LES DONNEES SOCIO-HISTORIQUES DE L'EMSAV

SOMMAIRE

La persistance passive est à comprendre à travers la désarticulation dont a souffert très tôt la société bretonne.

L'Internationale des Nobles rompt l'unité du peuple breton et entraîne la dégradation de la civilisation bretonne, laquelle est réduite à un sommeil de plusieurs siècles.

Bilan de la persistance passive :

Aujourd'hui le tableau de la civilisation populaire breton¬ne est celui d'une profonde aliénation sociale, politique, culturelle, économique. En Bretagne, la désarticulation de la société est antérieure à la Révolution Industrielle.

La conservation intentionnelle, non cohérente, non ordonnée à une finalité politique est à comprendre corn. me une réaction inadaptée à la désarticulation sociale, culturelle, économique et politique du peuple breton.

C'est par centaines qu'on peut citer les tentatives de résistance des Bretons à l'assimilation politique, économique, sociale et culturelle.

Constat d'échec du conservatisme :

À la fin du Moyen Age, quand s'unifient les nations, la noblesse bretonnes suit le courant français, mais non l'exemple français. Au moment de la Révolution Industrielle, la bourgeoisie bretonne se livre au capitalisme français. L'incohérence entre les besoins réels du peuple breton et les objectifs de son activité dans le cadre français.

La contradiction interne du conservatisme :

Vouloir seulement conserver le patrimoine breton équivaut à vouloir conserver les structures françaises qui sont l'instrument de sa destruction, aussi bien dans le domaine économique, politique que dans le domaine social et culturel L'échec du mouvement conservatiste tient à ce qu'il veut combattre la désarticulation, étant lui-même désarticulé.

Les symptomes de la désarticulation dans le mouvement conservatiste

La désarticulation organique des « mouvements bretons ». La ségrégation mentale du conservatisme. Le conservatisme est un mimétisme; le phénomène d'écho. L'incohérence des finalités conservatistes.

La révolution, remaniement complet de la société or· donné à une finalité politique cohérente, s'est lentement mise en route en Bretagne au 20ème siècle .

Prophètes et précurseurs de la révolution bretonne. Le renversement révolutionnaire. Le but: une société politique bretonne indépendante. A la coordination par le rêve de faits incompatibles telle que la pratiquent les conservatistes, les révolutionnaires substituent la coordination par l'action.

Le concept de capital historique :

La généralisation de la notion de capital. L'unité d'un peuple est celle de sa « production » au long des siècles. Capital historique, culture et propriété des moyens de production. Par la révolution individuelle, l'emsaver met en forme une nouvelle civilisation bretonne. La langue bretonne est l'arme première de la révolution: il n'y a pas de révolution bretonne de langue française. En refaisant du breton la langue des Bretons, l'Emsav transmue un passé mort en capital historique.

Constituer une société bretonne nouvelle

A la mise en forme d'une vie sociale réenracinée correspond la mise en place d'une société nouvelle. La pensée politique de l'Emsav progresse avec lui, s'enracinant dans l'histoire du peuple breton et, au-delà, dans l'histoire humaine. La théorie du capital historique transforme profondément le concept de propriété. La production humaine est toujours le fait de peuples en tant que réalités historiques.

Bâtir les cadres politiques de la société bretonne nouvelle

Faire du peuple breton une société politique maîtresse de son destin. Créer dès maintenant les structures étatiques bretonnes.

NOTES

 

LES DONNEES

SOCIO-HISTORIQUES DE

L'EMSAV

Le peuple breton est un peuple qui résiste depuis huit siècles à l'assimilation.

Cette résistance doit être compris sous trois aspects:

- Celui d'une persistance passive, sans intention consciente;

- Celui d'une conservation intentionnelle, non cohérente, non ordonnée à une finalité politique;

- celui d'une révolution, c'est-à-dire d'un remaniement complet de la société ordonné à une finalité politique,

La persistance passive est à comprendre à travers la désarticulation dont a souffert très tôt la société bretonne

Du 8ème au 12ème siècle, le peuple breton constitua une société politique vigoureuse comportant des centres de civilisation qui rayonnaient sur toute l'Europe occidentale '.

Or, dès le l2ème siècle, les couches dirigeantes acceptent des liens de classe de plus en plus étroits avec les autres couches dirigeantes européennes et ne tardent pas à tomber dans la sphère d'influence de la noblesse française, Par suite, un fossé se creuse rapidement entre elles et le peuple breton. Il en résulte un certain nombre de conséquences graves :

- deux civilisations cohabitent en Bretagne: la civilisation française, apanage de la minorité gouvernante, considérée de ce fait comme supérieure; la civilisation bretonne, apanage du peuple, considérée comme inférieure par un motif de classe; - ce qui, au début, n'est qu'un motif de classe, subjectif, s'objective peu à peu, s'inscrit dans les faits par un mécanisme simple: quiconque dans la classe populaire cherche à s'élever socialement doit, par nécessité, s'assimiler à la civilisation française. Par suite, quiconque serait en mesure par sa valeur personnelle de concourir au développement de la civilisation bretonne, abandonne cette civilisation pour la civilisation française;

- on assiste donc à une dégradation rapide de la civilisation bretonne: celle-ci, après avoir été subjectivement jugée inférieure, devient objectivement inférieure. Elle cesse, pour prendre les termes précis du breton moderne, d'être un sevenadur " c'est-à-dire un accomplissement voulu et conscient par un peuple soucieux de son destin, pour n'être qu'une stuzegezh " c'est-à-dire un ensemble de for¬mes locales de vie laissées à leur pur déterminisme sociologique;

