III- LES DIEUX TERRIBLES DES PERSES

  I - La religion des Perses Le Roi Darius (Ve siècle avant notre ère) déclare : « Par la protection d’Ahura-Mazda, voici les pays qui ont construit ceci, qui ici sont rassemblés : la Perse, la Médie et les autres pays aux autres langues, de ce côté du Fleuve Amer, de ce côté de la terre assoiffante et de l’autre côté de la terre assoiffante, comme je leur en ai donné l’ordre. Ce que j’ai fait, tout cela je l’ai fait sous la protection d’Ahura-Mazda »

Les Perses attribuaient leurs institutions religieuses à un ancien législateur nommé Zoroastre, au VIIe siècle av. J.-C., mais personne ne sait d’où sort ce personnage fameux dans les traditions de l’Orient ; les uns le donnent pour contemporain de Darius, les autres le placent au XXe siècle avant J.-C. ; ceux-ci le disent Bactrien, ceux-là d’origine Mède, et l’on prétend que c’est en Médie qu’il aurait prêché tout d’abord sa religion. Toutefois, là aussi, le prophète aurait rencontré de la résistance, et la nouvelle doctrine aurait été repoussée par une partie de la population. C’est alors qu’eut lieu la grande séparation des tribus ariennes, dont les unes se dirigèrent vers l’Inde et les autres, appuyées par certains chefs de tribus, entre autres par Vistapa, ami de Zoroastre, auraient fait triompher la nouvelle loi, non seulement en Bactriane, mais encore en Médie et en Perse. Quelle que soit l’opinion qu’on adopte sur ces diverses questions, il est certain que la doctrine de Zoroastre remontait à une très haute Antiquité. Mazda était le nom du principe du Bien, de Dieu, l’épithète donnée à cette doctrine fut le mazdéisme2 : c’est une des religions les plus pures qui soient nées en Asie avant le christianisme. Elle est renfermée dans le Zend-Avesta, le code sacré des Perses attribué à Zoroastre lui-même et dont il ne reste que quelques fragments traduits dans le langage pehlvi qui n’était pas celui du prophète, ce dernier ayant écrit son œuvre dans la langue désignée sous le nom de Zend.

