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Jean-Marc NICOLAÏ


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le : 27. 12. 2006 [01:18]
Yann-Ber TILLENON
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à Monsieur Marco NICOLAÏ
Route de l’Hermitage
La Trinité
-20169- BONIFACIO

Le 16 novembre 2006




Cher Monsieur,

Je suis sincèrement désolé d’avoir appris le décès de mon vieux complice Jean-Marc, votre fils.

Nous nous souviendrons tous d’un garçon mélancolique qui avait de grandes qualités, d’un homme, un vrai, comme il n y en a malheureusement plus beaucoup de nos jours.

Il était porteur d’une certaine puissance, au plan affectif, relationnel, qui ne laissait personne indifférent. Et à travers ses comportements affectueux, agressifs, grégaires ou solitaires comment ne pas reconnaître également toutes les gammes du sentiment divin et humain qui l’animait ?

Il était animé par excellence d'une puissance vitale non apprivoisée qui l’angoissait très souvent.

Je viens d’écrire, en hommage à ce vieux camarade, le texte que vous trouverez ci-joint.

Veuillez agréer, cher Monsieur, l’expression de mes très sincères condoléances.

Yann-Ber TILLENON
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JEAN-MARC NICOLAÏ

J’ai été douloureusement surpris d’apprendre, par Charles, la mort brutale de mon vieil ami Jean-Marc NICOLAÏ. Nous avons vécu comme des frères d’une même famille marginale pendant une dizaine d’années. C’était une famille d’une centaine de membres que je ne citerais pas, bien sûr. Je l’avais rencontré à la fête du PSU au mois de juin 1976.

Nous apprenons des décès tous les jours ! Mais celui de l’ « artiste » m’attriste particulièrement. C’est une partie de ma vie qui fout le camp !...Nous avons vécu et combattu au quotidien, dans la pratique, dans les rues de Paris. Nous y avons eu notre vrai baptême. Sur le pavé. Depuis une vingtaine d’année, nos routes s’étaient séparées, mais nous restions reliés par l’esprit. Carl Gustav Jung nous parle à juste titre de ces arcs énergétiques qui permettent à des êtres de rester en contacts à des milliers de kilomètres. On appelle cela aussi la « télépathie »... Ainsi il y a encore deux mois, Jean-Marc m’appelait au téléphone alors que je venais de prendre mon appareil pour lui téléphoner !... Jung parle, à ce sujet, de « synchronicité » !... On dit encore, en français, rester branché sur « la même longueur d’ondes »… De près ou de loin !...

Il y avait du soleil, derrière le regard triste de Jean-Marc. Pas seulement le soleil de la Corse de ses ancêtres, non. C’étaient le feu céleste des païens, cruels mais aussi bienveillants. Jean-Marc avait cette dimension solaire. Il était de haute taille avec une allure de chevalier. Sa démarche allongée avait la détermination paisible de ceux qui font l’histoire.

Je ne pourrais pas relater dans les détails notre vie de joyeux compères pendant 10 ans . Elle passait par des longues soirées à polémiquer pour refaire le monde depuis Montparnasse… Nous parlions politique, religion, art, sciences etc... De la terrasse de la « Liberté » au « Select », nos nuits bien arrosées, avec les Bretons au « Ti Jos » ou rue Daguerre ne s’arrêtaient que pour aller prendre un « ptit déj » à la « Coupole » d’où nous étions partis en faisant un « basket » après un bon gueuleton une semaine avant !... Il y aurait un roman de 700 pages à écrire sur toute cette période faste d’insouciance et d’escapades, de manifs, de voyages en Hollande, en Bretagne, en Belgique, dans le sud de la France, en Angleterre etc… Peu importent nos histoires d’amours toujours dramatiques avec nos walkyries, nos quelques brouilles éphémères… Nous avons bien vécu, concrètement. C’est-à-dire, non pas comme des « intellos », même si nous avions de grandes théories pour changer le destin de l’humanité, mais comme des apprentis philosophes, à la manière classique. C’est-à-dire que nous faisions ce que nous disions et nous nous disions ce que nous faisions, toujours devant une bonne table, après une bonne « toile » à l’œil !

Mais peu importe... L’important, c’est ce qui reste de Jean-Marc. Jean-Marc était un modèle d’esprit calme…C’était un philosophe, comme nous pouvons l’être aujourd'hui , c’est à dire en vivant une vie riche pour soi-même et , quand on peut, utile aux autres. Le sage d’aujourd’hui sait s’inspirer des enseignements de tous les temps. Ainsi, il peut vivre pleinement le présent et construire l’avenir. Il trouve des passe-partout pour se connaître lui-même, et, ce faisant, il peut se changer. Il peut alors exprimer ses potentialités. Il peut apprendre à vivre avec sérénité. Il cultive un esprit libre et tolérant pour agir avec une authentique solidarité. Il s’implique quotidiennement pour régler son action sur les valeurs essentielles. Ceci afin de rendre son environnement plus humain et plus juste. « C’est une question d’éthique… », comme disait Jean-Marc. Il laissera chez tous ceux qui l’ont connu le souvenir d’un homme d’honneur, d’un homme fort et courageux dans l’action. Je le vois encore, brillant guerrier, durant la manif des métallos de « Longwy Denain » du 23 mars 1979, Joëlle à nos côtés… Il portait bien l’étymologie grecque de son nom « Nike laos », la victoire du peuple !...