-    la culture active étant française, on conçoit que la civilisation bretonne persiste uniquement dans les couches les plus éloignées des sphères actives du pays, En ceci, la désarticulation sociale appauvrit considérablement la civilisation bretonne, mais en même temps lui laissa une chance: celle de persister, car dans le peuple coupé des classes dirigeantes la civilisation bretonne traversa plusieurs siècles d'hibernation sans mourir

-   

Bilan de la persistance passive

Au terme de ses siècles d'hibernation, la civilisation bretonne populaire se trouve dans l'impossibilité absolue de vivre par elle·même :

- la seule structure sociale persistante, maintenue par l'Eglise, l'organisation en paroisses, a régressé au point de prendre une forme tribale, puis de perdre toute fonction sociale;

- toute société politique a depuis longtemps dis¬paru, laissant le champ libre aux structures politiques françaises qui, reçues de l'extérieur et sans adhésion créatrice, agissent comme éléments dépolitisants, et instruments d'aliénation collective;

- la production culturelle, privée des individus créateurs sans cesse ravis par la civilisation française, privée d'un cadre politique qui lui soit homogène, réduite à prendre assise dans les micro¬communautés locales, est pratiquement nulle en qualité comme en quantité;

- la désarticulation de la société qui favorisa la perte de l'indépendance politique au 16ème siècle prépara, à plus long terme la voie au sous-développement économique, Celui-ci est le résultat de la mise en contact d'une économie de type traditionnel avec une économie industrielle développée, Les enclaves économiques modernes implantées par l'économie dominante attirent les éléments les plus dynamiques de la population qui adoptent les modèles culturels de la « métropole» ; la désarticulation de la société est alors le résultat de la désagrégation de l'économie traditionnelle. Or, contrairement à ce qui est survenu en Afrique et en Asie, la désarticulation de la société est antérieure en Bretagne à la Révolution Industrielle et l'économie bretonne est déjà assujettie à l'économie française; les classes dirigeantes francisées sont tournées vers Paris et se révèlent incapables d'introduire un processus de développement'.

La conservation intentionnelle, non cohérente, non ordonnée à une finalité politique est à comprendre comme une réaction inadaptée à la désarticulation sociale, culturelle, économique et politique du peuple breton

L'aliénation dans laquelle a glissé le peuple breton au cours des huit siècles passés n'a pas été sans susciter de nombreux sursauts. C'est par centaines qu'on peut citer à toutes les époques les tentatives de résistance à l'assimilation:

- dans le domaine politique l'opiniâtre résistance des hommes d'Etat bretons des 16ème, 17ème et 18ème siècles aux ingérences françaises; les travaux des juristes et des historiens mus par un ardent patriotisme et visant à conserver la conscience nationale et les institutions bretonnes'; le patriotisme dont le peuple a fait montre à toutes les époques;

- dans le domaine économique, la même opiniâtre¬té au travail; cette volonté de rester en Bretagne et d'y défendre sa vie en dépit des conditions économiques mauvaises. Le puissant attachement des Bretons à leur pays, en freinant l'émigration, à sauvé la Bretagne d'une dissolution dans le « désert français» ;

dans le domaine social et culturel, un mouvement important tendant à lutter contre la disparition de tout particularisme breton, structures sociologiques, coutumes, costumes, dialectes; exemples: les Bonnets Rouges et la Chouannerie défendant les structures traditionnelles et les anciennes franchises; les sociétés culturelles visant à protéger les parlers locaux et à en introduire l'étude dans les écoles; les groupes folkloriques cherchant à témoigner d'une « culture populaire» bretonne du passé.

Constat d'échec du conservatisme

Mais ces tentatives de conservation, pour intentionnelles qu'elles soient, sont inadaptées aux conditions objectives qu'elles prétendent infléchir, et cela pour plusieurs raisons,

L'action conservatiste bretonne n'a pas tenu compte des courants de force effectifs de chaque période historique, Aux 14ème, 15ème, 16ème siècles, alors qu'émergeaient les Etats nationaux en France, en Angleterre, en Espagne, permettant une réunification des sociétés, l'éclosion de cultures nationales, et la concentration de la puissance étatique, la noblesse bretonne reste étrangère à la révolution 'lui s'opère, Au contraire, la nouvelle puissance française exerce un ascendant encore plus fort sur elle, jouant dans le sens d'une plus grande désarticulation de la société bretonne: elle suit le courant français mais non l'exemple français,

Le même phénomène de captation se manifeste au niveau de la bourgeoisie bretonne aux 18ème, 19ème et 20ème siècles au moment de la Révolution Industrielle, Alors que les bourgeoisies nationales opéraient l'accumulation du capital qui allait permettre à l'industrie de naître sur leur sol, la bourgeoisie bretonne n'a pas le sens de la transformation qui se prépare et s'accomplit ailleurs. Et quand les industries naissantes font leurs appels de capitaux, elle s'empresse d'offrir les siens, dépouillant ainsi la Bretagne de ses capacités d'industrialisation, et la dirigeant vers le sous-développement. Si, au 19ème siècle, la Révolution Agricole a transformé l'économie traditionnelle breton¬ne, les progrès introduits ne se répercutent pas guère sur les autres secteurs. Ils renforcent surtout la fonction commerciale de la bourgeoisie qui crée peu d'industries locales et, encore une fois, préfère les investissements immobiliers et les emprunts d'Etat. Les innovations et les créations d'entre¬prises sont souvent le fait de capitalistes étrangers ou de l'Etat français,

Le même phénomène de captation se poursuit à notre époque dans les divers mouvements politiques, sociaux, économiques, culturels qui travail¬lent en Bretagne: ces mouvements, français, pré¬tendent résoudre des problèmes français, et la population bretonne s'y trouve entraînée en dépit de l'incohérence entre ses besoins réels et les objectifs des entreprises auxquelles elle prend part. L'exemple le plus frappant à cet égard fut la première Guerre Mondiale où les Bretons par¬tirent avec la conviction d'aller défendre «le pays », et dont la conséquence fut, au delà de la «Victoire », de les décimer, de provoquer l'effondrement de leur civilisation traditionnelle, de précipiter le déclin de leur économie.

