Bouchra NAÏRI à KERVREIZH

LE MAROC, CREUSET DE CIVILISATIONS Pays carrefour entre l'Afrique sub-saharienne, l'Europe et le Proche-Orient, le Maroc n'a jamais pu vivre coupé du reste du monde malgré ses barrières naturelles. La position stratégique du Maroc, à l'entrée de la Méditerranée, a tantôt favorisé son expansion, tantôt suscité des convoitises.

Confluent de civilisations, le pays a plié sous les coups de nombreux envahisseurs (Phéniciens, Carthaginois, Romains, Arabes, Portugais...) mais a toujours su préserver l'essentiel de sa personnalité en s'adaptant. Cette personnalité plurielle, ouverte sur le monde, se reflète dans la pluralité des langues, la diversité des oeuvres et des genres, des styles et des courants qui composent les écritures marocaines.

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Yann-Ber TILLENON. KERVREIZH.

LE FONDS IMMEMORIAL La tradition orale : les écritures populaires La littérature en arabe parlé et en berbère est une création collective qui traduit le vécu marocain avec plus de vigueur que la langue écrite. Mais elle a aussi ses limites : quand s'éteint une mémoire d'ancien, c'est tout un patrimoine qui disparaît.

La littérature orale a principalement pour thèmes la résistance (face au pouvoir de la force, du dogme, de l'argent, des puissances naturelles), la transmission des visions communautaires du monde ou le divertissement. Ses genres sont divers : contes, fables, noukat (historiettes de satire sociale ou politique), dictons, devinettes, chants d'amour et de travail...

La tradition orale : les écritures raffinées La littérature orale s'exprime aussi dans un registre recherché d'arabe parlé et de berbère. Les joutes oratoires et les poèmes chantés improvisés des aèdes berbères (inedamn) ou le melhoun (héritier du zajal andalou à l'origine des chants des troubadours occitans) sont des joyaux de cette tradition littéraire au style très étudié.

Le melhoun, satire ou chant d'amour platonique, érotique ou mystique a prospéré dès le XVIe siècle. Ces pièces sont déclamées ou chantées. Les auteurs les plus connus sont Meghraoui, Ali Baghdadi, le sultan Moulay Abdelhafid, Alami, Al Majdoub. Les écrivains contemporains puisent leur inspiration à ce fonds. Les hommes de théâtre, les cinéastes et les chanteurs popularisent ainsi leur art.

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Yann-Ber TILLENON. KERVREIZH.

LE PASSE LITTERAIRE De l'antiquité à nos jours : une littérature plurilingue Le passé littéraire du Maroc remonte à l'Antiquité. Juba II et Fronton écrivaient en grec, Himpsal II en punique, Apulée et Saint Augustin en latin. La littérature marocaine écrite en arabe remonte au VIIIe siècle. Le terme al adab qui correspond au français littérature englobait aussi les sciences humaines et sociales, la théologie et le droit.

On citera le diwan ou recueil de poésies, la rihla ou relation de voyage, la qaçida ou poème didactique, les mémoires et la biographie en prose rimée. Les textes en arabe circulaient uniquement sous forme de manuscrits. Beaucoup ont été perdus ou ont disparu dans des bibliothèques privées. Mais certains ont été lithographiés à Fès ou traduits en langues européennes à la fin du XIXe siècle.

La littérature " marocaine " des Français L'ouverture du Maroc à la modernité européenne suscita une littérature de voyageurs et d'écrivains. Trois auteurs vont construire durablement l'image française du Maroc : Loti, Chevrillon et les frères Tharaud. Cette littérature va bien au delà d'une littérature d'escale.

La recherche d'authenticité des auteurs passe par la transcription d'expériences vécues au contact de la société marocaine. Il s'agit aussi de décrypter l' " âme " de la société marocaine. Joseph Lavieux est un pionnier de cette littérature. Figurent aussi les noms de Maurice Le Glay, Paul Odinot, René Euloge, Madeleine Barrère-Affre. Plusieurs de leurs oeuvres recevront le Grand prix littéraire du Maroc créé en 1925. En 1933 sera créée à Casablanca la collection " les romans marocains ".

