Fils sans nouvelle réponse

MARI VORGAN / MARIE MORGANE


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le : 24. 04. 2007 [02:41]
Yann-Ber TILLENON
Yann-Ber TILLENON
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Introduction



Contemporaine du surréalisme, de l'agitprop, du Bauhaus, se déroulait en Bretagne une expérience non moins radicale. Gwalarn, revue fondée en 1925, désigne aussi le groupe de jeunes écrivains réunis autour de Roparz Hemon, et surtout l'aventure d'une table rase menée par un poète avec une méthode exemplaire.
Bretagne, terre de contrastes, disent les dépliants. Et c'est vrai. Ce l'était surtout dans les années vingt, quand les premiers ruraux devenus universitaires retrouvaient aux vacances le dialecte de leur village, allaient jusqu'à le pratiquer aux oreilles attendries de leurs parents, voire à s'en déclarer les défenseurs au nom de ce qui serait plus tard le droit à la différence. Ce l'était, quand les indo-européanistes accouraient du monde entier pour rencontrer les bretonnants natifs et transcrire leurs vocables non encore dénaturés par l'assimilation. Contraste, l'existence en pleine Troisième République d'une végétation littéraire (vingt mille abonnés au mensuel Feiz ha Breiz) faite avant tout d'adaptations par le clergé de textes de dévotion d'un autre siècle - mais aussi d'œuvres profanes, comme les fables de La Fontaine ! - que protégeait la barrière linguistique contre la culture affluant par l'école et déjà bien implantée dans les classes moyennes.

Rencontre aussi étonnante, celle du sentiment puissant d'identité tribale (l'étranger était à quelques kilomètres, francophone et citadin) et du patriotisme héroïque suscité par la Grande Guerre qui fit les Bretons « deux fois français ». De ce décalage ethnologique, matière à exotisme sous le signe de Bécassine, Roparz Hemon tira les conditions d'une entreprise fondatrice. Il changea ce qui n'était que coexistence inerte, fortuite, en un champ de tensions durablement déstabilisantes et c'est en cela qu'il fut poète, bien plus que par les textes qu'il y inscrivit en seconde intention.
Cet intellectuel européen vint s'enterrer en Basse-Bretagne et prit pour objectif de faire du breton une langue de création à l'usage de tout un peuple. A la manière de Ben Yehuda, promoteur de l'hébreu moderne, il engagea tout d'emblée et fut le premier Breton à vivre la vie contemporaine dans sa langue. Théoricien, il n'en resta pas aux spéculations ni à la propagande, n'affirmant ni ne prescrivant rien qui n'eût une réalisation pour répondant. Ce qui lui permit d'aller, dans la voie négative d'abord, autrement plus loin que par exemple au même moment les tapageurs autonomistes, dont les revendications restées sans lendemain paraissent pourtant aujourd'hui bien timides.

« La vérité est que nous avons en Bretagne - pour le moment du moins - beaucoup plus à défaire qu'à faire, à démolir qu'à construire.»

Que démolir ? Pratiquement tout. D'abord la présence culturelle française et le français lui-même.

« Pour nous, que pénètre et s'imprime dans nos esprits cette
vérité : tuons le français, ou le français nous tuera.
Chacun de nous veut venir en aide au breton. Que chacun veuille
d'abord désapprendre le français, lutter contre lui en tout lieu et en tout temps 3. »

En ce qui concerne la prétendue culture bretonne et les patois dont elle se réclame, pas la moindre hésitation.

« Notre littérature ne vaut rien. Absolument rien pour quiconque attend d'elle ce qu'on attend de toute vraie littérature, ouverture
pour l'esprit, émotion pour le cœur. Notre littérature bretonne n'est
ni importante, ni belle, ni inspirée, ni vivante, ni bretonne 4. » « Rien d'après eux (les écrivains bretons) ne valait la langue populaire. Un mot de la bouche de ma grand-mère était une perle à conserver dans l'écrin précieux d'un dictionnaire. De la bouche d'un homme cultivé, un vil galet tout juste bon à jeter dans l'océan de l'oubli 5. »

Même désinvolture devant les prétentions de la seule autorité établie en matière de langue bretonne, la linguistique, pour laquelle « la plupart des gens se montrent aussi pleins de révérence que s'ils parlaient du Bon Dieu 6. »

« Étudier est une chose. Créer en est une autre.
« Ceux qui étudient découvrent des lois - bonnes ou mauvaises au regard de leur étude.
« Mais pour les créateurs, les lois des savants sont étriquées. Car le monde du créateur est plus vaste que celui du savant.
« Ce n'est pas de la chenille que le papillon apprend à voler.
« Le premier conseil qu'on lui donne est de prendre pour modèle la langue populaire, en y touchant le moins possible.
sous le prétexte qu'il ne faut pas fausser la croissance naturelle des langues.
« C'est là l'avis de la chenille.
« Mais ce n'est pas au peuple, domestiqué et ignare, que nous irons demander ce qu'il convient ou non de dire, pas plus qu'aux savants, qui ne sont rien d'autre que savants et myopes. Nous recevons la langue populaire, sans nous soucier de ses lois. Car selon ces lois, le breton et la Bretagne sont condamnés à mort.
« Voilà l'avis du papillon.

« En vain l'on me dit : c'est dangereux ce que vous faites là. En voulant tout, vous risquez de perdre ce que vous avez.
« Je réponds : ce que j'ai ne m'est rien si je n'ai pas tout.
« J'en entends d'autres: " On ne fait pas ce qu'on veut d'une langue". C'est vraisemblable, pour ceux qui ont de mauvais outils, ou qui ne savent comment s'y prendre. Les mêmes pensent aussi qu'on ne peut pas bâtir de gratte-ciel de ce côté-ci de l'Atlantique, alors qu'ils poussent apparemment tout seuls sur le sol des Etats-Unis 7. »

Là où s'imbriquent sans conflit, sinon sans souffrance, dans les familles et les individus, la strate cultivée moderne et la strate «naturelle» archaïque, il enfonce le coin explosif du prophète Amos : corruption 8 d'un côté, déchéance de l'autre. Là où la science se penche respectueusement sur une « civilisation originale » , il ne parle ni de génocide ni de colonisation, il récuse à l'avance toute politique culturelle fondée sur un constat de positivité et il se garde bien de réclamer une préservation des ruines de la civilisation traditionnelle. Mais surtout s'il récuse, il ne rejette pas. Il repousse de toutes parts pour ménager le vide central, il creuse un trou aussi profond que l'exigent les fondations du monde neuf dont il sent la prégnance.