La contradiction interne du conservatisme

Ce dernier exemple met en évidence la contradiction interne qui voue à l'échec toute tentative conservatiste en Bretagne, L'explication en est simple. Il n'est pas un élément du patrimoine breton qui ne repose sur une structure française, Vouloir seulement conserver le patrimoine breton implique vouloir conserver les structures françaises sans lesquelles il perdrait toute assise, Or la raison d'être des structures françaises est la conservation du patrimoine français et par là l'élimination du patrimoine breton en tant qu'élément hétérogène. La situation du peuple breton est telle que les entreprises qui normalement visent à conserver, tournent pour lui en processus de destruction. Les soldats bretons qui partaient «défendre le pays» ont, en fait, précipité l'effondrement de leur pays, La même contradiction du conservatisme apparaît dans tous les secteurs,

Les paysans bretons se tournent vers Paris et exigent que l'économie française se solidarise avec l'économie bretonne en difficulté, alors que les intérêts des économies bretonne et française sont contradictoires, l'économie bretonne en étant arrivée à la ruine du fait de son inclusion dans l'économie française.

En vertu d'un même conservatisme politique, les prétendus porte-parole du peuple breton réclament pour lui une présence à part entière dans le cadre étatique français, alors que le cadre étatique français exige la dissolution dans la masse du peuple français des peuples allogènes qu'il contient.

La contradiction interne du conservatisme est également flagrante lorsqu'il prétend maintenir le patrimoine social et culturel breton par le moyen de son intégration aux structures et aux institutions françaises, Les dizaines de campagnes menées de¬puis un siècle pour introduire l'étude du breton dans les écoles françaises, l'activité folklorique visant à entretenir une atmosphère de particularisme régional, ont le même sens historique, sinon les mêmes vigueur et sincérité, que la Révolte des Bonnets Rouges et que la Chouannerie'. Attendre du Roi de France qu'il se fît le champion des libertés de la Bretagne, demander à l'Education Nationale française de propager la culture bretonne, autant confier au loup le soin de protéger les agneaux parce que la brebis que l'on est,  est elle-même prisonnière du loup,.

L'échec du mouvement conservatiste breton s'ex¬plique donc par son inadaptation aux conditions objectives, inadaptation qui s'explique à son tour par une contradiction interne de ce mouvement: il prétend combattre les effets de la désarticulation, mais il est lui-même profondément atteint par la désarticulation,

Les symptômes de la désarticulation dans le mouvement conservatiste

Cette désarticulation du mouvement conservatiste breton contemporain est évidente dans tous les sens où le regard se porte,

Ainsi existent parallèlement un «mouvement culturel» apolitique, un «mouvement politique» d'expression française, un «mouvement économiste» apolitique et a culturel; ces mouvements se saluent de loin, exaltant les vertus de l'unité, mais subissent dans l'impuissance leur écartèlement de fait.

Un autre symptôme est la ségrégation mentale où se voit confinée l'action conservatiste bretonne: celle-ci est considérée comme une activité de loisir si elle est culturelle; comme l'inoffensive défense d'une chimère séparatiste si elle est politique agressive; comme un effort louable et désuet de promotion d'un terroir si elle est politique modé¬rée ; comme s'inscrivant parmi les solutions économiques françaises si elle est économiste; dans tous les cas et quelque soit le domaine en cause, cette action conservatiste est conçue comme un phéno¬mène marginal français, en rapport direct avec une arriération provinciale marquée et qu'il faudra bien liquider un jour,

Notons l'importance du «phénomène d'écho» dans la dynamique de ce mouvement conservatiste; et ce paradoxe: plus l'action est conservatiste et plus elle souffre de mimétisme à l'égard des forces auxquelles elle prétend résister. Ainsi les écrivains qui se posaient en défenseurs de la langue bretonne mettaient-ils leur orgueil dans leurs traductions du fabuliste LA FONTAINE. Ainsi pendant longtemps le mouvement politique chercha¬t-il ses modèles dans les courants étrangers que ce soit par le flirt nationaliste à la MAURRAS (J. P. CALLOC'H), le national-socialisme (la revue Stur), la solution quasi-magique du fédéralisme européen ou plus simplement par le réformisme de la régionalisation.

Au niveau des finalités nous retrouvons cette incohérence qui découle de la contradiction interne du mouvement conservatiste breton: celui-ci veut conserver vivante la Bretagne, mais en même temps veut conserver tout ce qui constitue «la Bretagne de fait », y compris les contradictions, les incohérences et les désarticulations. La France « est» en Bretagne, il se déclare donc Breton et Français, ou bien Français et Breton selon sa nuance, quand ce n'est pas deux fois Français parce que Breton. Une fraction sociologique et géographique de la population parle les vernaculaires celtiques; l'autre fraction est de langue française: il s'agit là d'un état de fait à perpétuer. Dans le domaine économique, le conservatisme parle de «vocation agricole », de «vocation touristique» de la Bretagne, le sous-développement lui-même, parce qu'étant breton, devant être maintenu et aménagé.

La révolution, remaniement complet de la société ordonnée à une finalité politique cohérente, s'est lentement mise en route en Bretagne au 20ème siècle.