1 Il scinde l’univers entre deux puissances inconciliables : la lumière, le Bien, et la nuit, le Mal. Ormuzd contre Ahriman. Zoroastre et ses disciples ne reconnaissent qu’un seul vrai Dieu qui est Ormuzd ou Ahura-Mazda. Une tendance marquée vers le monothéisme, une répugnance profonde pour toute représentation matérielle de la divinité, une morale élevée et pratique en même temps, un culte d’une extrême simplicité : tels sont les caractères essentiels de ce système qui se rapproche, sur plus d’un point, de la loi de Moïse. (Ou inversement, la notion de bien et de mal, introduite dans le mazdéïsme, a laissé une forte empreinte sur le judaïsme. NDE) La religion iranienne semble avoir comporté en sa forme première le culte des corps célestes et en particulier du soleil, mais de bonne heure, des personnalités divines apparaissent, dont la principale, le dieu du ciel qui sera Ahura-Mazda appartient encore à l’époque de la communauté indo-iranienne. La réforme dite « zoroastrienne » modifia profondément le caractère de cette religion. Le livre sacré de « l’Avesta »2, compilé seulement vers le IIIe siècle après J.-C., n’est qu’imparfaitement connu : certaines parties de ce livre, les Gâthâs, pièces en strophes très anciennes, représentent la partie versifiée d’une prédication mais l’exposé doctrinal a disparu. Le prophète Zoroastre ou Zarathoustra, qui l’a composé, aurait vécu d’après les anciens qui ne s’accordent guère, vers la fin du VIIe siècle ou le début du VIe ; il n’était point originaire de la Perse mais c’est le nord-ouest de l’Iran qui fut le théatre de son activité. On lui attribue de son vivant plusieurs conversions, entre autres celles du roi Vistapa que l’on identifie à Hyrcanie Hystaspe, le père de Darius, mais que d’autres regardent comme un roi de Bactriane. La plupart des tribus nomades et les populations iraniennes sédentaires furent touchées par le nouvel évangile. La réforme zoroastrienne est antérieure à l’avènement des Achéménides et ceux-ci ne l’adoptèrent pas intégralement. Darius considère Ahura-Mazda comme le plus grand des dieux, non comme le dieu unique, et contrairement à la doctrine de Zoroastre, il n’hésite pas à reproduire son image sur les monuments. Il se donne aussi comme un restaurateur des temples, alors que le culte réformé ne comporte pas de demeure terrestre pour le dieu suprême. Un de ses successeurs, Artaxerxès-Mnémôn à la fin du IVe siècle, invoque, à côté d’Ahura-Mazda, Mithra et la déesse Anâhitâ3, déesse de la fécondité empruntée à la Babylonie. 2 Recueil des textes sacrés du mazdéisme en langue avestique ou zend. 3 Ou Anahïtis. Le témoignage d’Hérodote prouve que le culte de ces deux divinités n’a jamais été négligé par les Perses. D’une manière générale, un compromis s’établit naturellement entre la doctrine nouvelle et l’antique religion ritualiste, analogue à la religion védique. Quel rôle a joué dans ce compromis, la classe des « mages » ? Ces derniers paraissent avoir été une tribu des Mèdes qui se transforme en une caste de prêtres héréditaires : la plus connue de leurs pratiques traditionnelles consistant à livrer les cadavres aux oiseaux de proie. Imbus d’idées théocratiques, ils s’interposent entre les dieux et les hommes : on célèbre des sacrifices et le mage y préside en chantant la théogonie. Tout un système théologique s’élabore ainsi, mais Ahura-Mazda reste au sommet de la hiérarchie céleste. Les vastes conceptions de la religion zoroastrienne4 n’oblitèrent point le caractère essentiellement pratique et moral du mazdéisme adapté aux besoins de l’empire des Achéménides. L’antique Mithra, dieu de la lumière mais aussi dieu du contrat et de l’alliance, défenseur de la vérité, est relégué par la théologie avestique parmi les Yasatas, divinités inférieures rattachées à Ahura-Mazda : il présidait au jugement des morts. Mais en fait, la religion des anciens Perses lui a réservé un rôle de premier ordre : il est le protecteur des rois dont il consacre l’autorité. C’est ainsi que sa gloire s’étendra au loin : après que la théologie chaldéenne l’aura identifié avec le soleil, les mages propageront son culte sur tout le plateau d’Asie Mineure, et les mystères de Mithra pénètreront dans tout le monde romain. Les rois de Perse manifesteront toujours une extrême tolérance religieuse et ne chercheront point à faire de prosélytisme. Pourtant, si le mazdéisme demeure une religion iranienne, certains de ses dogmes ont pu solliciter l’attention des peuples que les Perses avaient soumis à leur empire. C’est ainsi qu’avec la nation juive, libérée par Cyrus de l’exil sur les bords du Jourdain, se trouvèrent peut-être transportés, à son insu, quelques germes empruntés à la théologie de ses nouveaux maîtres.

4 Il est à noter que la religion zoroastrienne interdisait l’inhumation des morts. Ils n’étaient ensevelis dans des édifices souterrains, les astodans, (ossuaires) qu’après exposition et dessiccation.

