NAISSANCE, APOGÉE,  DECLIN, MORT,  ET RENAISSANCE

 

 

 

 

Quand on procède à l’étude comparée des civilisations, on s’aperçoit  que, comme disait Paul Valéry, toutes sont mortelles. Il en va de même des cultures au sein des macro-civilisations. Les langues, les formes d’art et les techniques n’échappent pas à un cycle quaternaire, et la vie humaine non plus, à l’image du cycle solaire des saisons et des jours : 1. Naissance/ Enfance/ Printemps/ Aube. 2. Jeunesse/ Apogée/ Été/ Midi ; 3. Âge mur/ Début du déclin encore invisible/ Automne/ Soir et crépuscule ; 4. Vieillesse/ Déclin puis disparition/  Hiver/ Minuit.

 

 

L’homme est parti prenant de la nature et suit donc (individuellement et collectivement) la même évolution cyclique que l’univers lui-même, les galaxies, les étoiles ( qui ont, elles aussi, quatre phases de vie), les planètes, et tous les organismes vivants, des bactéries aux vertébrés supérieurs en passant par les plantes.

 

 

 

 

La conception linéaire et progressiste de l’histoire, qui est toujours dominante, est cependant battue en brèche. Le premier à l’avoir mise en cause fut Oswald Spengler en 1921 dans Le déclin de l’Occident. Toute civilisation connaît une naissance et une chute. Mais une nouvelle civilisation prend le relais et sa “graine” existe déjà au moment de la quatrième phase (décadence) de l’ancienne civilisation.

 

 

 

 

Mais il faut affiner la notion de civilisation. Exactement comme les cycles économiques s’interpénètrent entre petits, moyens et grands cycles , les macro-civilisations (par exemple la civilisation européenne) sont à la fois une succession de méso-civilisations (Antiquité hellénique, Empire romain, Chrétienté médiévale, Temps modernes) qui, elles aussi, connaissent le cycle quaternaire de la naissance à la mort , et aussi une juxtaposition de nations et de cultures proches elles aussi soumises à la même loi.

 

 

Mais il ne faut pas oublier aussi qu’il existe une civilisation humaine ( super-macro-civilisation), qui n’était pas perceptible jusqu’au XXe siècle, mais qui devient une évidence  aujourd’hui avec la mondialisation et l’unification par la technique. Cette civilisation humaine, ou civilisation de la planète Terre, n’a cessé de croître (notamment démographiquement et techniquement) depuis le néolithique. Peut être d’ailleurs d’autres l’ont-elles précédée.  Or, à beaucoup d’indices, on peut estimer que cette civilisation humaine planétaire (qui, en fait, a été morphologiquement absorbée par la civilisation occidentale) ne continuera pas éternellement sa progression et qu’elle vit peut-être aujourd’hui son dernier âge.

 

 

 

Or la mentalité progressiste nous fait croire au miracle. Elle prétend que la civilisation mondiale actuelle va continuer au XXIe siècle une progression semblable à ce qu’elle avait connu au cours des siècles précédents. Alors qu’un effondrement est parfaitement possible, avec la convergence de plusieurs catastrophes , comme l’épuisement des ressources fossiles, la montée d’affrontements ethniques, religieux, nationalistes à l’échelle planétaire, une modification climatique, etc.

 

 

 

 

La variable d’ajustement serait la population humaine. Il est parfaitement envisageable qu’après un cataclysme, l’humanité de 2050 soit divisée par quatre ou cinq et que l’on retrouve un niveau technologique et un niveau de vie d’avant la révolution industrielle du XIXe. Sur ces bases, une nouvelle civilisation repartirait que des ruines de la précédente, pour une nouvelle aventure.

 

 

Mais ce sont les mythes fondateurs qui président à la naissance d’une civilisation, c’est-à-dire des valeurs sacralisées. La force du mythe peut être comparée à celle, immobile, du soleil. Sa force décline pendant l’hiver et renaît lentement au solstice d’hiver, pour atteindre son apogée au cours du solstice d’été et décliner de nouveau. Voici le cycle de la vie des mythes.

 

 

Phase 1. Hiver. . Les mythes fondateurs d’une nouvelle civilisation naissent  au moment de la mort d’une civilisation précédente, au cours de son hiver. La nouvelle n’est encore qu’une graine, invisible dans la confusion du chaos qui emporte la civilisation en train de mourir. La puissance condensée du nouveau mythe est  portée par des “hommes-semence”, souvent des visionnaires. Ce virage peut être enthousiasmant ou douloureux, car certains restent avec nostalgie attachés aux formes du passé, les conservateurs crispés et larmoyants, tandis que d’autres se lancent dans l’aventure, afin de construire un nouveau monde.

 

 

 

 

Phase 2. Printemps. La graine a donné naissance à des racines qui commencent à sortir de terre, c’est-à-dire à devenir visible sur l scène de l’histoire. Le mythe, en plein expansion dans le psychisme collectif, commence à irradier et à rassembler autour de lui des hommes et des femmes de pus en plus nombreux.

 

 

 

 

Phase 3 Été.  La civilisation, comme la plante au cœur de l’été, atteint son apogée et multiplie son feuillage, développe toutes les réalisations concrètes qui n’étaient jusqu’ici qu’embryonnaires. La culture de la civilisation à son apogée intègre toutes les facettes de l’activité humaine : arts, science, force économique et militaire, politique ( en bien ou en mal) ; tout est relié à un sommet, dont l’apogée est la sagesse et l’harmonie.  La hauteur et la durée de cette pyramide civilisationnelle dépendent de son enracinement dans l’expérience passée et sa capacité à réaliser l’idéal de son propre mythe.

 

 

 

 

Phase 4. Automne.

L’énergie mythique finit par s’épuiser lentement et décroître, de même que dans la nature, la belle saison n’est pas éternelle. On croit de moins en moins dans les valeurs fondatrices de la civilisation, on les brocarde, on les tourne en dérision. Pourtant, dans cette période de crise permanente, de perte des repères, les créations et les réalisations se multiplient, souvent de manière frénétique, mais elles ne sont éclairées par aucun soleil glorieux, par aucune lumière intérieur, par aucune sincérité. 

 

 

 

Elles deviennent compliquées, baroques, dépourvues de sens. Les œuvres de la civilisation n’ont plus d’âme. Les élites sont en proie au cynisme et au nihilisme. Tout vaut tout, donc rien ne vaut plus rien   Les mythes fondateurs se désagrègent et la civilisation, même encore d’apparence brillante et puissante, n’est plus qu’un grand navire sans pilote qui finira sa course sur les récifs, ou comme un immense chêne dont la sève est desséchée, les racines en putréfaction et que la première tempête abattra.

 

 

C’est peut-être l’état dans lequel se trouve aujourd’hui notre propre civilisation.

En tout cas, la désincarnation du mythe est une perte de connexion avec l’idéal fondateur. Il provoque un effondrement de la pyramide. Les quatre côtés se mettent à diverger et à s’opposer.

 

 

 

L’homme, de plus en plus spécialisé et ayant perdu le sens de l’ensemble, perd toute foi en l’avenir, devient pessimiste, angoissé, cynique, égoïste, irresponsable. La Cité n’est plus qu’une machinerie dont on essaie de profiter et non plus un être vivat auquel on participe. La pyramide se désagrège, l’arbre meurt, mais déjà, arrive l’hiver, la transition salvatrice, car une nouvelle graine a été semée, et l’immense majorité ne le sait pas encore. 

Yann-Ber TILLENON