Pendant des années, son feu sporadique s'est montré ici et là, enflammant l'élément premier de l'esprit de tout peuple, la langue. La révolution bretonne a eu ses prophètes, tel Tangi MALMAN¬CHE qui écrivait au début du siècle: «Bretons, ne parlez pas tant de la vieille langue de vos pères, et parlez davantage le patois nouveau de vos enfants ». Elle a eu ses précurseurs, tel Frañsez VALLEE qui, parti pour recueillir les richesses épar¬ses dans les vernaculaires, créa le breton mode~ne ; tel Roparz HEMON qui, rompant ouvertement avec le conservatisme culturel, entreprit de créer une littérature nationale et qui y réussit, balayant du même coup l'amas de platitudes provinciales qui tenait lieu jusque là de littérature bretonne; tel Meven MODIERN qui, plaçant d'emblée le breton dans le rang des grandes langues de civilisation, commença la publication de travaux scientifiques en langue bretonne.

Il ne s'agissait plus de conserver une Bretagne de fait dans sa dislocation, mais de créer une Bretagne unie et elle-même créatrice. Ce qui est conservé ne l'est pas en raison de son appartenance à la Bretagne de fait, mais en raison d'une finalité qui est la constitution d'une communauté bretonne nouvelle. On a décrit l'émergence de cette attitude nouvelle en Bretagne sous le nom de «renversement révolutionnaire» : cesser de scruter le passé pour maintenir le présent à son image, mais ressaisir toutes les ressources bretonnes anciennes et nouvelles et par elles se forger en peuple neuf sans égard pour un passé fourvoyé ni pour un présent sans Issue .

Cette attitude révolutionnaire apparue d'abord dans les domaines de l'action culturelle ne tarda pas à gagner les domaines de l'action politique et sociale. Si dans les années 1920 on parle encore de régionalisme en demandant pour la Bretagne un statut de province autonome dans le cadre de l'Etat français, on assiste dans la décennie suivante à une clarification des concepts et des objectifs, à une recherche de cohérence, et peu à peu se dégage un but précis: la constitution d'une société politique bretonne indépendante, c'est-à-dire la création de l'Etat breton.

Il importe de noter la différence d'attitude qui existe entre révolutionnaires et conservatistes. Les conservatistes s'efforcent d'opérer la coordination d'une masse brute de faits hétéroclites dont le mouvement les contrarie et leur échappe: le bon sens, disent-ils, nous enjoint de reconnaître que la Bretagne est dépendante de la France, que les deux tiers de ses habitants ne pratiquent pas le breton, etc. ; mais s'ils acceptent ces faits comme inéluctables, ils refusent de voir les conséquences de leur acceptation, à savoir la mort du breton et de la Bretagne, ils quittent le domaine du bon sens pour celui du rêve et imaginent qu'en dépit des apparences tout va s'arranger pour finir, d'une façon ou de l'autre, - par exemple que le pouvoir français va soudainement se repentir et ressusciter cette Bretagne qu'il cherche depuis des siècles à supprimer. A la coordination par le rêve de faits incompatibles, les révolutionnaires substituent la coordination par l'action: l'action, créatrice et destructrice, accorde aux faits l'importance qu'elle entend leur donner dans sa propre finalité. Ils tiennent tout à fait compte de la situation que les conservatistes, - sans pouvoir l'avouer, - jugent désespérée. La force qui domine la Bretagne et la mène à l'assimilation et à la ruine est énorme; la force bretonne qui résiste en fait à cette force d'assimilation est infime. La seule conclusion est que le rapport de ces forces doit être renversé et que pour cela un immense travail doit être accompli en Bretagne. La théorie de la révolution bretonne n'est autre que la théorie de cet immense travail pour accroître la force politique du peuple breton afin, non seulement qu'il détruise la force opprimante, mais surtout qu'il prenne une place libre et créatrice dans le monde.

Quel visage a le travail révolutionnaire breton en cette fin du troisième quart du vingtième siècle ? Sa définition la plus simple est celle de ses trois objectifs, qui sont: faire du capital historique breton la propriété effective du peuple breton; constituer une société bretonne nouvelle sur la base de cette appropriation; bâtir les cadres politiques de cette société nouvelle.

Le mouvement révolutionnaire breton, l'Emsav comme il se nomme lui-même, s'attache à définir avec clarté chacune de ses positions, chacun de ses objectifs, chacune de ses démarches.

Le concept de capital historique

Le concept de capital historique est l'un de ceux que l'Emsav a défini avec le plus de précision. Est un capital, comme on sait, toute production reprise comme facteur d'une production nouvelle, - par exemple une machine, d'abord produite, servant ensuite à produire à son tour. La pensée bretonne a généralisé ce concept de capital à toute production humaine, qu'elle soit économique, sociale, culturelle ou politique; qu'elle soit industrie ou politique, technique ou langage, art ou spiritualité, toute production humaine est d'abord objet puis facteur de création. Cette définition plus complète fait ressortir un caractère qui apparaît à peine quand il s'agit du capital strictement écono· mique, c' est l'historicité. Une civilisation progresse lorsque les créations d'aujourd'hui peuvent faire fond sur les créations d'hier. Un peuple se « pro¬duit}) par ses « productions}) au long des siècles, et cette reprise continue des productions antérieures comme capital des productions actuelles et futures lui donne une unité dans le temps qui est le fondement même de sa réalité de peuple. Ceci est vérifiable dans le domaine de sa langue, de sa culture, de sa société, de sa politique: l'histoire d'un peuple est celle de sa production au sens plein du mot. D'où le concept de capital historique. Ce concept de capital historique est important pour traiter deux ordres de problèmes: celui de la culture et de ses fonctions dans la vie d'un peuple; celui de la propriété des moyens de production tel qu'il se trouve posé par cette généralisation du concept de capital .