« Un monde, en 1914, est disparu. Un monde, en 1918, est né. La vieille Bretagne est morte, la prostituée qui recevait l'étranger dans son lit. Qu'elle pourrisse maintenant entre ses quatre planches. Toutefois, dans ses dépouilles, ramassons tout ce qui a quelque valeur, pour accueillir la vierge qui marchera parmi nous, quand nous aurons ouvert les fenêtres au soleil et balayé notre seuil 9 »

Il ne se détache d'aucune culture. En les repoussant, il s'y adosse ; en les faisant taire dans l'espace vierge qu'il libère, il leur annonce la naissance d'un rejeton. Il désunit les symbioses stériles en vue d'unions inouïes. S'il revient impérativement sur la coupure à opérer une fois pour toutes entre la langue moderne - que personne ne parle sauf lui - et les patois d'un million de locuteurs, il demeure attentif aux trouvailles des ethnolinguistes amateurs que sont les écrivains populaires.

« Je n'ai jamais lu de texte breton sans y trouver la récompense d'un mot ou d'une expression. Quiconque veut écrire en breton doit consacrer une heure ou une demi-heure tous les jours à lire du breton : du breton ancien, du breton francisé, du patois. Qu'importe, s'il sait discerner le bon du mauvais. (... ) Étudions notre littérature, mais pour la lettre, non pour l'esprit 10. »

D'un autre côté, s'il n'a pas de termes assez forts pour condamner, l'invasion du français, ce n'est jamais pour des raisons de chauvinisme, mais bien d'universalisme.
« Nous sommes esclaves du français tant que nous sommes réduits, pour apprendre, pour exprimer quoi que ce soit, à nous reporter à des livres français, à parler et écrire en français. Abattons les murs de notre prison. Apprenons d'autres langues (... ) Que le français cesse d'être le seul pont entre notre esprit et le monde 11. »

Et dans le choix qu'il fait des traductions publiées par Gwalarn, apparaît le souci systématique de se référer aux cultures autres que la française 12. Mais, à son niveau plus profond, dans son œuvre de fondateur de langue, il en va autrement. Il faut ici rappeler un fait général. C'est qu'il n'est de langue qui n'ait fait sa croissance sans s'adosser à une autre déjà majeure. Ainsi une bonne partie des langues européennes ont-elles pris leur essor en s'appuyant sur le latin puis sur le français, comme le français lui-même s'était fait en s'adossant au latin. Ainsi le breton moderne s'est-il étayé sur le français. Notons bien qu'il ne s'agit pas là d'un passage de langue-mère à langue-fille, ni d'un copiage servile et définitif, mais plutôt de l'apprentissage que fait un idiome novice dans l'atelier d'un maître. Selon le bonheur poétique des locuteurs, l'embrasement dans les foyers qu'ils auront allumés, la nouvelle langue plus ou moins vite se dégagera du moule, se donnera un génie. Par le fait qu'il demandait au breton de pourvoir à tous ses besoins intellectuels, Roparz Hemon mettait le jeune barbare recueilli dans les décombres médiévaux à l'école du langage moderne et de son représentant le plus proche, le français. Il faut dire que le terrain était préparé de longue main. Depuis deux siècles, des chercheurs y avaient consacré leur vie - la légende s'est emparée de ces célibataires fortunés dont le seul amour fut la langue bretonne et qui, prenant avec elle leur plaisir des dix heures par jour et des cinquante ans d'affilée, engendrèrent le précurseur immédiat du breton moderne, le breton littéraire.

« C'est un lieu commun de dire que les écrivains font la langue écrite. C'est vrai dans certains pays, encore, me semble-t-il, que ce ne le soit pas autant qu'on le dit. En Bretagne, le contraire s'est produit. La langue écrite a été déchirée, saccagée, démantelée, défaite par les écrivains.
« Nous avons une langue littéraire. Une langue écrite, beaucoup plus riche que la langue parlée, assez riche pour exprimer la plupart de nos idées. On a beau chercher l'écrivain qui l'a façonnée, on ne le trouve pas. Nos deux meilleurs auteurs, Bleimor 13 et Malemanche 14 se sont servis d'un patois émaillé d'emprunts à la langue littéraire. Pour les autres, quelques-uns ont cherché de temps en temps à l'employer. La plupart l'ont méprisée, trop paresseux pour l'apprendre, et ceux d'entre eux qui vivent encore sont incapables, aujourd'hui même, de la comprendre.
« Je dirai tout de suite comment a été faite la langue littéraire. Elle est le travail de grammairiens, de lexicographes. Les dictionnaires de Le Gonidec 15, Troude 16, Vallée 17 et quelques grammaires, voilà les principales œuvres qui la représentent. Ajoutez-y une partie des écrits de La Villemarqué 18 et de ses amis, un bout de texte par-ci par-là dans Feiz ha Breiz 19, Kroaz ar Vretoned 20 Spered ar Vro 21 (ces textes, il faudra un jour les réunir et les rééditer), les Notennoù a-zivout ar Gelted Kozh 22, des ouvrages qu'on a trop oubliés, comme Lemenik d'Erwan Berthou 23 pour finir, les Sketla Segobrani 24 et on en aura fait le tour. A côté des écrivailleries de nos " bardes illustres " et de nos " éminents conteurs " qui s'empoussièrent dans nos armoires, c'est peu 25.»

