L’ESTHÉTIQUE OU L’ESSENCE DE L’ART.

Yann-Ber TILLENON

 

 

 

LES GRANDS PRINCIPES PHILOSOPHIQUES

 

 

 

L’art n’a pas toujours eu un but par lui-même, comme s’il s’agissait d’une activité gratuite. Dans l’Antiquité gréco-romaine, ce que nous appelons aujourd’hui les œuvres d’art étaient toujours reliées à une fonction politique ou religieuse. Ce qui n’excluait pas (à Rome notamment) les musées et les collectionneurs, qui avaient, en quelque sorte une vision “pré-moderne” de l’art.

 

 

 

D’autre part , toujours pour s’en tenir à l’antiquité gréco-romaine, la frontière était assez floue entre l’artisanat et l’art. Le mot latin artes désigne toute activité habile, de qualité, professionnelle, qu’elle soit matérielle ou non. On peut la traduite par “habile savoir-faire”. Chez les grecs, le mot art ne pouvait se traduire que par technè, ce qui désignait un peu tout, du savetier au sculpteur, mais en un sens strictement matériel de création d’objets.

 

 

 

Pour Platon, les objets fondamentaux de la philosophie sont le Vrai, le Bon et le Beau. Le Beau ne se résume pas à l’art, au sens où nous l’entendons, mais comprend l’art. Dans la philosophie grecque classique, l’esthétique était une catégorie particulière (1) Le mot grec aesthetis signifie “sensation”.

 

 

 

L’esthétique traite de la détermination générale du Beau, des formes sous lesquelles il apparaît, aussi bien dans l’art que dans la nature, et de l’effet qu’il produit sur le spectateur.

 

 

 

Un corps humain, un végétal, un objet créé par l’homme peuvent être également placés ou pas sous la catégorie du Beau. Ainsi, selon son orientation, l’esthétique varie et change de fonction.

 

 

 

La philosophie grecque a ainsi enseigné, non seulement à définir une théorie générale de l’art, mais à traiter la question du jugement esthétique ( “ qu’est-ce qui fait que je trouve ceci ou cela “beau” et quel en est l’effet ?”), des formes de sensibilité et d’expériences esthétiques. 

 

 

 

Plotin, chef de file des néo-platoniciens, (2) pense la beauté comme essentiellement métaphysique, comme un processus d’élévation et de purification de l’âme s’élevant vers l’Un, à partir de la matière obscure. L’esthétique relève alors de la sphère de l’Esprit (nous) d’où émanent les archétypes éternels, par un processus de “rayonnement” ou d’ “émanation”.

 

 

 

D’où l’idée, d’origine néo-platonicienne et plotinienne, que l’artiste est nécessairement un inspiré et non pas un fantaisiste qui en fait à sa guise. L’artiste est relié à l’Un par l’intermédiaire de l’Esprit et son Âme individuelle tente ensuite d’incarner sa vision dans la matière imparfaite.

 

 

 

C’est Kant (1724-1804), qui offrira ensuite la deuxième grande vision de l’esthétique dans la philosophie occidentale (3). Pour lui, l’esthétique est un jugement a priori, intuitif, présent à l’état latent chez l’homme. Il distingue le beau et le sublime. Le beau se rapporte à la simple beauté d’un objet contingent, quelqu’il soit, et qui obéit à certaines proportions ou règles transcendantes. Le sublime, lui, est lié à l’illimité, qui comporte l’idée de totalité.

 

 

 

Le sublime concerne les grandes oeuvres d’art majeures, qui sont de portée universelle, et que l’esprit humain perçoit souvent spontanément comme telles. Le jugement sur la beauté ( et a fortiori sur la beauté sublime) est, pour Kant, inné chez tous les hommes.

 

 

 

Il s’y exprime un « plaisir désintéressé » qui dépasse le but ultime de l’œuvre même (par exemple social, politique ou religieux) de l’œuvre.(4). On rejoint là l’enseignement de Plotin : l’art et l’esthétique sont liés à des forces à la fois métaphysiques et universelles qui dépassent tous les jugements individuels.

 

 

 

Néanmoins, le jugement esthétique déclarera beau ce qui se rapporte « à la forme de la finalité ». C’est-à-dire qu’une œuvre d’art ne peut être absolument gratuite, elle doit posséder, non pas une fin générale, mais une finalité qui réside dans la recherche de l’émotion. Kant écrit : « La beauté est la forme de la finalité d’un objet, en tant qu’elle est perçue en lui sans représentation d’une fin ».