Comment se présente dans la pratique l'appropriation par le peuple breton du capital historique breton ? Il s'agit non pas tant de porter la civilisa¬tion bretonne à la connaissance des Bretons, ¬encore moins d'opérer le retour en arrière des conservatistes vers le passé, - que de remettre en forme la vie des Bretons d'aujourd'hui de telle sorte que leur civilisation passée y trouve sa juste place comme capital historique. Cette remise en forme implique ce que l'Emsav appelle la « révolution individuelle}) : éclatement de l'ancienne for¬me de vie et reconstruction d'une nouvelle existence fondée dans l'Emsav, - considéré de ce fait comme le germe d'une nouvelle société bretonne et en même temps d'une nouvelle civilisation bretonne. Ailleurs sera analysée cette ancienne forme de vie dont il est question de faire table rase; il sera montré comment, résultant de la désarticulation sociale et culturelle décrite ci-des¬sus, elle consiste en types sociaux et culturels hybrides, stériles et nécessairement en voie d' ex¬tinction. La vie d'un peuple ne se manipule pas: son unité est celle de son capital historique; si les racines qui l'y relient sont coupées, le peuple se désintègre et les produits de désintégration sont absorbés par les peuples voisins". Seul un réenracinement du peuple breton dans son capital historique renversera le processus de désintégration qui se précipite sous nos yeux. Le premier témoin de ce renversement est la révolution individuelle: par elle l'emsaver analyse et évacue les anciens modèles socioculturels, fruit de huit siècles de désarticulation, et dans le même temps se rend disponible pour la mise en place des modèles secrétés par le ré enracinement.

Le premier acte de l'emsaver est de changer de langue: laisser le français et faire du breton sa langue quotidienne, comme la langue de son esprit. La langue est le lien interne le plus puissant du capital historique et le moule dialectique des modèles socioculturels. Elle n'est l'arme première de la révolution individuelle. Là est la raison pour laquelle l'Emsav s'est attaché avec tant d'insistance à créer les organismes d'enseignement et de formation permettant aux Bretons de s'approprier leur langue. L'une des thèses de l'Emsav est qu'il n'y a pas de révolution bretonne de langue française. La langue bretonne est la base de réunification de la société bretonne. De même que le français fut l'outil de la désarticulation, le breton est entre les mains de l'Emsav le premier outil de la ré articulation. Il était confiné au secteur primaire et au monde rural; l'Emsav le rend à la société entière, première condition d'une ré articulation sociale. Il reculait derrière le rideau qui coupe en deux le pays, les communes, les familles; l'Emsav lui rend sa puissance expansive, premier pas de la ré articulation ethnique. Il s'identifiait à ce passé mort et débilitant que traîne en lui le peuple bre¬ton; en refaisant du breton de langue des Bretons, l'Emsav transmue ce passé en capital historique et amorce la ré articulation historique du peuple breton ".

Constituer une société bretonne nouvelle

La constitution d'une société bretonne nouvelle est le second objectif de l'Emsav, conséquence logique du premier. A la mise en forme d'une vie sociale ré enracinée et réarticulée correspond la mise en place d'une société nouvelle. L'emsaver, en accomplissant sa révolution individuelle, se met d'une certaine façon en dehors de la société hybride artificiellement tenue par les cadres étatiques français, et il est disponible pour la nouvelle société dont il est le germe". Voila pourquoi les groupes locaux de l'Emsav sont bien davantage que les sections d'un parti politique.

Comment l'Emsav prévoit-il l'organisation de la société bretonne ? Il ne préjuge évidemment pas des formes concrètes de cette organisation: son rôle est de fonder la société bretonne nouvelle sur l'appropriation par le peuple breton de son capital historique. D'autre part, la pensée politique de l'Emsav fait partie intégrante d'un capital historique, elle progresse avec lui, s'enracinant avec lui dans l'histoire du peuple breton et se développant avec lui; s'enracinant aussi au delà de l'histoire bretonne, dans l'histoire humaine. L'Emsav, étant un mouvement libérateur, fait des autres mouvements libérateurs de l'histoire humaine son capital historique: il est de la même veine que les autres révolutions libératrices de classes et de peuples opprimés.

Si la pensée de l'Emsav reste ouverte, elle n'en est pas moins précise et sur les points dont s'inquiètent précisément ceux qui s'interrogent à propos de socialisme et de capitalisme. L'Emsav par sa conception plus radicale du capital, est en mesure de résoudre certaines des difficultés théoriques et pratique auxquelles le marxisme s'est trouvé en butte, - la question nationale particulièrement qui n'a jamais pu trouver une expression satisfaisante dans les systèmes et les régimes socialistes. A partir du moment où le capital strictement économique se trouve intégré au capital historique, non seulement les rapports de propriété, mais le con. cept même de propriété sont profondément transformés. En plus, la propriété collective des moyens de production y trouve un statut théorique que ne pouvait lui donner une théorie du capital se cantonnant dans le domaine économique: la production humaine, au sens complet où l'entend l'Emsav, n'est jamais le fait de représentants individuels d'une humanité abstraite et sans contours historiques ; elle est toujours le fait de peuples en tant que réalités concrètes et historiques, c'est-à-dire de communautés sociales possédant une existence his¬torique et par là une civilisation ". Dès que l'on donne aux moyens de production économiques le même statut de capital historique qu'aux moyens de production sociaux, politiques, culturels, spiri¬tuels, on définit par le fait un esprit nouveau de propriété. Le peuple est propriétaire de sa terre et de ses capitaux économiques dans le même esprit qu'il est propriétaire du capital national que constituent sa langue et sa civilisation". En cela, l'Emsav ignore l'antagonisme que les marxistes éprouvent comme insoluble entre le socialisme et le fait national.

Bâtir les cadres politiques de la société bretonne nouvelle

Le troisième objectif de l'Emsav, la constitution d'un Etat breton, vient en corollaire des deux autres. La société bretonne nouvelle trouvera sa plénitude en devenant une société politique maîtresse de son destin et prenant part de plein droit à la vie politique internationale. Là aussi l'Emsav est entré dans la voie des réalisations, donnant un répondant concret à sa théorie. Parallèlement au développement de la société bretonne nouvelle, il crée les structures organiques dont a besoin cette société naissante (administration, éducation, Impôts, etc.), et qui sont en même temps l'embryon des futures structures étatiques".