II - L’art perse L’art perse dure environ deux siècles, de 550 à 330 av. J.-C. Son domaine comprend le plateau de l’Iran depuis le Tigre jusqu’à l’Indus. Diodore de Sicile nous apprend que les Perses, après avoir envahi l’Égypte, ramenèrent des artistes pour décorer le palais de Suse et de Persépolis. On distingue trois périodes dans l’art perse : La première, celle des Achéménides (du VIIe au IVe siècle), d’Achéménès à Darius III, à son apogée sous Darius, et qui vit s’élever les deux villes de Suse et de Persépolis au palais d’inspiration égyptienne, le tombeau de Cyrus à Pasagardes ; mais c’est dans la décoration que le génie se révèle avec ses bas-reliefs de briques émaillées. La deuxième, celle des Parthes, est une époque de stagnation qui n’a rien laissé qui mérite d’être signalé. La troisième, celle des Sassanides, a vu se développer une véritable renaissance artistique. Un des exemples les plus remarquables de la voûte à coupole, c’est un pendentif1 découvert dans les ruines du palais de Khosroès 1er à Ctésiphon2. Comme les Assyriens, les Perses construisaient leurs palais sur de hautes terrasses. Les portails d’entrée étaient souvent ornés de deux taureaux ailés gigantesques à tête d’homme coiffée d’une tiare, comme on en voit à Persépolis. Les principales ruines qui nous sont parvenues sont celles des villes de Suse et de Persépolis. À Suse, le palais d’Artaxerxès-Mnémôn contenait la salle du trône, l’apadana ; les colonnes d’une extrême légèreté qui soutenaient la couverture comportaient des chapiteaux formés de deux avant-corps de taureaux. De chaque côté du portique, un pavillon d’une composition fort simple était décoré au sommet d’une frise en céramique ornée d’animaux symboliques. Une des particularités de la décoration sassanide est l’affrontement, c’est-à-dire, l’opposition des motifs, oiseaux, animaux et cavaliers se font face, mais sont séparés par un motif central, arbre sacré ou autel du feu. Il était devenu d’un usage courant en Orient et nous le retrouvons jusque dans les mosaïques byzantines.

1 Coupe dite, Tasse de Salomon avec médaillon central où trône un roi sassanide. 2 Capitale des Parthes Arsacides. Les artistes employaient aussi la polychromie dans les revêtements de stuc teinté, les briques moirées, les bas-reliefs, dont nous avons au Louvre un magnifique échantillon dans la célèbre frise des archers (voir la frise des Immortels rapportée par Dieulafoy) et des lions passant, où se joue une gamme de tons incomparables.

III – Mithra et le mithraïsme Mithra1 était très anciennement révéré par les Iraniens, bien que son introduction dans la religion particulière des rois, ne remontât qu’à la fin du Ve siècle. Au XIVe siècle avant notre ère, il est déjà mentionné, avec Varuna, Indra et les Nastatyia, comme dieu du Mitanni, dans la Mésopotamie du Nord, et on le trouve dans une inscription cunéiforme de Cappadoce. Dans la religion pré-avestique, il fait l’office de médiateur entre le monde supérieur et lumineux et le monde inférieur et ténébreux. À partir d’Artaxerxès II2, les rois l’honorent comme dispensateur de la gloire royale, le prennent à témoin de leurs serments et l’invoquent dans les combats. La religion populaire admettait les sacrifices d’animaux pratiqués en présence d’un mage, car, nous dit Hérodote, la présence d’un ecclésiastique de cet ordre était nécessaire pour la validité de cet acte. « Mithra qui, sous les rocs de l’antre persique, maîtrise les cornes du taureau rétif », écrit Stace dans La Thébaïde

Le sacrificateur conduisait la victime dans un lieu pur, et la tête couverte d’une tiare couronnée de myrte, il invoquait le dieu et priait pour la prospérité du roi et de tous les Perses. Après avoir découpé la victime, il la faisait bouillir et déposait les morceaux sur un lit d’herbes tendres. Le mage entonnait alors une « théogonie », puis le sacrificateur emportait les chairs de la victime et en disposait à volonté.