Les valeurs de la philosophie, comme nous en discutions récemment tous les deux, développent une conscience des nécessités humaines. Elles encouragent la communauté et la volonté de servir les autres. C’est alors par le volontariat que les apprentis philosophes désintéressés, comme leurs sympathisants, peuvent exprimer leur engagement social à travers des actions humanitaires. Nous rêvions autrefois avec Jean-Marc de « vrai communisme » fondé sur la communauté, pour concrétiser des projets sociaux et éducatifs pour les défavorisés, les personnes âgées, etc., des activités écologiques et de restauration du patrimoine corse, breton etc… Nous étions idéalistes, utopistes… Mais les événements, maintenant, ne nous donnent-ils pas raison ?...

Le monde matérialiste n’a t il pas besoin de plus d’idéalistes ?... Les idéalistes osent rêver comme nous le faisions avec Jean-Marc qui avait un très bon sens critique. Les utopistes peuvent faire de leurs rêves une réalité à travers leurs actions. Les idéalistes savent foncer. Ils savent comment voir des chances et des opportunités là où les autres ne voient qu’obstacles et difficultés. Les idéalistes que nous étions à travers toutes sortes d’ « ismes » ne perdent pas leur foi dans l’humanité, malgré un monde en crise, malade d’égoïsme, de matérialisme et de vide intérieur.”

Créée en 1976, notre amitié était toujours présente dans Paris parmi des copains aux origines très disparates. Nous étions toujours autour de cet idéal philosophique de concorde universelle. Les valeurs de notre utopie, telle que nous en parlions, conduisent au perfectionnement individuel et à l’engagement social. Finalement, nous étions en quête de la meilleure manière de rendre nos sociétés plus humaines et plus justes. Ceci, toujours à travers une action généreuse et en acceptant de devenir soi-même plus « sympa ».

Finalement nous nous croyions modernes, même « post-modernes », nous rêvions d’un nouveau « communisme » conduisant à un paradis sur terre... Mais nous étions des classiques.

Descartes disait « ne pas philosopher, c’est vivre en aveugle ». Effectivement, comment peut-on se passer de réflexion philosophique aujourd’hui devant la convergence des catastrophes qui s’annonce?...

Aux terrasses des bistrots de Montparnasse, chez « Oursin », au « Salvi » , au « Celtique » nous étions tout franchement « éveillés ». C’était d’abord nous connaître pour exprimer nos virtualités. Ne cherchions-nous pas à réveiller simplement le philosophe « antique » qui somnolait en nous.

Débattre comme nous le faisions c'était aussi concilier avec les autres, car vivre en dialecticien, c'est proposer le mieux de nous-mêmes à tous ceux qui nous entourent.
La sagesse est une recherche, elle n'est pas une connaissance de plus.

Le but ultime de la philosophie est, en effet, de se bouleverser à travers notre destin au quotidien. Nous devenons habiles pour régler notre raisonnement sur nos initiatives. La recherche philosophique nous fait redécouvrir comment exister actuellement, avec les plus grandes valeurs spirituelles que nous pouvons retrouver parmi les entendements de l’humanité. Cela correspondait à nos souhaits face aux actuels tourments de la Terre entière. Cela nous aidait à penser aux graves événements que nous approchons et à exprimer plus rentablement nos démarches.

Jean-Marc et moi ne savions pas très bien, à l’époque, que depuis le philosophe guerrier, l’hoplite Socrate, la philosophie se montre en Occident comme un art de vivre, une façon d’être. Cette philosophie fonctionnelle et entreprenante est celle que l’on baptise « classique » pour la séparer de la philosophie exclusivement spéculative des universitaires.

L’histoire nous donne raison… Notre globe terrestre est maintenant en danger de mort. Selon les scientifiques, 30% du monde vivant a disparu depuis 30 ans! La religion industrielle de la société marchande que nous critiquions est même devenue une religion de fanatiques. Elle est aveugle sur les conséquences de ses choix écologiques. Elle signe des reconnaissances de dettes que les prochaines lignées de nos enfants auront bien du mal à honorer. Voilà ce que nous disions il y a 25 ans. voilà ce que le cinéaste Al Gore veut nous exprimer et nous exposer aujourd’hui. En réalité, nous le savions déjà. Mais «notre civilisation est au stade du déni» estime-t-il. Autrement dit nous ne voulons pas voir la vérité en face. Nous pratiquons la politique de l’autruche. Voilà bien un mal de notre siècle. Celui-ci qui nous fait déguerpir vis-à-vis des réalités déplaisantes et les problèmes pénibles sous prétexte qu’ils le sont ! Il faut concéder que la vérité dérange occasionnellement.

Nous étions donc en quête de vérité. Cela nous conduisait à prendre connaissance, pour mieux les assumer, des aboutissements de nos actions. Vivre en théoricien c’est donc admettre de contempler les choses en face afin de prendre les mesures indispensables. Ainsi le penseur peut agir préalablement ; avant qu’il ne soit trop tard. Que penser de ceux que la vérité dérange au point d’attendre que la situation s’aggrave, parfois de façon irrémédiable, pour prendre les décisions qui s’imposent ? un peu de bon sens, que diable !

« Sans patrie ni frontière » aimait dire Jean-Marc le « révolutionnaire » ! Nous aimions le paradoxe, car nous défendions aussi nos patries d'origine!... Parce que nous étions à la recherche d’une communauté, de la communauté perdue. C’est cette terre de corse qui l’a accueilli. C’est à Sartène, en cette terre de Corse qu’il aimait et qui l’aimait que son corps physique a été accueilli discrètement. C’est là haut qu’il repose aujourd’hui. Jean-Marc, l'artiste-peintre, le bouquiniste était un rêveur blessé, comme un fauve déçu par son environnement. Il souffrait. Seule l’amitié, la fidélité parvenait quelquefois à effacer sa douleur. Aujourd’hui il est enfin réconcilié, en paix avec lui-même.

A bientôt Jean-Marc !...


Yann-Ber TILLENON