 

 

 

Est donc beau , ce qui dans une représentation sans concept, éveille le plaisir par le fait qu’il représente une finalité. Ainsi, les fleurs ou les paysages sont des beautés libres de la nature par le fait de l’harmonie des formes qu’ils dégagent, sans qu’une fin n’oriente ou ne motive la contemplation elle-même.

 

 

 

Mais, en même temps pour Kant, les jugements de goût, les jugements esthétiques contiennent en eux-même une antimonie, par le fait qu’ils ne peuvent être prouvés (qu’on peut toujours se plaire à les constater) et que, pourtant, ils s’imposent à nous et qu’exigent qu’on y adhère par une sorte d’évidence. La beauté est donc une réalité, bien que subjectivement perçue, qui s’adresse à un sens commun supra-individuel.

 

 

 

Comme Platon, Kant liait le Beau et le Bien, la perception de la beauté avec la morale.. Les catégories de la beauté et du bien moral sont intrinsèquement associées.. Quant au sublime, il renvoie à la toute-puissance de la nature. Une œuvre d’art “sublime” (fait assez rare) est directement l’expression de ce qu’il y a de plus profond, de plus harmonique dans la nature. Très peu d’artistes sont capables d’atteindre à la sublimité.

 

 

 

Ce qu’on peut retenir de l’esthétique kantienne, c’est que

 

1) l’art humain est l’imitation (et non pas la reproduction) de la Nature, ou plus exactement de la beauté présente dans cette dernière, car évidemment, la Nature ne comporte pas que de la beauté.

 

 

2) l’art humain ne peut être soumis au bon-vouloir conceptuel d’un individu, qui serait “libre” de faire une création indépendamment des canons esthétiques universels ; ce qui fait qu’a posteriori, une grande partie de l’art contemporain est une imposture au sens kantien ; puisqu’il se dégage des canons esthétiques universels et prétend refléter le bon-vouloir “conceptuel” d’un individu ou groupe d’individus.

 

 

3) Universaliste, la vision kantienne de l’esthétique et de l’art est très disciplinaires et nullement égalitaire : son idée du sublime, qui est, en quelque sorte la “beauté supérieure, suppose l’existence d’œuvres mineures et d’œuvres majeures, d’art majeurs et d’arts mineurs.

 

 

 

La troisième grande vision de l’esthétique dans la philosophie occidentale est celle de Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) dans son ouvrage l’Esthétique. Il voit dans l’art l’apparition de l’Absolu (proche de l’Un de Plotin), sous la forme d’une intuition humaine, reliée à des forces transcendantes, celles transmises par un Esprit. Pour lui, « la beauté artistique se situe entre le sensible en tant que tel et la pensée pure ».

 

 

 

Autrement dit, le travail de l’artiste est de faire pénétrer dans la matière l’harmonie de la pensée pure ;. La beauté est l’incarnation de l’harmonie transcendantale. Et, comme chez Kant et chez les grecs, elle n’est en aucun cas le résultat d’une fantaisie individuelle. L’artiste, là encore, est à la fois un inspiré et un travailleur discipliné. Il n’y a d’art que sous l’éclairage solaire d’un Ordre. L’intuition de l’artiste n’est autre chose que ce lien qu’il entretient avec l’Esprit qu’il “objective”.

 

 

 

L’objectivation est un concept fondamental chez Hegel. .L’artiste, en effet, ( et c’est la “nature de l’art ”) traduit en existence objective la pensée pure ; alors que l’essence interne de la religion peut être obscurcie par le culte et le dogme. L’essence de l’art se dévoile en revanche de façon nette, claire et pure, parfaite dans l’objectivité. L’objectivité de la chose concrète. L’art est la transformation, dans la sphère concrète, de l’harmonie et de la beauté métaphysiques.

 

 

 

L’ESSENCE DE L’ART

 

 

 

La comparaison des conceptions de Platon, Plotin, Kant et Hegel nous permettent de définir l’essence de l’art dans la tradition européenne.

 

 

 

On peut rassembler sous le terme « art », si l’on s’en tient aux temps modernes, toutes les créations plastiques (peinture, sculpture, dessin, architecture, objets industriels, etc.) et toutes les créations poétiques (littérature, poésie, musique et chant, théâtre, etc.) Le cinéma, par exemple, (le « septième art») se tient à la frontière entre les deux, étant à la fois objet et récit, objectivation et abstraction.