Les Perses vénéraient donc leurs dieux par des sacrifices sanglants. Hérodote retrace le tableau bien connu de ces cérémonies, très simples, très primitives qui plongent dans le passé lointain des peuples indo-iraniens. 1 Mithra est plus ancien que le mithraïsme, terme religieux courant que les mystères ont véhiculé dans l’Empire romain du Ier au IIIe siècle après J.-C. Au sens védique, Mithra signifie ami, contrat et s’oppose à Varuna comme le jour à la nuit. Il est bienveillant. 2 Roi des Achéménides, il honore Ahura Mazda, Mithra et Anâhitâ. Un fragment de bas-relief trouvé au village d’Erghili3 près du lac de Manias en Asie Mineure, représente une scène de sacrifice : deux personnages, dont l’un est barbu (un mage ?), se tiennent debout à droite d’une sorte de niche architecturale, dont le montant visible est surmonté d’un protomé4 de taureau ; de la main droite ouverte et étendue, les deux Perses miment un geste rituel ; ils tiennent dans la gauche une sorte de fouet, un faisceau de verges, le baresman ; devant eux une tête de taureau et une de bélier sont déposées sur un amas de brindilles. On retrouve ici un détail noté par Strabon : les deux personnages, le mage et son compagnon, ont ramené devant leur bouche les barbes de leur tiare. Ce bas-relief est de la fin du Ve avant notre ère, et il est probablement l’œuvre d’artistes grecs travaillant pour les Perses. Aucun sacrifice ne pouvait être accompli sans l’office des mages qui suivaient l’armée pour les célébrer. Ils interprétaient les songes, prenaient part au couronnement d’un nouveau roi, étaient chargés de l’éducation des jeunes princes et gardaient les tombeaux, tel celui de Cyrus le Grand à Pasargadès5. Un passage de Tacite nous indique qu’au cours d’une cérémonie « préliminaire » qui eut lieu en Arménie, Tindate déposa sa couronne aux pieds d’une statue de Néron et qu’il fit ce geste symbolique « après avoir suivant l’usage, immolé des victimes ». Ce qui prouverait que les sacrifices sanglants existaient en Iran au Ie siècle de notre ère et faisaient partie des rites religieux de la famille royale, ce qui était contraire aux préceptes du zoroastrisme qui s’éleva avec force contre l’immolation des animaux. La religion de Mithra se répand en Europe à la suite des campagnes orientales de Pompée, et Julien l’Apostat6 tenta de le substituer à la religion officielle en célébrant les mystères de ce culte dans son palais de Constantinople. Le mithriacisme est resté avant tout un culte militaire transmis par les auxiliaires orientaux de l’armée romaine et favorisé par les empereurs.

3 Orthographe incertaine. Peut-être Éregli ou Héraclée du Pont. 4 Représentation de la partie antérieure du corps de l’homme ou de l’animal. Rôle décoratif ou symbolique. En Iran, nombreux vases zoomorphiques de ce type. En Grèce, il figure parmi les rhytons. 5 La capitale, aujourd’hui, Mourghab. 6 L’Empire romain évolue vers l’Empire byzantin. Julien interrompit un temps la christianisation de Constantin pour revenir au paganisme. Initié aux mystères païens, il pratique avec passion la « théurgie » ou rites magiques destinés à agir sur les dieux.