La langue littéraire résultait de trois grandes séries d'efforts convergentes qu'on peut résumer par les impératifs récupérer, unifier, enrichir. Récupérer : rassembler et recombiner les membra disjecta survivant dans l'éparpillement des vernaculaires et l'embourbement des emprunts au français. Unifier : imposer une unité morphologique, fixer la charpente syntaxique en élaguant archaïsmes et particularismes, en réduisant le flou des variantes dialectales 26 au profit de formes uniques, choisies moins d'après leur fréquence statistique que pour leur conformité historique. Ce dernier souci s'accordait avec le troisième impératif : l'enrichissement à partir d'emprunts fait à l'ancien breton 27 et aux autres langues celtiques, au gallois surtout. Si le breton littéraire était cet aboutissement, le breton moderne fut un commencement, c'est ce qui fait leur différence et donne à Roparz Hemon sa place unique dans l'histoire de la langue. Le breton littéraire habitait surtout les dictionnaires et les livres conçus pour en être l'illustration - l'écriture pesante, sursaturée de vocabulaire neuf des Sketla Segobrani en est l'exemple. Roparz Hemon, par contre, se préoccupait de bases de départ. Il restreignit ses moyens, usant d'un noyau minimum de vocabulaire et de syntaxe - inutile de préciser qu'il reçut comme un dogme l'unification réalisée par ses prédécesseurs. Il se fit une langue sobre, neutre, presque incolore, aux phrases décharnées et puissamment articulées. « Breton chimique », « français travesti », hurla le chœur des bardes et de tous ceux qui prétendaient à une plume bretonne, habitués aux paraphrases stéréotypées transmises comme des idéogrammes chargés de couleur locale. Une telle langue minimale se justifiait pour Roparz Hemon par sa facilité à être apprise des francisants et comprise des bretonnants natifs qui n'en ignoraient presque aucun terme. Surtout elle évacuait la désuétude sans horizon,, la suffisance cantonale qui asphyxiait la littérature bretonne, et tendait résolument au-delà de tout provincialisme, de tout nationalisme même - bien qu'elle fût présentée comme « langue nationale » - vers cet inachevé infiniment disponible où se reconnaît la modernité. Autre base, capitale : alors que la langue littéraire restait strictement écrite - ses écrivains s'entretenaient soit en dialecte, soit en français -, Roparz Hemon astreignait son écriture à l'économie d'une langue parlée et prêchait d'exemple.

« C'est une évidence pour moi, et ce l'a toujours été, la littérature n'est qu'une voie et en aucune façon un but en elle-même. Un pays se doit d'avoir une grande littérature, atteignant des sommets qui dépasseront à jamais la plupart d'entre nous. Mais une telle littérature peut exister dans une langue sans que le pays et la nation n'en tirent bénéfice. L'exemple du provençal est assez parlant à cet égard.
« Regardez, nous dit-on, l'abîme qui vous sépare du peuple. Il est si profond et si large qu'il n'est personne de bon sens à n'en être pas épouvanté. (... ) Vous êtes là, petit groupe qui avez réappris votre langue, plus aptes que nul autre à la lire et l'écrire - et incapables de l'employer auprès des paysans, incapables même de l'utiliser dans le quotidien et, qui plus est, entre vous (... ) Qui parlera le breton littéraire? Et s'il ne doit pas être parlé, pourquoi devrait-il s'écrire? C'est trop tôt, dites-vous, car le peuple ne le comprend pas. Que vous reste-t-il donc à faire, sinon amener le peuple à le comprendre? Est-ce à vous de perdre votre temps à apprendre les patois? Ou bien au peuple de s'instruire en apprenant la langue unifiée 28 ? »
L'avenir donna raison à Roparz Hemon. Si la langue moderne mit vingt ans pour passer de l'écrit au parlé, elle est aujourd'hui le seul breton vivant, c'est-à-dire le seul qui serve à créer et qui soit transmis aux nouvelles générations. Tous les dictionnaires bretons actuels sont l'œuvre soit de Roparz Hemon soit, pour les technologies, de ses élèves. Voici comment, lors de la première édition de son dictionnaire, il concevait son travail de lexicographe :
« Ce dictionnaire n'est pas un ouvrage scientifique. Ce n'est qu'un ensemble de termes que j'ai recueillis :
1) Dans les œuvres des créateurs du breton littéraire.
2) Dans les œuvres de mes collaborateurs.
3) Dans mes propres écrits.
« Ce sont les mots que je connais : un choix. Et ces mots, je les ai transcrits tels que je les connais, tels qu'ils sont venus jusqu'à moi, refondus et façonnés par ceux que je regarde comme mes maîtres, refondus et façonnés par moi ou par mes camarades 29 »

Bien sûr, la langue moderne n'en est pas restée à l'état rudimentaire des années vingt. Sous la plume de Roparz Hemon lui-même et des jeunes écrivains qu'il a suscités, elle s'est étoffée, s'est réapproprié les richesses de la langue littéraire et les a fait fructifier à cent pour un 30. Mais tout ceci n'a été possible que grâce au départ donné à l'entreprise par la main sûre d'un maître langagier.