 

 

 

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L’ “art contemporain” dit «conceptuel », dont le lieu de naissance est les Etats-Unis, qui s’apparente à une mode très puissante, qui tient lieu d’art officiel, très protégé par l’idéologie dominante, qui se développe avec vanité au centre d’une énorme spéculation financière et marchande, peut être considéré comme une imposture et une forme de parasitisme – qui dure depuis une quarante d’années, et qui occulte le travail des véritables artistes.

 

 

 

Car l’essence de l’art, qu’il ait ou non une fonction directe, qu’il soit ou non majeur ou mineur, c’est – dans la tradition europénne – l’esthétique, c’est-à-dire la recherche de l’émotion par la beauté.

 

 

 

Et la beauté n’est pas n’importe quoi ; elle ne se décrète pas par fantaisie, mais obéit à des lois rigoureuses ( de formes, de couleurs, de sons, etc.) qui peuvent être apprises ou perçues par intuition. Elles correspondent à une harmonie a priori, inscrite dans la Nature et que nos sens (à condition d’être sain d’esprit) perçoivent.

 

 

 

On peut alors considérer, selon cette définition, trois niveaux artistiques différents, plus exactement trois domaines où ce qui est “art” dans son essence peut se déployer et s’exprimer:

 

 

 

1) Le niveau des arts majeurs : (arts plastiques, musique polyphonique complexe, art lyrique et danse, art théâtral tragique, littérature et poésie, architecture, parfois cinéma). Ce premier niveau est le territoire de l’Artiste.

 

 

 

2) Le niveau des arts mineurs, ou arts décoratifs. Par exemple : : illustrations (publicités, BD), joaillerie, artisanats divers, comme l’ébénisterie, maroquinerie, couture et vêtements, décorations diverses, musiques populaires et chansons etc. Ce deuxième niveau est le territoire de l’Artisan.

 

 

 

3) Le niveau des arts induits ( apparus avec le monde moderne), c’est-à-dire la création de beauté dans les productions techniques et industrielles, soit pas nécessité fonctionnelle quasi-inconsciente, soit par recherche consciente : carrosseries, design d’avions, objets industriels, etc. Ce troisième niveau est le territoire du Technicien.

 

 

 

La mort de l’art, c’est la confusion ou mélange entre ces trois domaines ou niveaux, selon la logique égalitaire. Dès que la beauté apparaît dans une création humaine (un navire, une automobile, une arme, un meuble, un objet usuel, etc.) on peut dire qu’il y a une présence artistique, à quelque degré que ce soit. L’art, dans ces trois niveaux, est présent à des degrés d’intensité divers.

 

 

 

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Évoquons maintenant deux autres catégories, la première anthropologique, la seconde substantielle.

 

 

 

Sur le plan anthropologique, l’Artiste, enfin le véritable artiste et non l’imposteur mis en scène aujourd’hui , est un créateur qui possède deux qualités essentielles : d’une part l’intuition inspiratrice, qui est de l’ordre métaphysique et idéal, et d’autre part le savoir pratique, qui est d’ordre physique et matériel.. L’Artisan et le Technicien possèdent moins d’intuition inspiratrice, mais tout autant de savoir pratique.

 

 

 

Sur le plan substantiel, l’art majeur suppose de la part de l’Artiste un certain désintéressement matériel, car il n’est pas relié à une fonction pratique mais se déploie dans la gratuité et la spiritualité contemplative. Les arts mineurs et les arts induits au contraire, se déploient plus souvent dans la sphère pratique.

 

 

 

Il y a une exception, celle de l’architecture, qui se veut à la fois art pratique artisanal et technique (habiter) et art plastique sculptural (construire des formes esthétiques, sans nécessité technique).

 

 

 

BEAUTÉ ET FONCTIONNALITÉ

 

 

 

Une question fondamentale se pose : celle de l’apparition de la beauté dans la fonctionnalité pure. Ce qui revient à poser la question de la nature de la beauté.

 

 

 

Partons de l’exemple du Technicien (“art induit ”) qui conçoit et fabrique un objet purement fonctionnel, c’est-à-dire qui corresponde au plus près à sa fonction pratique : par exemple, les concepteurs d’un avion ou d’un navire parfaitement adaptés aux lois aérodynamiques ou hydrodynamiques.

 

 

 

Dans bien des cas, ces objets nous semblent beaux, alors que la recherche de l’art ou de la beauté en soi n’était pas le but recherché.

