fut proclamé en 431 à Ephèse puis confirmé en 451 à Chalcédoine-, le Saint Esprit se superpose à l’Awen - le langage des dieux et le souffle du dragon - et Anne – la vieille déesse matricielle et utérine du nom d’Ana, l’eau - devient la grand mère du Christ comme Dana est la mère de la Tuath de Lug, du Dagda, d’Ogme et des autres Dieux fonctionnels celtes. Puis l’Empire d’Orient verra au Ve siècle l’association stratégique entre les orthodoxes de Constantinople et d’Antioche et l’aristocratie païenne face aux menaces des monophysites et des disciples d’Arius, avant d’élaborer l’image d’un Christ César Invaincu, le Kosmocrator et le Christokrator, transmise à l’Empereur césar – le basileus. Lug devient à l’Ouest le Christ ou l’Archange saint Michel dans les sanctuaires et nemetons ; à l’Est, Svarog et sa Roue de Feu – le « beau soleil » ou le « soleil rouge » des Slaves et des Varègues - s’incarne dans le Tsar-Soleil des Russes, Peroun devient Saint Elie, Volos Saint Blaise, Kouznets Saint Cosme, et le Dieu des vents Striborg se retrouve assimilé au Saint Esprit. Rome subit l’influence du druidisme et de la conception celte préchrétienne : elle assimile Samain et l’interconnexion entre la Terre et le Sidh en la toussaint et la fête des morts. Le solstice d’hiver et le retour du soleil – Sol Invictus- est remplacé par la naissance d’un Christ définitivement solaire : Noël. Imbolc, fête de la production, de la lumière lustrale, devient la Chandeleur et Birgit la Vierge. Les Européens celtes refusèrent la damnation éternelle, incompatible avec leur structure morale, et créèrent les Limbes puis le Purgatoire. Le schéma individuel chrétien faute/devoir ne se substitua que tardivement au schéma collectif païen honneur/déshonneur et emporta avec lui la technique de la repentance réparatrice et de la confession collective puis individuelle. La notion de péché originel et la notion de la grâce salvatrice n’eurent par contre aucune résonance en Celtie, c’est pourquoi l’irlandais Pélage, moine du IVe siècle, nia l’existence de ce péché et affirma la totale liberté de l’homme : il eut un succès si important en Bretagne, en Gaule et en Asie Mineure que le Pape Célestin envoya Saint germain d’Auxerre combattre cette hérésie – déclarée comme telle au concile de Carthage en 411 et par Zosime en 418 - en Bretagne, et l’africain Saint Augustin entreprit une lutte sans partage avec cette vision trop stoïcienne et celte. Cependant, sa conception de libre-arbitre persista dans la pensée européenne chrétienne. Enfin, l’écossais Jean Scot Erigène, héritier des Saints irlandais et bretons ( Colomba et Colomban) ayant rechristianisé l’Europe occidentale, annonça l’immanence du divin et une vision holiste de dieu : « toutes les élaborations médiévales ayant quelque relent de panthéisme » (15) adhère à son traité écrit à la cour de Charles le Chauve : Bernard de Chartres, l’évêque Hidebert de Lavardin, l’abbesse Hidegarde de Bingen de Ruppertsberg, Honorius de Regensburg, l’évêque Gilbert de la porrée, Alain de Lille, le maître Amaury de Bène de la faculté de théologie de Paris, Pic de la Mirandole, Maître Eckhart,Paracelse, Giordano Bruno, Hegel, Henry More et enfin Teilhard de Chardin partageront l’expérience de l’immédiateté de Dieu en l’homme et de la Matière baignant dans la lumière du Divin.

La Matière baignant dans le Divin. Qui d’autre que le goëmonier léonard, levant ses yeux clairs sur l’horizon des abers et s’arrêtant dans son labeur, frappé par l’extrême lucidité des cieux sur une mer gonflée de mille récifs, ne le ressent mieux ? Qui d’autre que le pêcheur cornouaillais aux prises avec les vents, l’océan et le temps, ou que l’agriculteur haut breton à l’interface entre ciel et terre, ne le vit plus intensément ? Car, à ce moment précis, ils connaissent le Grand Paysage (16), et la paix intérieure procurée par l’union en leur chair de leur Père et de leur Déesse. En ce moment précis, ils sont les fils d’Europe.


Par ma foi dans la Triade
Par ma foi dans le Père
Saint Patrick

Dehel



Notes :
(1) Lokorn ( lieu de la corne, locus cornus ) est historiquement le premier nom de Locronan : il fait référence à la corne du bœuf ramenant la dépouille de Saint Ronan sur ses terres de mission,laquelle est tombée du fait des coups de Keben, lavandière ennemie du christianisme importée par Ronan et furieuse de le revoir même mort.Cette corne est tombée au lieu dit naturellement Plas Ar c’Horn. Lokorn est devenu sur les cartes du XVIIe Lokournan puis à la demande des français s’est francisé en Locronan, autrement dit lieu de Ronan…le jeu de mot ayant été osé
(2) Une grande Troménie de 12 kilomètres et de 12 stations (tous les six ans) ou trois petites de six kilomètres et de trois stations ( chaque année ) donne droit aux portes du Paradis. « Celui qui n’a pas fait sa Troménie de son vivant le fera une fois dans l’au-delà en avançant d’une longueur de cercueil chaque année ». Tro Minihi se traduit par tour de la monachia ( propriété monastique) où se situe un enclos consacré et s’exerce une zone d’asile et d’immunité.
(3) Donatien Laurent, chercheur au CNRS et à l’UBO
(4) Ramsay Mac Mullen
(5) les Aemorichiani étaient hostiles aux Romains sous Théodose II selon Jean d’Antioche
(6) se référer aux Confessions et à l’Epître à Coroticus, textes écrits en latin de la main de Patrick, Editions du Cerf, Paris, 1978
(7) Georges Dumézil
(icon_cool.gif Ne pas oublier que l’année celte s’ouvre le 1er novembre pour la fête de Samain
(9) Se référer à l’ouvrage de Guyonvarc’h et Leroux aux Editions Ouest France « Les Fêtes Celtiques », Rennes, 1995
(10) N’hésitons pas ici à rappeler puisque nous sommes sur leurs anciens territoires que les Osismi, tribu celtarmoricaine, portaient il y a 3000 ans des boucliers décorés d’un ying et d’un yang, bien avant que ce symbole n’apparaisse en Asie
(11) La dénomination de dieu vient de l’indoeuropéen *deywo- qui fait référence à *dyew-, le ciel diurne
(12) La Nuit Celtique, Editions Terre de Brume, Rennes, 1996, ouvrage déjà légendaire
(13) Hélias (Elie) en hébreu est introduit en substitution d’Hélios ( soleil ) par les copistes irlandais
(14) Barbara Cassin, in Critiques 704,705
(15) Jacques Paul, histoire intellectuelle de l’occident Médiéval, Armand Colin,1973
(16) Formule de Kenneth White qui l’a appliquée au Pays des Abers, Ouessant et la Baie de Morlaix