º

« Au milieu des broussailles, nous dessinons le jardin du breton, selon nos besoins, et aussi selon notre plaisirs 31.» Pour ce qui est des besoins, ils étaient singuliers. Alors que la masse des ruraux poussait ses enfants dans la voie de la francisation sous le poids des nécessités économiques, cette poignée de jeunes intellectuels, fonctionnaires pour la plupart, émettait l'exigence d'une société unilingue brittophone. Quels étaient leurs besoins, sinon ceux de leur plaisir ? Et singulier plaisir. Celui, non seulement de rêver un monde neuf, mais de le construire en commençant par les mots. Car ils savaient que toute réalité commence, sinon dans les rêves, du moins dans les mots.
Là où tout le monde voyait seulement un retard à rattraper, culturel, économique, social, Roparz Hemon percevait les conditions historiques, si rarement réunies, de la naissance d'une civilisation : la vertigineuse dénivellation entre la culture européenne et ce peuple du bout du monde resté à l'état tribal, le décalage entre l'indigence des parlers bretons et les virtualités gigantesques de la langue celtique ; quatre pôles, avec lesquels il avait des attaches par ses origines et son cheminement personnel, mais qu'il repoussa tous les quatre. Il se tint au centre, lui seul en eut l'idée, il sut en faire le carrefour des tensions et provoquer la cristallisation autour du germe d'une modernité bretonne. Ne tardèrent pas à se dévoiler des implications en chaîne : créer une littérature, créer des lecteurs et des locuteurs, créer des créateurs - immense promesse de plaisir. Les jeunes écrivains séduits par Gwalarn en subirent l'éblouissement. Leur écriture en fut transformée - comparez le localisme plombé du premier Jakez Riou 32 et ses textes, poèmes et nouvelles, de Gwalarn rebondissant allégrement dans toutes les langues.

« Si nous choisissons notre langue, ce n'est pas parce qu'elle est "la langue de nos pères " ni " notre langue bien-aimée ", ni " la langue du cœur ” non plus que par ces raisons qu'on est accoutumé d'entendre de la part de gens qui ne savent rien faire sans demander pardon. Nous choisissons notre langue, parce que nous voulons la choisir, et nous laissons l'autre parce que nous voulons la laisser 33»

Je ne mettrai pas en cause le patriotisme de Roparz Hemon, mainte fois proclamé dans ses textes des années vingt. Je ferai seulement remarquer que ce patriotisme était focalisé sur le breton, non pas sur le breton réel, parlé par un million de compatriotes, mais sur un breton encore inexistant. Et si son. amour se porte au-delà, sur les Bretons eux-mêmes, c'est toujours en fonction de la lumière qui les touche depuis ce foyer virtuel. Il faut considérer aussi qu'il usait parfois d'artifices de propagande. En terre mystique, ce créateur aurait pu arguer, à l'appui de sa démarche, que l'acte de créer est divin par lui-même et réconciliation avec le Créateur. Il s'en tint aux argumentations socio-historico-psychologiques déjà à la mode, du genre : les Bretons sont des opprimés culturels, ils s'épanouiront dès qu'ils auront retrouvé l'usage de leur langue, prescrivant ainsi une œuvre missionnaire - ou révolutionnaire, comme on voudra mieux accordée à la mentalité, catholique que la thèse du plaisir, fût-elle celle du plaisir de créer.
Pourtant les arguments allégués n'importent pas, non plus que les vraies raisons. En quoi donc le poète devrait-il se justifier, « demander pardon » ? Il passe au-delà de la réalité, et surtout au-delà du plaisir. Il est le néantiseur, la désexistence même. Il se dépouille de son œuvre comme il a repoussé ce qui en tenait la place. Pour le public, son œuvre est une traînée d'indices : quelque chose s'est passé, qui remplit d'effroi - la dernière rencontre qui soit avec le sacré (de même racine que sacré, le breton hakr a gardé le sens « impur, horrible » viennent les boueux : les gens de culture, ramasser le tout pour engraisser le patrimoine). Pour le poète la tentation est de laisser la désexistence au profit de la gestion du bien porté à l'existence par la poésie. Vers 1930, le choix de Roparz Hemon paraît définitif : il ne dépouillera pas son œuvre, il y restera. Il s'établit dans la préservation, l'illustration et la propagation de la langue qu'il a mise en place. Le produit social dont il a été l'émergence, au lieu de lui tourner le dos, en poète, il veut le suivre dans ses vicissitudes, en diriger lui-même le destin. Il s'enfonce dans une guerre de tranchées socioculturelle dont les objectifs - mettre sur pied un enseignement et des éditions populaires - s'accordent avec le projet, mais rompent avec le radicalisme, le souffle universel des premières années. On se met à calculer l'action d'après les réalités, statistiques en 34 main on se retire en deçà de la ligne avancée du plaisir. On se sacrifie. Le néantiseur devient «étantiseur », dorénavant il sera tout au plus poète au sens littéraire.
« Quelqu'un qui nous connaît bien, qui nous a appuyé, qui mieux que personne a compris nos intentions, Olier Mordrel 35 écrivait récemment que Gwalarn est en train de glisser du terrain littéraire à l'action sociale. Et c'est vrai. Il me faut en expliquer le comment et le pourquoi. « Quand j'ai créé Gwalarn, il me semblait qu'une seule chose faisait défaut au breton : une littérature. Si l'on donnait à la Bretagne une grande littérature dans sa langue, elle en viendrait vite, pensais-je, à l'aimer et à l'honorer, et ce ne serait qu'un jeu de faire renaître la langue. Cherchons d'abord à créer une littérature, et le reste suivra sans peine ni souci.
« Pour naïve et insensée que fût cette croyance, je la rapporte ici sans remords ni honte, car c'était une belle croyance. Et si je regrette quelque chose, c'est d'avoir perdu l'espoir et la confiance que j'avais dans le pouvoir de la beauté pour ressusciter l'esprit d'un peuple. je souhaite, du fond du cœur je souhaite que, si quelque chose de Gwalarn passe à la postérité, c'en soit la partie porteuse de beauté - les poèmes, les nouvelles, le théâtre et tout ce qui fut accompli pour le seul plaisir (... )
« Inutile de dire que je serai de plus en plus accaparé par l'action sociale, qui va probablement prendre une place grandissante dans Gwalarn. jusqu'au jour où seront récoltés les premiers fruits de nos efforts : où sera créée en Bretagne une vie de l'esprit, de laquelle sortira une nouvelle littérature, différente sans doute de celle qu'en 1925 je voulais édifier sur-le-champ, plus valable sans doute, mais sûrement pas plus belle 36. »