Les bas-reliefs mithriaques représentant un homme coiffé du bonnet phrygien, jugulant un taureau, ont été trouvés dans nombre de contrées, notamment à Paris et tout récemment à Capoue. En 307, Dioclétien, Galère et Licinius, réunis à Carnutum7, restaurèrent un temple de Mithra et son culte se propagea dans les provinces les plus éloignées de l’Empire romain et les monuments qui lui étaient dédiés furent innombrables. Qui était donc cette religion qui a connu de si beaux succès ? Cette religion formée en Asie Mineure et en Mésopotamie n’est plus complètement iranienne : à l’époque romaine, la Chaldée était la « terre sainte » des mithriastes. Mithra avait un temple à Babylone et Antiochus 1er de Commagène8 lui avait élevé une statue à Nimroûd-Dagh (69 av. J.-C.). Toutefois, à raison de son origine, il est utile de dire un mot à propos des Arsacides. Des colonies de mages, émigrés de Babylone, vivaient obscurément en Asie Mineure, surtout en Cappadoce et dans le Pont, où l’aristocratie foncière était d’origine iranienne, comme le montre la fréquence du nom de Mithradate chez les dynastes de ces contrées. Dans le bas-relief de Nimroûd-Dagh9, Darius 1er s’est fait représenter face à Mithra qui lui tend la main en signe d’alliance, motif qui figure plus d’une fois sur les monuments des Sassanides (succédant aux Arsacides). Ce long séjour des prêtres du feu dans l’ancienne capitale de la Chaldée explique la juxtaposition d’éléments iraniens et sémitiques (astrolâtrie chaldéenne) qu’offre le mithriacisme. Le Mithra de l’Avesta ne nous présente qu’une partie des éléments dont est sortie la divinité, le sol invictus qui a tant de succès dans l’Empire romain. Les fidèles du dieu se sont souvent établis pour pratiquer leur culte dans des excavations rocheuses et ils ont de préférence choisi pour leurs sanctuaires les endroits où jaillissait une source ou du moins où l’eau coulait à proximité. 7 Sur le Danube. Point central des opérations militaires romaines en Pannonie contre la Germanie et par voie de conséquence, diffusion du culte de Mithra par les soldats. 8 Ancienne province de Syrie, de l’Empire Séleucide puis de l’Empire Romain. 9 L’inscription porte les noms d’Apollon, Mithra, Hélios, Hermès. Mithra se situe entre les dieux d’En-Haut et ceux d’En-Bas. Dans l’abside du temple, on érigeait un bas-relief représentant Mithra tauroctone, c’est-à-dire, tueur de taureau : Mithra domptait la bête sauvage et l’entraînait dans son antre en la tirant par les pattes de derrière, puis la mettait à mort en lui plongeant un large poignard dans le cœur. L’ordre lui en était donné par le soleil et transmis par le Corbeau, et du corps de la victime jaillissaient toutes les espèces de végétaux. Saint Jérôme savait que le culte comprenait sept degrés d’initiation. Il n’y avait pas de livres sacrés, mais les mages se transmettaient oralement leurs traditions religieuses. Pour passer d’un degré à l’autre, on devait se soumettre à certaines épreuves : yeux bandés, mains attachées avec des boyaux de poulet, il fallait sauter au-dessus d’une fosse remplie d’eau, puis un « libérateur » venait couper ces liens bizarres.

Tertullien nous apprend qu’au myste10 promu au rang de miles ou soldat, on présentait une couronne qu’il repoussait d’une main et désormais renonçait à en porter jamais car elle appartenait à Mithra, le dieu Invincible. Les grades s’appelaient le Corbeau, l’Époux, le Soldat, le Lion, le Perse (Héliodromus) et le Courrier d’Hélios, le Père. Lors des cérémonies, les masques portés caractérisaient ces différents dignitaires comme représentés sur le bas-relief découvert à Konjica en Bosnie.

Ce culte fut peu connu en Perse où cependant, on trouve la trace d’une fête appelée Mithrakâme qui est devenue l’équinoxe d’automne, Mihridjâm pour les Persans modernes, mais cette célébration n’a pas suivi le culte dans ses pérégrinations à travers l’Europe et l’Afrique du Nord. L’espérance d’une immortalité glorieuse réservée aux initiés a certainement exercé sur eux un grand attrait et contribué à la diffusion des mystères. La haute valeur de leur morale, qui favorisait l’action et en qui l’on trouvait un soutien efficace dans les luttes de la vie, a sûrement aidé à leur succès. Cependant, le mithriacisme est resté avant tout un culte militaire. Ce fut au IIe siècle que les Romains adoptèrent le culte parthique de Mithra qui sortait de la religion dualiste de l’ancienne Perse, le mazdéisme11 et ses dieux, Ormuzd, dieu du Bien et Ahriman, dieu du Mal. 10 Du grec mustès, initié. Mithra était l’intermédiaire, le Mésitès, qui menait l’humanité vers le dieu suprême en lutte contre les forces du dieu mauvais. Pour cela, il organisait ses fidèles en une véritable armée, caractérisée par une hiérarchie développée, les cérémonies s’accomplissaient dans les sanctuaires, les mithræa, à la lumière des torches12. Le culte était célébré en vertu de l’assimilation de Mithra au dieu soleil —Mithra, sol invinctus, le jour de la semaine astrologique consacré à cet astre, le dies solis. On faisait passer les néophytes par toute une série d’épreuves destinées à s’assurer de leur courage.

