Kêrvreizh rencontre Frédéric Lenoir

Yann-Ber Tillenon et Frédéric Lenoir
Yann-Ber Tillenon et Frédéric Lenoir

Frédéric Lenoir zo a-du ganeomp. Kevreadelour eo. Klask a ra liammañ an dud eus an tu dehou pellañ betek an tu kleiz pellañ evit brasañ mat Europa veur ! Frédéric Lenoir zo ur prederour hag un istorour dedenus kenañ evit an Emsav peogwir eo un arzour klok. Romantour, skrivagner bandennoù treset ha pezhioù c'hoari emañ ivez. Barrek kenañ eo ivez war istor kravezioù. War France Culture em gav klevet alies o ren abadennoù war'r speredegezh...

Frédéric Lenoir est d'accord avec nous. Il est fédéraliste. Il cherche à relier les gens, qu'ils soient d'extrême droite ou d'extrême gauche, pour le plus grand bien de la grande Europe ! Frédéric Lenoir est philosophe, mais c'est aussi un historien très intéressant pour l'Emsav car il est un artiste complet : romancier, auteur de bandes dessinées, il écrit aussi pour le théâtre. Incollable sur l'histoire des religions, il anime souvent sur France Culture des émissions consacrées à la spiritualité...

Tentative de définition de la Philosophie, et donc du Druidisme

par Yann-Ber TILLENON

Le but de l'Emsav, depuis plus d'un siècle d'évolution est de transformer la province française "Bretagne" en "Breizh". Breizh doit être un État philosophique renaissant, en néobreton. Il doit remplacer l’État français économique, matérialiste et décadent. Nous devons évidemment définir ce qu’est un État philosophique ou « druidique ».

La philosophie, ou le « druidisme » est une démarche de l’esprit humain qui a tenté de répondre autrement que par la superstition, le fanatisme et le dogmatisme religieux ou politique aux interrogations des mystères de l’existence : que sont la vie et la mort ? Qu’est-ce que la nature ? Existe-t-il un destin, un ordre du monde, des dimensions invisibles ?

Entouré par un monde incompréhensible, l’homme a toujours tenté de lui trouver un sens et de posséder des explications. La démarche philosophique, née à l’orée de la Grèce antique, était aussi présente chez les Égyptiens et les Celtes en Europe du nord.

Les Druides n’étaient ni plus ni moins que des philosophes, comme le prouve l‘étymologie du mot druide lui-même, qui veut dire « philosophe » en celtique ancien (« true-wides » = vrai savant). La philosophie ou « druidisme… » s’est d’abord appuyée sur l’intelligence raisonnable (le logos des Grecs), mais sans négliger les intuitions ni mépriser les croyances. Elle fut à l’origine de la démarche scientifique. Elle a fondé toute véritable connaissance, en introduisant ces notions fondamentales que sont le recul, l’observation et la réflexion. Elle a permis de libérer (de commencer à libérer) l’homme de la foi aveugle, du fanatisme, de l’étroitesse d’esprit, des préjugés de toute nature.

À l’inverse des dogmes qui ont réponse à tout, la philosophie n’est pas un aboutissement facile mais un commencement difficile. Elle n’apporte aucune solution définitive, aucune réponse absolue et confortable. Elle est incitation à penser, à découvrir, à résoudre, à chercher, à comprendre. Elle est surtout, quelles que soient les écoles, une incitation à sortir le cerveau humain des pesanteurs, comme l’expliquait Simone Veil dans La Pesanteur et la Grâce : pesanteurs des habitudes, des traditions ou des enracinements figés, pesanteur des imitations, des répétitions, des vulgates et des fausses fidélités.

Contre ces pesanteurs, la démarche philosophique prône la recherche créatrice : et, par là, il est naturel et sain que les écoles philosophiques s’opposent, comme autant de branches différentes du flux de la pensée vivante ! La philosophie enseigne à l’homme à investir dans le moyen et le long terme et non pas à réagir dans l’urgence et à garder le nez focalisé sur l’immédiat.

Mais face à l’urgence, précisément, elle prépare aussi à la sérénité et à la bonne décision, qui ne peut être précipité mais réfléchi. Elle conduit à se délivrer de la fatalité, à ne pas croire que “tout est écrit ”. Contre cette fatalité, elle parle du destin et du devenir, mouvants, sinueux, toujours ouverts. C’est pourquoi la philosophie est toujours une école de la volonté et de la maîtrise de soi.

Accepter le monde et la nature (physique et humaine) telles qu’ils sont, avec réalisme, n’empêche pas le philosophe de vouloir et d’agir. « Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force ni sa faiblesse » disait Socrate. La philosophie est une voie de libération non seulement contre les préjugés et les dogmes, mais aussi contre ses propres pesanteurs intérieures. En ce sens, le cheminement philosophique est à la fois renoncement à l’impossible (à l’utopie, aux délires oniriques, aux croyances absurdes) et acceptation du possible.

C’est pour cela, nous le verrons plus loin, qu’elle est sagesse. La philosophie, le druidisme, c’est donc une voie, une voie entre les choses, un cheminement à la fois prudent et audacieux entre le blanc et le noir, comme dans le drapeau breton… Elle navigue entre le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres. Le vrai philosophe, le vrai druide, sait bien qu’après le crépuscule surgi toujours l’aube, que les cycles succèdent aux cycles comme, sur l’océan, les accalmies aux tempêtes.

La philosophie devine que le monde est fondamentalement mystère, qu’elle-même est guidée par une mystérieuse pulsion intérieure et que jamais l’esprit humain ne pourra percer le ou les secrets de l’univers. Ce sont au contraire les pensées obscurantistes et anti-philosophiques qui prétendent avoir tout compris, avec paresse intellectuelle et qui donnent à tout des explications aussi définitives que fausses et inopérantes. Elles sont les racines du dogmatisme totalitaire.

Dans un univers fondamentalement hostile et peut-être indifférent, la philosophie est aussi un remède contre le désespoir et la peur, car elle apprend à l’homme qu’il peut posséder une certaine maîtrise (intérieure et extérieure) de son destin, et qu’il peut infléchir le réel. Le druidisme confère à celui qui suit son enseignement une liberté de jugement et d’action, donc une autonomie, un pouvoir de décision et surtout de création.

Le druidisme vise à rendre l’esprit humain semblable à la nature qui l’entoure : non pas figée et sclérosée mais, selon l’expression de Bergson, « mouvante », c’est-à-dire en perpétuel état de dynamique et d’innovation. La philosophie est une aventure spirituelle et, comme l’écrivait Heidegger, peut-être « le sentier le plus risqué ».