Certes, réduire Roparz Hemon à sa littérature, c'est se priver des perspectives qui livrent son apport essentiel. Celui-ci est moins d'avoir fait entrer dans la modernité une langue presque morte que la façon éminemment créatrice dont il le fit. C'est afin d'en faciliter l'approche qu'il a paru bon de présenter la traduction de l'un des textes que Hemon composa dans cette langue. Le choix de la Marie-Morgane 37 est contestable, mais comme dit le proverbe, « il faut bien entamer la miche par quelque bout ».
Le roman servira aussi de prétexte à situer l'homme Hemon lui-même. D'abord brièvement d'un point de vue événementiel. Né à Brest en 1900 d'une famille de marins et de paysans - son père était ingénieur de la marine -, Paul Louis Nemo, après des études qui le menèrent en Grande-Bretagne puis à la Sorbonne, fut reçu à l'agrégation d'anglais en 1924 et revint à Brest enseigner dans le secondaire. Bien qu'élevé en français, il fut de bonne heure familiarisé avec le breton encore en usage à Brest. Ses premiers textes paraissent en 1923 dans le journal autonomiste Breiz Atao 38. En 1925, il crée sa propre revue Gwalarn 39 et la dirige jusqu'au 165e et dernier numéro paru en 1944. La période de tribulations qui commence alors, dont je reparlerai, s'achève en 1947 par son émigration en Irlande où il reste jusqu'à sa mort en 1978.

Plus important est d'essayer de situer Roparz Hemon dans les courants d'idées de son temps et du nôtre. je crois avoir montré comment son entreprise participait de la modernité. Pourtant, à lire ses textes, il est évident qu'il n'était pas un homme du vingtième siècle. Pour lui la cosmologie religieuse ou humaniste allait toujours de soi; Marx, Nietzsche ni Freud n'étaient venus dissoudre les évidences où elle s'alimentait, le socle de positivité métaphysique qu'elle impliquait permettait toujours de bâtir le monde selon une orientation univoque où le beau, le bien, le rationnel faisaient cause commune - en particulier de bâtir la culture et la nation bretonnes dans le concert des autres cultures et des autres nations. L'humanité était réelle et l'humanisme (qu'il se dît chrétien ou rationaliste, quelle différence ?) demeurait l'idéal, l'art se situait au sommet parmi les plus humaines des œuvres ; en cela, il justifiait la nation, condition d'une culture originale, base de son développement. Sans doute, la nation bretonne n'avait pas donné ses fruits depuis des siècles que l'histoire la maintenait dans l'étouffoir français, mais rien n'était perdu : il suffisait de gens courageux et conscients pour que la fructification reprenne, ils seraient bientôt suivis de tous les Bretons soulevés par l'exemple de la beauté dont se montrerait capable la Bretagne (l'indépendance politique si besoin viendrait ensuite d'elle-même pour ainsi dire). Fait significatif : Roparz Hemon, délibérément, composa une partie de ses écrits à la façon de ce qu'aurait produit la littérature bretonne dans tel ou tel siècle si la Bretagne avait bénéficié de conditions favorables. L'art s'inscrivait comme partie harmonieuse de la civilisation, les œuvres manquantes dans telle culture figurant comme en pointillé.
Gwalarn, d'abord supplément littéraire de Breiz Atao, s'en était éloignée pour des raisons de division du travail, et aussi parce que Roparz Hemon refusa toujours l'engagement politique. Il s'en explique une fois pour toutes en 1927: « Comment ne sera pas sauvée la Bretagne.
« La plupart d’entre nous croient que la Bretagne sera sauvée par on ne sait quelle agitation, on ne sait quelle révolution. Et ils n'ont qu'une idée : amener peu à peu leurs compatriotes à penser comme eux, persuadés que le jour où tous les Bretons seront des patriotes ardents, la Bretagne sera relevée.
« De là toutes les publications, toutes les associations que nous voyons germer ou ressusciter un peu partout depuis la Grande Guerre. Bien que très différentes vues de près (et de plus en perpétuelles dissensions), elles se ressemblent toutes de loin. Elles placent leur confiance dans la lutte politique. Leur objectif est de rassembler le plus grand nombre afin de pouvoir dire un jour au gouvernement: " Voilà, nous sommes là, en masse, et nous exigeons telle et telle chose ". Beaucoup croient devoir de cette façon remporter de grands succès. C'est tant pis pour eux.
« Comment sera sauvée la Bretagne.
« La Bretagne sera sauvée le jour où nous aurons créé, envers et contre tous, une vie nationale bretonne. La Bretagne sera sauvée le jour où nous aurons appris à nos compatriotes à lire et à écrire notre langue ; le jour où nous leur aurons exposé notre histoire, le jour où nous aurons perfectionné notre langue, fait notre littérature, bâti nos écoles, avec nos maîtres et nos livres payés par notre argent ; le jour où nous aurons ouvert et élevé l'esprit de nos compatriotes suffisamment pour en faire un peuple libre dans tous les domaines de la vie matérielle et spirituelle.
« Et vous objectez : tout cela ne peut se faire sans la liberté politique. Alors vous ne connaissez pas l'histoire des petites nationalités européennes. Mais rassurez-vous : la liberté politique sera conquise sans trop de discours avant que ne soit réalisée la moitié de tout cela 40 »