Le rôle de l'Emsav est donc parfaitement clair: rendre au peuple breton son unité, lui donner la propriété de son capital historique comme de son économie, le conduire à une place créatrice parmi les nations en lui gardant son rang dans le peloton de tête des mouvements libérateurs.

NOTES

Les travaux des celtistes éclairent sur le degré de civilisation et de cohésion politique auquel atteignit la Bretagne du Haut Moyen Age.

«Les vicissitudes historiques ont frappé les sources anciennes du Breton plus que celles de tous les autres pays celtiques (). Le nombre relativement élevé des gloses subsistantes dans de telles conditions si défavorables à leur conservation fait penser () qu'un grand nombre de manuscrits ont été rédigés dans les abbayes bretonnes, principalement à Landévennec. ()

» Cette production abondante fut une des conséquences de la situation favorable qui fut celle du Breton pendant les premiers temps de son installation sur le continent et particulièrement au IXe et au début du Xe siècle.

» Cette situation favorable était le résultat d'une situation avantageuse dans le domaine politique, militaire et social. Aucun pays celtique n'avait au IXe siècle une organisation aussi forte et surtout analogue à celle de l'Etat gouverné par Salomon et Alain le Grand. Dans ces conditions favorables les monastères bretons étaient le centre d'une activité intellectuelle intense.

» La période du vieux-breton est caractérisée par l'usage de la langue dans les plus hautes classes et les milieux dirigeants.» Léon FLEURIOT, Dictionnaire des Gloses en Vieux-breton, p. 34, Paris 1964.

« On doit distinguer deux acceptions au mot sevenadur. Au sens faible, ce terme signifie ce qui a été accompli (sevenet), comme fruit d'un accomplissement (seveniñ) passé. C'est en ce sens que nous connaissons la civilisation des anciens Celtes. Au sens fort, il signifie l'acte même d'accomplir, c'est dire un agir au présent. Mais ce n'est pas n'importe quel agir. Nous avons vu (Emsav 5/160 1967) comment certaines actions du passé restent présentes et bien vivantes dans les actions d'aujourd'hui. Ces actions seules méritent le titre de civilisation (sevenadur) au sens fort. La puissance d'une civilisation, la richesse d'une civilisation sont toujours fonction de l'abondance et de la valeur de ce capital (endoniad) d'actions 'passées' présentes dans les actions d'aujourd'hui. Ce capital constitue les vraies racines. Et un peuple enraciné est un peuple pour qui une suite continue de phases créatrices (luskadoù seveniñ) 'passées' au sens événementiel mais toujours vivantes, demeure présente dans ses actions d'aujourd'hui, Le déracinement est la rupture qui rend les actions d'aujourd'hui étrangères à la lignée des actions passées. L'homme déraciné est celui qui n'est ouvrier sur le chantier d'aucune civilisation (sevenadur), On peut naître déraciné, et une population entière, titulaire pourtant d'une civilisation (stuzegezh) abondante, d'un folklore brillant, peut être une population déracinée: semblable à un chêne chargé d'un feuillage roux qui sera son dernier feuillage, car il est mort, La civilisation (sevenadur) au sens fort est le lieu réel de l'enracinement et il n'yen a pas d'autre.» Pelec' h gwriziennañ? (Où s'enraciner?) Emsav 6/129 1967.

«Il existe en fait une grande confusion en américain et dans les vieilles langues tombées sous son influence. 'Culture' est l'équivalent américain de stuzegezh, Le français n'est guère plus lumineux quand il traduit ce 'culture' d'outre océan par 'civilisation' ou par ce bafouillage: 'culture au sens culturaliste'. Alors que la stuzegezh est un résultat du mélange des habitudes anciennes et nouvelles, vivantes et mortes, ineptes et spirituelles, voulues ou simplement subies, toujours exposées à la corruption, le sevenadur est ce que nous créons par notre volonté consciente ().

Civilisation (sevenadur) au sens plein signifie accomplir (seveniñ, créer des biens spirituels. Sans doute ces biens pas¬sent·ils dans la civilisation (stuzegezh), où ils se trouvent 'consommés'. pour user d'un langage économiste. La civilisation (sevenadur) est comme un fleuve arrosant les terres du pays avant de se jeter dans l'océan de la civilisation (sevenadurezh) universelle. La stuzegezh sans sevenadur, sans sources créatrices (andonioù-seveniñ), ressemble à un marais puant, sans courant d'eaux fraîches pour le renouveler, sans ouverture sur l'universel. Le niveau de civilisation d'un peuple est d'autant plus élevé que se trouve davantage de travail créateur (sevenerezh) accompli en son sein, A l'opposé, la civilisation (stuzegezh) d'Un peuple dépourvu de créateurs décline, se corrompt et dis¬parait, envahie par les influences étrangères.)) Notennoù a-zivout keal ar stuzegezh (Notes à propos de la notion de civilisation) Preder 92-94/'0 1967.

La civilisation bretonne reste donc liée à l'économie agricole traditionnelle et la coupure s'agrandit entre campagnes et villes par suite de la disparition des industries traditionnelles, textiles et métallurgiques; les nouvelles industries constituent des enclaves (construction navale) et les centres de décision sont situés à Paris. Le dualisme économique coïncide désormais avec le dualisme culturel et social.