 

 

 

Prenons un autre exemple : dans la nature, un corps animal ou humain en bonne santé, donc parfaitement adapté à sa fonction vitale, nous semblent spontanément beaux. De même nous semblent beaux les mondes animaux, végétaux, marins, minéraux dès lors qu’ils sont sains et animés par leur propre fonction.

 

 

 

Dans les deux cas, la beauté n’est pas l’œuvre d’une création humaine directe, mais résulte d’un principe d’harmonie, présent dans la nature, que le cerveau humain perçoit spontanément. Le Technicien reproduit la beauté par nécessité, sans volition directe ; tandis que l’Artiste la recrée avec volition directe.

 

 

 

La beauté est donc à la fois, pour reprendre les catégories hégéliennes, un en-soi (existant par elle-même) et un pour-soi (perçue comme telle par le cerveau humain). Un artiste mentalement sain, c’est-à-dire en harmonie avec la nature, reconnaîtra spontanément la beauté et tentera de la reproduire dans son œuvre.

 

 

 

On peut donc dire, en accord avec toutes la vraie philosophie européenne, que l’Artiste (et aussi l‘artisan décorateur) imite l’harmonie de la nature, mais sans application pratique et fonctionnelle directe. Son but est l’émotion et la contemplation, son but est spirituel (noétique). Tandis que le but du Technicien, qui crée lui aussi la beauté, est pratique.

 

 

 

L’imposture de beaucoup de pseudo-artistes contemporains a consisté à se couper de l’harmonie naturelle et à renoncer à se mettre en relation mentale avec l’idée naturelle de beauté. C’est le signe d’une civilisation malade, qui finit par aboutir à un pseudo-art, à un art de l’inversion des valeurs, produisant l’inverse même de la beauté, c’est-à-dire la laideur.

 

 

 

D’ailleurs, la nature malade produit, elle-aussi, la laideur. Une forme animale, végétale ou minérale malades ou mourantes nous semblent spontanément laides. La beauté est l’expression de la vie dans sa pleine santé dans sa pleine puissance, c’est-à-dire dans sa fonctionnalité.

 

 

 

Un artiste qui crée une toile ou une sculpture dites “abstraites” ne reproduit pas directement la nature par un plagiat, mais il reproduit le principe de beauté présent dans la nature. D’ailleurs, l’art plastique dit “représentatif” n’est jamais une reproduction, un copiage de la nature, mais une interprétation de cette dernière.

 

 

 

Mona Lisa par Vinci n’est pas une photo d’identité, mais la réinterprétation d’une harmonie naturelle par l’art. Il n’existe donc pas de différence de nature entre l’art abstrait et l’art représentatif ou réaliste. De même, la musique n’est pas la reproduction enregistrée du chant des oiseaux ou des grondements des orages ou des cris des animaux, mais une recréation d’harmonies sonores présentes dans la nature.

 

 

 

L’ESSENCE DE LA CRÉATION ARTISTIQUE.

 

 

 

Revenons sur la création artistique, en nous limitant aux deux niveaux ci-dessus cités, l’art majeur (Artiste) et l’art mineur ou décoratif (Artisan). Dans les deux cas, mais à un degré plus fort, chez l’Artiste, la démarche est de faire accéder à la beauté sans nécessité pratique. Par un simple besoin spirituel, de produire (de reproduire) cette beauté naturelle.

 

 

 

La création artistique (outre l’apprentissage technique et le travail) suppose donc deux impératifs, qu’on peu nommer impératif d’inspiration et d’écoute et impératif de liberté et de création. Ce qu’on pourrait aussi définir comme principe intuitif et principe imaginatif. (4)

 

 

 

D’abord, il faut que l’artiste soit connecté, par son intuition, à certaines forces métaphysiques qui l’inspirent, du haut vers le bas, ce qu’avaient bien vu les enseignement des anciens savoirs de plusieurs civilisations, des Celtes aux Égyptiens, en passant par les Indiens.

 

 

 

C’est le côté soumis, obéissant de l’artiste, qui ne doit pas dévier des canons cosmiques, universels, faute de quoi (s’il est fantaisiste ou anarchiste), il passera à côté de cette inspiration et ne produira que des insignifiances, des pets. L’émotion spirituelle est une qualité indispensable de l‘artiste. S’il ne sent pas le transmetteur de quelque chose qui le dépasse, d’un ordre transcendant et universel, il ne mérite pas le nom d’artiste.