Dès la fin des années vingt, l'histoire de Roparz Hemon se confond avec celle du breton moderne : il est monté dans le train qu'il a mis sur les rails, seule la mort l'en fera descendre 41. Le souci de diffuser la langue dans les masses prend le pas sur son activité littéraire. Sans doute, des écrivains de qualité, tels qu'il les souhaitait, l'ont rejoint 42 et le niveau de la revue ne fléchit pas, mais on y perçoit l'influence du plan d'action culturelle, la volonté de produire pour telle ou telle catégorie de lecteurs. Il concrétise le noyau minimal de vocabulaire par la publication du Brezhoneg eeun (les 1200 mots du breton « basic »), il crée des cours et des examens de langue, lance un supplément populaire, Kannadig, Gwalarn, édite des livres pour enfants dont il soutient la diffusion marginale dans les écoles par des souscriptions. En 1940, Ie décor change. L'attrait, bien relatif, exercé sur la population par le séparatisme à la faveur de la défaite française donne à beaucoup l'illusion que l'heure a sonné pour les Bretons de reprendre leur destin en main 43. Roparz Hemon ne se laisse pas gagner par l'agitation qu'il dénonçait déjà en 1927 et se rend probablement compte que son action culturelle est vouée à l'échec 44. Pourtant les réalisations en sont nombreuses : en 1940, il prend la direction des émissions en langue bretonne à Radio-Rennes, il est élu en 1942 à la tête de l'Institut celtique nouvellement créé, il est également la cheville ouvrière d'une université Émile-Ernault 45, d'un magazine populaire, Arvor, d'une nouvelle revue culturelle, Sterenn, etc
.
Et c'est ainsi qu'en dépit de ses efforts pour tenir la politique à distance, celle-ci fait irruption dans son existence. De fait son idéologie héritée des mouvements de libération nationale du dix-neuvième siècle, ses tentatives d'action de masse l'ont maintenu dans la mouvance des nationalistes. Quand certains leaders autonomistes recherchèrent l'appui allemand, il ne les suivit ni ne les réprouva, il ne sortit pas de sa position nationalitaire culturelle. Néanmoins le gouvernement de la Libération ne se priva pas d'un amalgame facile, y trouvant le moyen d'extirper pour longtemps l'épine séparatiste. Roparz Hemon attendit une année en prison son jugement. Mais ses juges ne purent, de ses propos, de ses écrits, rien retenir contre lui. Pour lui, cette guerre était comme les autres: la nation qui avait abattu la Bretagne était abattue à son tour. French difficulty, breton opportunity, selon l'adage irlandais. Il s'agissait de rattraper le temps perdu, en évitant aussi bien tout ressentiment à l'égard de l'« occupant » d'hier que toute complaisance pour son vainqueur d'aujourd'hui - noble irréalisme ! Son acquittement au terme d'un procès qui remua l'opinion internationale 46 ne changeait rien à la catastrophe. La fin de Gwalarn, liée à la disparition du Mouvement breton, confirmait l'échec de la mobilisation culturelle entreprise quinze ans plus tôt.

De cette période date la Marie-Morgane, qui est I'œuvre la moins « contrôlée » de Roparz Hemon, la plus motivée par la détresse personnelle avant tout projet littéraire. Celle où le leurre des identifications ne joue plus, et où l'homme est laissé à la pointe extrême et nue. Écrit dans les premiers temps de l'exil dublinois, le roman témoigne d'un cheminement indécis (cet adjectif est important quand on connaît la clarté, la netteté qui caractérisent au premier chef toutes les démarches, même les plus romanesques, de Hemon). On y entend, sous les métaphores, comme un lama sabacthani ; il ne crie pas, mais les mots ne sont plus en harmonie, ils se déportent vers une obscurité et en sont déjà marqué 47. Un nouveau choix va-t-il se faire ? L'anéantissement de l'œuvre sera-t-elle une autre chance de néantisation ? La période de dérive fut brève - il semble qu'il la vécut comme une faiblesse, un tumulte, une tentation de désespoir à réprimer au plus vite. Les trois dernières décennies de sa vie furent consacrées à des relances d'action culturelle dans la ligne des années trente, à des travaux de linguistique qui ont fait de lui un celtiste de réputation internationale, et à des œuvres littéraires.

En premier lieu, il tenta depuis Dublin de mettre sur pied en Bretagne divers organismes comme Kelc'h Gwalarn (le Cercle de Gwalarn), réseau de propagande et de diffusion de brochures en breton « basic », des cours de journalisme par correspondance, etc. La seule réalisation durable fut Ar Bed Keltiek (le Monde celtique), magazine mensuel qui parut de 1951 à 1971, dont il était pratiquement le seul rédacteur, qu'il présentait comme la continuation de Gwalarn, où il donnait un résumé « neutre » des nouvelles mondiales, des éditoriaux faisant écho anachronique aux directives d'avant-guerre et des piécettes de « littérature sur pointillé » opiniâtrement destinées à la diffusion populaire. Mais le front était pour lors ailleurs. Une nouvelle génération d'intellectuels 48 se déclarant ses élèves travaillaient dans des champs de recherche, de pensée, de poésie qui les rapprochaient de leurs contemporains français, américains ou allemands. La langue moderne dans laquelle ils créaient et qu ' e donc ils créaient « selon leurs besoins et leur plaisir » laissait loin derrière elle l'embryon gwalarnique.
Parmi les ouvrages savants publiés par Roparz Hemon depuis la guerre, Geriadur istorel ar brezhoneg (le Dictionnaire historique du breton) et A Historical Morphology and Syntax of Breton sont assurés de rester longtemps des ouvrages de référence. S'y adjoignent plusieurs tomes de la collection Mediaeval and Modern Breton Series 49 dans le cadre de son enseignement à l'Institute for Advanced Studies de Dublin. Ajoutons encore que les plus utilisés aujourd'hui des manuels d'initiation à la langue et le dictionnaire bilingue usuel sans cesse réédité sont également de sa main.

Des années d'exil volontaire sont aussi sorties des œuvres, poèmes, romans, théâtre, de valeur très inégale. Certaines comptent pour ce qui a été écrit de plus beau en langue bretonne. Dans le roman An tri boulomig kalon aour (les Trois Bonhommets au coeur d'or), paru en 1961, Roparz Hemon apparaît au sommet de son écriture - certains chapitres souvent relus me procurent le même apaisement que l'anglais de Joyce dans les dernières pages des Dubliners.

