La femme africaine passe sur la scène de l'actualité
La prise de conscience de la condition féminine est un phénomène nou veau, tant du côté de l'intéressée que des observateurs. De marginale, la femme africaine passe sur la scène de l'actualité. Les transformations s'opérant en certains milieux à une rapidité déconcertante ne peuvent la laisser étrangère. L'évolution des structures familiales, les changements de statuts, la mutation des jeunes engendrent des bouleversements profonds.
Les formes de vie disparaissent sans que l'on ait encore établi de nouvelles normes de vie, acceptées par l'ensemble des individus, d'où malaises et conflits. La femme sera pour ou contre, rarement indifférente. Partagée entre le passé, le présent et le futur, elle constitue un facteur potentiel de changement.
Une société conçue par et pour les hommes
La position féminine est d'autant plus délicate qu'elle s'insère dans une société faite jusqu'à présent sans elle, ou du moins conçue par et pour les hommes seulement, dans la grande majorité des cas. La femme doit prendre place dans le champ des investigations et des recherches si l'on veut saisir la totalité de la société africaine. Cela nécessite une approche nouvelle, un élargissement de la vision du milieu et une coopération des femmes dans les enquêtes, interviews et contacts.
L'approche des femmes s'avère longue et, délicate
DENISE PAULME dans son introduction à Femmes d'Afrique noire[1] énumère quelques-unes des difficultés pouvant surgir sur le terrain en raison de l'obstacle de la langue, des rapports dominants-dominées, et sur tout de la réaction indifférente, ironique, voire hostile des femmes vis-à-vis du chercheur: homme et surtout femme, accusé de partialité, ne s'intéressant et se documentant uniquement auprès de l'élément masculin. L'approche des femmes s'avère longue et, délicate et explique le petit nombre d'ouvrages les concernant.
La femme Batanga jouit d'une situation spéciale
Notre choix de la femme Batanga résulte, d'une part, d'une approche directe: huit années de séjour consécutif à Kribi, la connaissance de la langue, surtout les contacts journaliers avec les familles constituaient pour nous des éléments valables à l'entreprise de ce travail; d'autre part, le fait que la femme Batanga jouisse d'une situation spéciale en tant que «côtière» et membre d'une société libérale, mais aussi qu'elle se signale par son dynamisme et son esprit d'initiative, tous ces facteurs suffisaient à lui accorder notre préférence.
Situation géographique du pays Batanga
L'entité Batanga ayant une double dimension, nous croyons utile de donner quelques précisions avant d'aborder notre sujet. Tout d'abord, c'est une appellation géographique, désignant la région du littoral atlantique, comprise entre le 30° 10 et le 21° 36 de latitude nord, de l'arrondissement de Kribi, lui-même faisant partie du département de Kribi avec chef-lieu du même nom.
C'est le pays Batanga mentionné sur plusieurs cartes. C'est aussi une appellation ethnique, désignant les groupes vivant le long de la côte et comprenant les Batanga-Nda, de l'embou-chure du Nyong et de la Lokunjé, les Banoho, de Kribi, Bwambé, Lobé et Bongahélé et les Bapuku de Plantation, Mpolongwé, Grand-Batanga et Ebunja.
Les Batanga, synonyme d'attardés, peu connus
L'administration française officialisa l'ethnonyme: Batanga, englobant tous ces clans dans cette appellation commune. Cette décision souleva plus d'une récrimination, certains se défendant de passer pour Batanga, synonyme d'attardés, par allusion aux groupes minoritaires des Batanga-Nda longtemps en marge de l'évolution en raison de leur éloignement spatial.
Et pourtant, cette dénomination commune de Batanga opérait un retour aux sources d'ori gines; toutes les généalogies aboutissant à Mutanga-Mbédi, fils de Mbédi, l'ancêtre commun.