 

 

 

Le second impératif est, qu’à côté de cette capacité d’écoute, d’obéissance à l’inspiration, aux canons naturels, cosmiques et universels de la beauté, l’artiste possède une part de création personnelle. Les grands artistes des arts majeurs se caractérisent par une extraordinaire capacité d’invention à l’intérieur même des canons naturels de la beauté, mais sans jamais les enfreindre.

 

 

 

Le grand artiste innove, mais sans fantaisie ou anarchie. Il approfondit. C’est la montée vers la connaissance, dont parlait la philosophie grecque. Il invente de nouvelles formes, mais toujours plus hautes. Voilà qui n’a rien à voir avec les plaisanteries de l’art conceptuel contemporain, où les innovations sont des impostures, des gags.

 

 

 

 

Le véritable artiste est à la fois un éveilleur et un approfondisseur : à l’intérieur de l’ordre naturel, de la loi esthétique universelle, il ouvre de nouvelle pistes, grâce à son imagination. Mais il doit toujours contrôler sa liberté, pour qu’elle ne dérive pas en licence.

 

 

« Discipline et imagination », telle devrait être la maxime du véritable artiste.)

L’artiste véritable n’est donc pas celui qui interprète ou qui commente, qui copie, qui traduit ou qui imite, mais celui qui crée. Cette capacité de création n’est pas donnée à tout le monde, elle est extrêmement rare. L’idée que “ tout le monde est artiste sans le savoir” est la destruction même de l’idée d’art. (5)

 

 

 

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Évidemment, cela suppose une certaine rupture de l’artiste par rapport à la mentalité générale de la société. Il ne peut pas suivre exactement les mêmes buts que ses concitoyens, ni éprouver les mêmes désirs. Il est normal qu’il soit souvent incompris, mais cela ne le gêne pas, s’il est tout simplement admis.

 

 

 

Sa fonction sociale n’est pas directement pratique, mais spirituelle, donc concrète et utile. Car la sphère spirituelle est indispensable à toutes les autres fonctions sociales. On peut même dire que l’artiste est essentiel, puisqu’il contribue à faire passer l’idée de beauté, donc d’harmonie et de rectitude dans la société et l’ État. Comme l’avaient vu Platon et tous ses disciples, le Beau est inséparable du Bien.

 

 

 

Dans la civilisation actuelle, où l’art est détourné de sa fonction et n’est plus connecté avec la beauté, où il ne sert plus à l’exaltation de sentiments collectifs positifs et élevés, mais au contraire, de sentiments morbides (laideur et désordre), l’artiste véritable n’a plus sa place. Sauf s’il sert, après un dur combat, à une régénération. Le déclin d’une civilisation est celle de ses arts. Mais la renaissance d’une nouvelle civilisation passe aussi par l’éclosion d’une nouvelle forme d’art.

 

 

 

L’art est le transmetteur spirituel d’une civilisation. Il est possible en ce sens que l’art, en tant que participant à la fonction souveraine, précède le politique et l’économique.

Et la philosophie dans tout cela ? Il est difficile de se prononcer sur ce point. Peut-être se situe-t-elle encore au dessus de l’art ?

 

 

 

Car la philosophie cherche peut-être la beauté de l’idée au dessus de la beauté de la forme. Pour avoir une réponse à cette question, il importe d’étudier attentivement La République de Platon.

 

 

 

NOTES.

 

 

(1) Aux côtés de l’éthique, de l’anthropologie, de la métaphysique et de l’onthologie, et de la logique.

 

 

(2) Plotin (204–270), fondateur de l’École d’Alexandrie, avait comme disciple l’Empereur romain Gratien.

 

 

 

(3) Emmanuel Kant (1724–1824) , in Critique de la Raison pure, chapitre sur l’Esthétique transcendantale.

 

 

 

(4) L’intuition est la capacité intérieure de réception d’un message qui vient d’ailleurs ; l’imagination est la capacité de mettre ce message en images et en formes et de le transmettre vers l’extérieur. L’artiste, pour utiliser une comparaison, est comme un poste radio, qui reçoit et qui émet des ondes.

 

 

 

(5) Se pose ici la question des interprètes des œuvres musicales. Selon moi, quelque soit leur talent, ils appartiennent, à la catégorie des Artisans et non pas des Artistes. Même les plus grands pianistes et les plus grands chefs d’orchestres.

 

 

 

La musique est l’organisation du temps (comme la danse et le cinéma), les arts plastiques et l’architecture- sont l’organisation de l’espace (en deux ou trois dimensions), les diverses formes de littérature sont l’organisation de la pensée