GUY ÉTIENNE.
Avril 1981.


1.Sa formation acquise surtout par le moyen de l'anglais lui avait ouvert très tôt les
portes des grandes littératures.
2. Breiz Atao, août 1923.
3. Breiz Atao, juin 1925.
4. Gwalarn, printemps 1926.
5. Gwalarn, été 1926.
6. Gwalarn, automne 1928.
7. Gwalarn, été 1927.
8. « Les grandes littératures européennes sont aujourd'hui en décomposition, et elles cherchent par tous les moyens à cacher leur pourriture. Si on la regarde du dehors, quoi de plus brillant que la littérature française actuelle ? Jamais, semble-t-il, autant que ces dernières années les Français n'ont dépensé de génie pour manier leur langue et leur pensée. Mais approchez-vous, et bien vite vous vous rendez compte qu'il n'y a que purulence, et la nausée vous prend. » Breiz Atao, octobre 1924.
9. Gwalarn, printemps 1926.
10. Gwalarn, printemps 1926
11 BreizAtao,juinl925.
12. Il publie ainsi des textes, qu'il a traduits lui-même pour la plupart d'auteurs anglais (Shakespeare, Marlowe, Blake, Shelley), américains (Poe, Irving, Hawthorne), irlandais (Yeats, Synge, Murray), espagnols (Cervantes, Calderon, Lope de Rueda), russes (Pouchkine, Blok), allemands (Hoffmann, Grimm, Chamisso), néerlandais, japonais, gallois, hongrois, italiens, et aussi des littératures anciennes grecque, latine, gaélique, chinoise, etc.
13. jean-Pierre Calloc'h (1888-1917), poète mystique, écrivit en dialecte vannerais.
14. Tanguy Malemanche(1875-1953), dramaturge,de dialecte léonais.
15. jean-François Le Gonidec (1775-183icon_cool.gif, principal artisan de la
renaissance du breton au dix-neuvième siècle, auteur d'une Grammaire celto-bretonne (1807) et d'un Dictionnaire celto-breton (1821).
16. Le colonel Troude (1803-1885) publia, en collaboration avec Gab
Milin (1822-1895), plusieurs vocabulaires et dictionnaires.
17. François Vallée (1860-1949), auteur du Grand Dictionnaire
français-breton (1931), fit l'inventaire des ressources grammaticales
et lexicographiques de la langue, contribua d'une façon décisive à son unification et jeta les bases d'une néologie bretonne.
18. Théodore Hersart de La Villemarqué (1815-1895) acquit une célébrité européenne grâce au Barzhaz Breizh (Chants populaires de là Bretagne) (183icon_cool.gif recueillis et réécrits par lui. Cet ouvrage lui valut de devenir membre de l'Institut. Il assura des rééditions complétées des dictionnaires de Le Gonidec.
19. « Foi et Bretagne », magazine religieux publié avec une périodicité variable et quelques éclipses de 1865 à 1948.
20. « La Croix des Bretons », de 1896 à 1920, supplément du journal catholique la Croix des Côtes-du-Nord.
21. « L'Esprit du pays», revue créée en 1903 par Tanguy Malemanche ; les positions non conformistes de son fondateur en font un précurseur de Roparz Hemon et valurent à la publication de ne pas aller au-delà du quatrième numéro.
22. « Notes sur les anciens Celtes. » Composé entre 1911 et 1922 par Meven Mordiem (1878-1949) et François Vallée, ce premier ouvrage scientifique en langue bretonne rassemblait dans ses 494 pages l'essentiel des connaissances du moment sur l'antiquité celtique et proposait une bibliographie pratiquement complète en la matière.
23.Erwan Berthou (1861-1933), poète, auteur de plusieurs recueils. 24.« La Geste de Segobranos », ce titre en celtique ancien est celui de l'interminable odyssée d'un héros mythique publiée en 1923-1925 par Meven Mordiern, François Vallée et Émile Ernault ; ouvrage charnière, il condense toutes les acquisitions de la langue littéraire et sert de tremplin au breton moderne.
25. Gwalarn, été 1926.
26. « Il faudrait un dictionnaire breton particulier pour chaque paroisse,
tant il se trouve de changement en cette langue et dans l'orthographe et
dans la prononciation des mots », écrivait déjà en 1723 P. de Chalons dans
l'Avertissement placé en tête de son Dictionnaire breton-français.
27. On sait qu'à l'époque du Haut Moyen Age la situation était l'inverse de celle que nous connaissons, le breton étant la langue des classes cultivées face aux parlers ruraux romans de l'est de la Bretagne.
28 Breiz Atao, avril 1927
29. Gwalarn, été 1927.
30. Les écueils, phoniques entre autres, freinant le passage du français ou des termes internationaux au breton expliquent qu'il est, pour la langue, souvent plus économique et esthétique, plus invigorant, de former ses néologismes à partir d'elle-même que par voie d'emprunts. Bredel, ergorek, armerzh n'ont eu aucune peine à supplanter les nouveaux monstres psikek, objetivel, ekonomiezh. Il faut souligner l'aisance de la composition et de la dérivation permettant fréquemment le choix entre plusieurs bonnes solutions néologiques. Les langues celtiques disposent d'un gisement de racines à peine exploité, d'un potentiel de préfixes, d'une batterie de suffixes qui n'ont rien à envier à ceux des langues germaniques - sans parler d'un grand nuancement syntaxique. Mais l'hebetudo gentis Britanniae déjà déplorée par Gildas au sixième siècle, plus que le sens de l'histoire ou le complot jacobin, risque de donner le breton moderne pour compagnie à la jument de Roland, qui avait, comme on sait, toutes les qualités, plus une : d'exister seulement dans le discours de son maître'
31. Gwalarn, été 1927.
32. jakez Riou (1899-1937) fut le tempérament poétique le plus affirmé du groupe Gwalarn. Il doit sa popularité à son théâtre.
33. Breiz Atao, juin 1925.
34. En 1928, à l'initiative de Gwalarn, avait été réalisé un sondage sur la pratique linguistique dans chaque paroisse de Bretagne bretonnante (langues utilisées pour les offices et le catéchisme).
35. Olier Mordrel (né en 1901) fut le militant politique le plus en vue et le plus contesté du mouvement autonomiste breton de l'entre-deux-guerres polémiste, mais aussi activiste culturel, écrivain et linguiste.
36. Gwalarn, hiver 1929.
37. Titre original: Mari-Vorgan, roman écrit en 1947-1948, publié en 1962 (Éditions AI Liamm, Brest).
38. Successivement régionaliste, autonomiste, nationaliste, Breiz Atao (Bretagne toujours) fut le fer de lance de l'action politique bretonne entre 1919 et 1944. Son nom est resté dans la langue familière; on dit encore couramment d'un militant breton: « C'est un Breiz Atao ».
39. Gwalarn (Nord-Ouest) fut trimestrielle d'abord, mensuelle à partir de 1931.
40. Gwalarn, printemps 1927
41. Et encore avec respect : il posta à son éditeur les derniers feuillets de l'ouvrage sur lequel il travaillait depuis vingt ans, le Dictionnaire historique du breton, la veille de son hospitalisation.
42. Parmi eux, une pléiade de poètes (Gwalarn fut avant tout une brillante école de poésie): jakez Riou déjà mentionné, Abeozen (1896-1963), Youenn Drezen (1899-1972), Yann-Eozen Jarl (né en 1902), Langleiz (1906-1975), G.
B. Kerverziou (1908-1951), Maodez Glanndour (né en 1909), Meavenn (née
en 1911), Kenan Kongar (né en 1913), etc.
43. Le Parti national breton nomma en effet l'heure Bretonne
l'hebdomadaire qu'il lançait alors et dont le tirage atteignit 30 000 exemplaires.
44. Ses deux grands poèmes Lazhadenn uninab Aife (le Meurtre du fils unique d'Aife) et Gwarizi vras Einer (la Grande jalousie d'Emer), composés en 1942 et 1943, montrent le héros mythologique irlandais Cuchulainn sacrifiant d'abord son fils puis la personnification de la poésie elle-même.
45. Émile Ernault (1852-193icon_cool.gif, romaniste et celtiste, professeur à l'université de Poitiers, spécialiste du moyen-breton, publia plusieurs dictionnaires et fut l'un des principaux collaborateurs de la Revue celtique. Il fut aussi l'un des trois auteurs des Sketla Segobrani
46. Il parvint environ trois mille dépositions en sa faveur, émanant des milieux culturels européens, des autres pays celtiques, aussi d'hommes politiques comme le ministre britannique Ernest Bevin.
47. Sur ce point il convient de mentionner l'intéressante étude de Pierrette Kermoal : Eus Gwarizi vras Emer da vMari-Vorqan (De la Grande jalousie d'Emer à la Marie-Morgane), Preder, 1967.
48. Aussi clairsemés que le furent les pionniers de Gwalarn, aussi éloignés du mouvement culturel breton. Celui-ci traverse le vingtième siècle avec la constance d'une toupie. Bien que recentré sur la langue de Gwalarn, il maintient d'année en année sa gravitation, ne changeant que par usure et perte d'élan, retournant insensiblement aux patois. Il ignore le renversement accompli voici plus de cinquante ans, quand Roparz Hemon rejeta l'espace vernaculaire où les parlers restent soumis aux limitations de leurs locuteurs naturels et institua l'espace homogène où poésie et langue s'engendrent mutuellement, en un mot, fit nàltre le breton comme libre langue pour l'art.
49. Citons: Christmas Hymns (1956), Trois poèmes en moyen-breton (1962), la Destruction de Jérusalem et les amours du vieillard (1969), Doctrin an Christenien (1977).