Cette désarticulation de la société est survenue chez divers peuples d'Europe et elle a provoqué les mêmes conséquences

qu'en Bretagne: les classes dirigeantes et la population urbaine abandonnent langue et culture nationale tandis que les masses rurales se replient sur la civilisation traditionnelle; cette situation facilite l'union puis la fusion politique et enfin l'assujettissement économique. Pour ne prendre qu'un exemple: en Lituanie la noblesse s'est rapidement polonisée et cette polonisation a été favorisée par l'union politique sous une dynastie commune; l'assimilation linguistique a entraîné l'affaiblissement du sentiment national lithuanien qui n'apparaît plus que comme modalité régionale du sentiment national polonais, de même que la Lituanie n'est plus qu'une province marginale assez particulariste où les paysans ont conservé la langue et la civilisation traditionnelle.

Nous renvoyons le lecteur aux nombreuses études parues sur l'action politique des hommes d'Etat, des juristes et des historiens de la Bretagne autonome, et notamment: Stourm A R CHALOTEZ, Emsav 1/10 1967; Ar C'hwezekvet kantved ha Beltram AN ARC' HANTREG, Emsav 5/108 1967; Evezhiadennoù war an Dugelezh e Breizh, Emsav 11/292 1967; Evezhiadennoù war stagidigezh Breizh ouzh Bro C' hall, Emlav 12/319. Signalons également deux études plus générales sur la politique bretonne de cette époque:

Isdiorreadur hag Istor, Preder 84·85/2' 1966; Notennoù evit kelenn an Istor, Emsav 26/37, Al Liamm 133/108 1969,

Deux études sont ici à citer: Isdiorreadur hag armerzh, Preder 84-85/31966; Dazont ar gounezerezh brezhon hervez ar steufivoù gall. Emsav 23/317 1968.

Lire à ce sujet: Notennoù evit kelenn an Istor, art. cit.; Ster ar Chouanerezh e Breizh. Emsav 28/111 1969; de même que l'extrait suivant du Colloque Politique de Gourin 1968:

«L'histoire donne-t·elle d'autres exemples de mouvement de libération manqués? S'il en est. ont-ils échoué pour les mêmes raisons que le mouvement folklorique breton?

»- Ils sont nombreux. Sans aller bien loin nous pouvons citer notre Chouannerie, et aussi les Bonnets Rouges: les deux mouvements prétendaient lutter pour l'ordre ancien, ainsi nommaient·ils les libertés provinciales. Des réactions semblables, venant soit du peuple. soit de la noblesse, souvent des deux classes réunies, marquèrent le déclin des petites nations européennes. Nous pouvons mentionner encore les Carlistes du Pays Basque au 19è siècle, lesquels se battaient pour le roi Don Carlos, roi légitime, pour l'ordre ancien toujours et pour les 'fueros', c'est·à·dire leurs libertés: ils furent vaincus et perdirent leurs libertés. Ou encore les Jacobites écossais au ISe siècle, qui se soulevèrent pour défendre l'ordre ancien également et leurs libertés, et qui furent défaits à Culloden en 1745, On pourrait en rapprocher les soulèvements de paysans contre le monde moderne. D'une façon ils luttent pour un ancien ordre de choses, une civilisation traditionnelle que vient supplanter une civilisation nouvelle. ()

Dans tous ces combats on retrouve la même intention: défendre les \'aleurs du passé, et la même confusion: prendre les formes passées des valeurs pour les valeurs elles· mêmes ; par suite, dépenser en un combat sans espoir pour des corps morts les forces qui iraient i la création des corps nouveaux que réclame le présent »), Emsav 22/293 1968.

Un des points sur lesquels l'Emsav s'oppose le plus nettement aux conservatistes est la place de la langue bretonne. Alors que les conservatistes s'agitent depuis un siècle pour faire entrer le breton à l'Université française, les révolutionnaires considèrent que

« Le combat pour la Bretagne commence par la destruction de l'Etat français en Bretagne et de ses instruments de domination.

»L'université française est depuis un siècle le principal instrument d'aliénation du peuple breton,

)) La libération du peuple breton passe par la destruction de l'Université française en Bretagne.

)) Introduire la langue du peuple breton dans l'Université française équivaut à

- enfoncer le peuple breton dans le piège colonial,

- détourner les Bretons de la voie révolutionnaire,

- enlever à la langue bretonne son sens révolutionnaire,

») La libération du peuple breton passe par la création des armes de sa libération et d'abord par l'Education nationale bretonne.

») La place de la langue bretonne est, dans l'Education nationale bretonne, celle d'Un puissant et indispensable instrument révolu tionnaire. Tout ce qui est de nature à lui ôter ou à lui cacher son visage révolutionnaire est un obstacle au mouvement de libération. »

Langue bretonne et Education nationale, Tract diffusé par E.S.B. en 1969.

On trouve une analyse de ce « renversement révolutionnaire» tel qu'il s'est opéré historiquement dans la pensée bretonne entre 1925 et 1965, exposée dans l'article: Keal ar gwirvoud en Emsav-, Preder 72-73/51 1965.

« La guerre menée par le mouvement de libération d'un peuple contre le pouvoir qui l'assujettit exigent de lui des propriétés autres que celles d'une armée régulière levée par un Etat pour combattre un autre Etat. L'armée régulière est une force physique distincte, sinon séparée, de la force spirituelle du pays. L'armée révolutionnaire est d'abord une force de l'esprit: par elle l'esprit du pays jaillit hors de la nuit de l'assujettissement, En cela, les premiers combats qu'elle. doit fournir sont des combats de l'esprit: elle acquiert sa force physique par le moyen de ses victoires sur le terrain de l'esprit. ») La lutte révolutionnaire est conduite pendant longtemps d'abord sur le terrain de l'esprit. Faute de comprendre cette vérité, on ne peut rien comprendre à ce qui se passe en Bretagne depuis le début du siècle.») Al Ledemsavioù , Emsav 5/113 1967,