Bien que souvent cités, les Batanga sont peu connus. I. DUGAST reconnaît "qu'il est malaisé de définir cette population... seul le fait linguistique peut être quelque peu une indication sur les origines: Banoho et Bapuku parlant un dialecte extrêmement proche des Douala.»[2]
La femme comprend l'évolution et se pas sionne pour l’avenir.La femme Batanga, bénéficiant de longue date d'une certaine importance sociale, soulignée par plusieurs observateurs, ne peut méconnaître les problèmes actuels. L'histoire qui s'écrit hors de la tribu, les événements africains et mondiaux ne la trouvent pas indifférente. Ce qui frappe chez elle, c'est son ouverture à l'information par la radio et la presse, non seulement en milieu urbain, mais aussi dans les villages. La femme comprend l'évolution et se pas sionne pour un avenir où elle aspire à voir ses fils et ses filles en bonne place; c'est la suite logique de son émancipation et de sa condition.
«Plus qu'aux droits reconnus par la coutume, écrit D. PAULME, l'influence des femmes tient à leur vitalité, à leur indépendance, à leur inépuisable énergie. Les condi tions dans lesquelles elles sont élevées ne peuvent qu'accroître ces qualités naturelles»[3]
Message du pape Paul VI aux femmes d'Afrique
L'action féminine prend enfin sa vraie dimension au sein des associations religieuses et économiques, répondant en partie au besoin de sécurité, mais surtout à l'éveil d'une conscience nouvelle de liberté et d'universalité. Plus d'une parmi les responsables de ces groupements féminins a accueilli avec joie le message du pape Paul VI à l'Afrique (1968) où il lance un appel aux femmes africaines en leur demandant de prendre pleinement conscience de leur dignité, de leur mission de mères, du droit qui leur revient de participer à la vie sociale.
Techniques de recherche sur le terrain
a) L'approche personnelle: la connaissance du milieu résulte d'un séjour de vingt années au Cameroun dont huit consécutives à Kribi, au service de l'enseignement primaire. Outre les contacts journaliers avec les élèves et leurs parents; le fait de parler les langues Batanga et Ewondo; il nous a été donné, lors de nombreux séjours dans les villages des différentes ethnies' d'approcher les anciens, de recueillir une partie de la tradition orale, de comparer et de recouper leurs témoignages.
b) Pour la documentation, nous avons puisé aux archives de la mission et de la mairie de Kribi. Les documents et écrits relatifs à la région sont peu nombreux. RENE BUREAU (1962) nous a fourni maintes précisions sur les Batanga, nous ajouterons cependant que nous ne sommes pas toujours d'accord avec lui.
c) L'enquête s'est révélée utile car, ayant quitté la région kribienne depuis 1962, nous avions à coeur de vérifier les faits et leur continuité. Cette enquête s'est réalisée de mai à septembre 1968 auprès de trois cents foyers Batanga. Ce travail a été l’oeuvre d'une collaboration étroite émanant du maire de Kribi, Louis Ngandé, d'un groupe de jeunes foyers qui n'ont pas hésité à consacrer deux à trois heures de recherches journalières soit auprès des enquêtés ou des chefs de lignages.
Notre reconnaissance ne peut ignorer leur aide désintéressée et objective; deux noms méritent une mention spéciale: celui du chef supérieur du groupement des Banoho de la Lobé, Isaac Evéhé et Laurent Ebéhédi, directeur de l'école principale de Kribi.
Conclusion: l'évolution de la femme Batanga
Nous avons essayé, au cours de cette étude, de faire apparaître les prin cipaux aspects de l'évolution de la femme Batanga en référence à son milieu traditionnel et à celui de la nouvelle société kribienne en perpétuelle mutation.
En moins de trois générations la femme revendique son autonomie, brise les barrières ethniques modifiant les relations parentales, oriente la répartition des tâches familiales et sociales vers une nouvelle économie indépendante et favorable au couple. Type de femme éminemment progressive, elle manifeste des facultés d'acculturation suffisantes pour affronter la compétition.
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Yann-Ber TILLENON. Kêrvreizh