C’était donc une véritable religion de soldats, active et courageuse qui complétait admirablement la religion féminine de la Mère, et très souvent, dans une même famille, le mari assistait aux cérémonies du culte de Mithra tandis que la femme fréquentait le temple de la Grande Mère. L’adoption du culte de Mithra a préparé la voie également aux divinités solaires syriaques qui furent les derniers à recevoir le droit de cité à Rome avant l’adoption du christianisme. Par l’afflux croissant des « Barbares » d’Asie dans les légions romaines, le culte solaire de Mithra balança un moment la fortune du christianisme aux premiers siècles de notre ère.

Le dieu Mithra est l’un des plus anciens dont le nom survit dans l’histoire antérieure à la séparation des Perses et des Hindous. Il est à la fois des « Védas » et de « l’Avesta ». Il y a plus de quinze siècles, on le vit régner des bouches du Gange à la Mauritanie, aux Gaules, à la Grande Bretagne, mais du monde gréco-romain au Ier siècle de notre ère, il était encore à peu près inconnu. Ce fut au Ve siècle qu’il disparut totalement, et Ernest Renan affirme que : « Si le Christ eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été mithriaste » Max Muller avait déjà pu écrire que, « Sans la victoire de Salamine, notre culte eût été sans doute zoroastrien ». Rien ne montre mieux à quels événements d’humaine contingence est attaché le sort des dieux. 11 Le mazdéisme, religion traditionnelle en Perse, tel qu’on le trouve dans l’Avesta (livres sacrés de la religion zoroastrienne) perpétué chez les Zoroastriens de l’Inde (parsis) et en Iran (guèbres). 12 Cautès quand elles étaient levées, Cautapès, baissées.

Notons que la grande stèle du Louvre, dont les répliques ne sont pas rares, nous montre le sacrifice mithriaque du taureau zodiacal dont le sang doit assurer la vie éternelle aux justes ressuscités.

C’est dans l’astrolâtrie des Chaldéens de Babylone que Mithra reçut l’initiation d’une divinité solaire ; aussi ses mystères furent-ils de symbolisme astronomique importé du Pont-Euxin, sous Auguste, par des pirates faits prisonniers sur les côtes de Cilicie. Il connut la misère des bas-fonds de Rome comme le christianisme à ses débuts. Mithra, dont Julien l’Apostat fut en somme le plus brillant disciple, nous apportait un culte monothéiste où l’astre de lumière finit par s’élever au rang d’une représentation de l’Invisible ; il excluait les femmes auxquelles le christianisme préparait une belle revanche avec sa vierge Marie, importée d’Asie. La puissance de la séduction féminine devait finalement maîtriser les cœurs. La totale déroute du mithriacisme fut aussi soudaine qu’avait été sa conquête, et l’heureux Mithra n’eut pas le temps de choir dans les violences d’une sauvagerie cultuelle : le « soleil roi » du malheureux Julien avec ses anges et sa « théurgie »13 ne furent que la dernière contre offensive d’une conquête sans lendemain. Le temple découvert à Doura, avec ses 250 incrustations, ses longues séries de tableaux et tout son dispositif cultuel, satisfait entièrement notre curiosité. Et l’on s’aperçoit que le mithraïsme, mithracisme ou mithriacisme doit son extraordinaire succès au parallélisme frappant qu’il offre avec le christianisme ! 13 Du grec théourgia, sens du merveilleux, magie par laquelle on se met en rapport avec les divinités bienfaisantes.