« A la vérité, la nature et l'esprit ne se trouvent jamais à nu l'un devant l'autre, mais toujours incarnés dans leurs fruits communs, dans leurs productions antérieures. La 'nature' travaillée par le poète est la langue, mais l' 'esprit' qui y travaille est aussi incarné dans la langue. La nature labourée par la politique est en réalité une humanité élaborée déjà par des siècles de culture et d' 'étatité' (stadelezh), mais l'esprit labou¬reur, la charrue politique, est également enraciné dans les mêmes siècles de culture et d'étatité. En un mot, l'homme de culture, l'homme d'Etat sont des hommes enracinés dans un capital historique et produisant par le moyen de ce capital historique, » L'essence du capital historique est une essence intermédiaire: nature en tant qu'elle perdure de génération en génération, qu'elle sert de matière à la production de la génération présente; esprit en tant qu'il n'a d'existence que par le fait d'une action humaine. C'est par le capital historique que la culture trouve son statut philosophique: elle n'avait de situation ni dans la catégorie de la nature, ni dans la catégorie de l'esprit. C'est par lui aussi, puisqu'il est constitué historiquement, en une forme temporelle, que se voit reconnue au temps la place importante et unique qu'il occupe en toute action humaine. L'homme est un être historique et son trésor est dans son histoire: le plus grand crime est d'empêcher un peuple d'exploiter son capital historique.)) Notennoù Po1itikel, Emsav 25/23 1969,

C'est le sort subi par les peuples celtiques continentaux, qui furent assimilés par leurs voisins latins et germains et de la civilisation desquels il ne reste que des traces archéologiques, des noms de lieux, des substratums linguistiques et des références humoristiques.

Touchons ici un mot d'une déviation qui voudrait faire de l'action linguistique un combat séparé, sinon le principal combat du mouvement breton. Cette déviation parle volontiers avec ( emphase de « la lutte pour la langue bretonne )), d'action culturelle »), etc. .. Le premier pas de la révolution individuelle consiste certes à changer de langue; de même tout le travail de l'Emsav, mise à part une partie de l'information, se fait en breton, Mais la langue bretonne ne constitue pas un objet, ni sa « conservation)) un objectif de combat. La société bretonne nouvelle apporte avec elle sa langue entre autres aspects infini¬ment plus importants, politiques, sociaux, économiques, Détacher la langue de la vie sociale lui ôte toute consistance; la réifier comme le font les groupes, de langue française bien souvent, qui la prennent comme objectif de combat est une erreur sociologique avant d'être une inconséquence politique.

Une autre déviation consiste à considérer l'Emsav comme une société en soi, et un refuge hors de l'aliénation sociale ambiante, une oasis de vie réarticulée au sein du pays en détresse. Mais le rôle de l'Emsav n'est pas de résoudre les difficultés de ses membres; au contraire, il les charge des difficultés du pays tout entier.

Ce n'est pas le rôle de l'Emsav de libérer les emsaverion, au contraire, il les met en situation plus critiques: ce sont eux qui acquittent les premiers frais de la libération du pays. Pour¬tant si la situation de l'emsaver est plus critique, elle ne tend pas vers la même issue que la crise dont souffre la vieille société; celle-ci porte aux solutions individuelles, comme l'émigration, qui sont des fuites; la crise apportée par l'Emsav tend vers une solution générale qui est le combat de libé¬ration. ()

Là, l'Emsav montre à l'évidence sa raison, qui est d'être une organisation révolutionnaire. La crise de la vieille société pousse les Bretons vers l'Emsav; et l'Emsav les met dans une crise encore plus aiguë, qui ne leur laisse qu'une issue: le combat de libération, Mais l'Emsav leur fournit en même temps les armes, de l'esprit et les autres, requises pour ce combat.)) Penaos meizañ kevredigezh an Emsav?, Emsav29/133 1969,

Le fait, établi par MARX, qu'à certaines époques les sociétés se trouvent désarticulées, une classe en venant à monopoliser le pouvoir et la civilisation, ne retire rien au fait mentionné ici: il n'y a civilisation que lorsqu'une communauté humaine peut prendre forme historique. c'est à·dire posséder sur plusieurs générations son autonomie politique, économique et culturelle.

Au cours du Colloque Politique de Gourin 1968 fut tentée une première analyse des rapports nouveaux impliqués par la conception historique généralisée du capital, entre la production, le travail, la propriété et le fait national. Le texte de la communication a été publié par Em!av 21/269 1968 sous le titre An arallekadur.

L'Emsav évite néanmoins, lorsqu'il s'exprime en français, de prendre l'étiquette « nationaliste », car ce terme prête à une fâcheuse équivoque, désignant aussi bien l'impérialisme des Etats nationaux héritiers de la tradition romaine, que le nationalisme libérateur des peuples assujettis par eux.

Sur le plan des relations extérieures, l'Emsav adopte une ligne politique bien définie,

«Les relations établies avec les autres mouvements nationaux et les Etats non impérialistes permettra de créer, dans le cadre d'un droit commun international, une classe de petites nations qui s'allieront sur la base d'un statut égalitaire (kevarzhelezh) intégral. Cet objectif implique une règle stricte que nous devons observer dès maintenant: à savoir que les petites nations et l'Emsav ne doivent rechercher l'aide d'aucun impérialisme, Cette faute fut justement celle d'une fraction de nos devanciers pendant la deuxième guerre mondiale quand ils cherchèrent à profiter de la victoire passagère du pouvoir impérialiste allemand. Une petite nation et à plus forte raison un mouvement de libération ne peuvent demander aide au camp des oppresseurs. Du fait que notre mouvement comme celui des petites nations tend à créer un ordre international nouveau qui ne peut naître que sur les ruines des impérialismes qui les oppriment, ils doivent se garder de toute compromission avec quelque impérialisme que ce soit: demander secours à une puissance impérialiste équivaut à renforcer cette puissance et donc à contrecarrer le but de l'Emsav.» An Emsav dirak an darvoudoù etrevroadel, Emsav 25/10 1969.