Digoradur d’an embannadur e galleg eus Mari Vorgan Editions « L’arbre Double », Paris, 1981
le : 24. 04. 2007 [03:14]
Yann-Ber TILLENON
Yann-Ber TILLENON
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Boule a écrit :
G.Etienne a trop tendance à pousser son raisonnement jusqu'à l'absurde. Il agit sans doute ainsi en réaction aux Bretons anti-nationalistes, qui se complaisent dans la débilité, mais on a l'impression qu'il ne tient pas compte de la réalité et qu'il nous prend pour des imbéciles. Je pense que R.Hemon était plus réaliste. Si Etienne défend une langue "moderne" différente de la langue populaire et truffée de mots que personne ne connait, c'est contradictoire de le voir donner en exemple Roparz Hemon, qui a écrit avec un vocabulaire volontairement restreint. Etienne parle du breton littéraire, de la nouvelle langue promue par Roparz Hemon, mais est-ce que Hemon a vraiment parlé d'une nouvelle langue ? Je crois que les collaborateurs de R.Hemon, par exemple Jakez Riou et Youenn Drezen, se sont efforcés de rester proches du breton populaire, le contraire de ce qui plait à G.Etienne. A mon avis, la façon dont Etienne présente l'émergence du "breton littéraire" ne correspond pas vraiment à la réalité. Quand une langue est très peu utilisée à l'écrit, on a quelques problèmes d'adaptation pour écrire les premiers livres. C'est la même chose avec n'importe quelle langue. L'objectif des premiers écrivains et grammairiens du breton était de capturer au mieux la langue populaire, et non pas de s'en affranchir.


Cher camarade,

Il n y a vraiment pas besoin de discuter. Il n y a que le résultat qui compte dans l'histoire! N'est-il pas édifiant ? Qu'est ce qui restera du breton et que retiendra l'histoire dans 50 ans? Qu'est ce qu'elle retient déjà aujourd'hui, sinon les travaux de PREDER, suite logique de Gwalarn? No coment!... Circulez il n'y a rien à voir!!!...

Bonne nuit.