Le plus célèbre ouvrage de la collection est Sahara de Charles Diego Brosset. Toutefois deux enseignants français qui s'installent au Maroc dans les années trente vont conquérir la notoriété littéraire et favoriser le dépassement de la littérature coloniale : Henri Bosco et François Bonjean. La littérature marocaine de langue française De l'exotisme à l'affirmation de soi L'exotisme de la littérature coloniale a rendu inéluctable l'apparition d'une production nationale de langue française.

Ces écrivains, désireux de présenter leur propre vision de leur société ont d'abord produit des oeuvres destinées au public français, seul susceptible de lire alors leurs écrits. Le premier roman est celui d'Abdelkader Chatt (1932) : Mosaïques ternies. Viennent ensuite les textes plus connus d'Ahmed Sefrioui. Une place particulière doit être faite à Driss Chraibi, qui avec Le passé simple inscrit la littérature marocaine dans la modernité.

Un tournant littéraire : le temps des revues-de nouveaux souffles Du milieu des années soixante à celui des années soixante-dix la vie littéraire est portée par les revues : Eaux-vives (1965), Souffles (1966-1972), Intégral (1971-1978). La revue Souffles est une pépinière d'écrivains qui s'engagent dans une écriture virulente qui combat le conformisme social et politique. Abdellatif Laabi et Mohammed Khair-Eddine sont l'âme de ce mouvement.

Un autre courant, moins politique mais se reconnaissant dans la révolution des formes lancée par Souffles est illustré par Abdelkébir Khatibi et Tahar Ben Jelloun. La dernière vague : la fin de l'utopie collective Au début des années 80, la fonction sociale de l'écrivain change : l'écriture est d'abord l'aboutissement d'une trajectoire personnelle. Edmond Amrane El Maleh et Abdelhak Serhane assurent la transition.

Depuis une dizaine d'années émergent de nombreux jeunes auteurs. L'un des plus prometteurs est Fouad Laroui. Langues et écriture : l'écueil du passage à l'écrit Du fait de l'oralité des langues usuelles (variantes régionales d'arabe parlé et de berbère), la littérature marocaine écrite est obligée, encore aujourd'hui, de passer par l'intermédiaire de l'arabe classique ou du français.

En dehors de la littérature populaire, seuls le cinéma et le théâtre peuvent employer l'arabe parlé ou le berbère car ils n'ont pas à gérer le passage à l'écrit. La littérature contemporaine de langue arabe Une révolution stylistique L'arabe classique a survécu grâce aux écrits des lettrés : théologiens, jurisconsultes, grands voyageurs diffusés dans des cercles étroits.

Les écrivains marocains contemporains cherchent à transformer la langue en y intégrant l'imaginaire et le parler populaires, la vie quotidienne. On retrouve ainsi l'arabe parlé dans les romans de Baqqali, Berrada, Ghallab. Les précurseurs du genre romanesque Dans les années quarante, des récits courts sont publiés.

Ce sont les précurseurs de la littérature de fiction contemporaine. Le premier roman marocain de langue arabe est celui de Abdelmajid Benjelloun : Durant l'enfance. Le réalisme social C'est la nouvelle qui va préparer écrivains et lecteurs au roman.

Le roman arrive à maturité avec Nous avons enterré le passé et Maître Ali de Abdelkrim Ghallab, œuvre de réalisme social qui parle des revendications du milieu citadin composé d'artisans et d'ouvriers déchirés entre tradition et modernité, entre Orient et Occident.

On peut aussi citer Moubarak Rabi qui décrit un paysannat privé de terre, Abdallah Laroui et Mohamed Berrada. L'expressionnisme Certains auteurs choisissent la nouvelle pour décrire sans complaisance une réalité vécue par les couches sociales exclues du développement. Le chef de file est Mohamed Zafzaf (L'œuf du coq, Le roi des Djinns).

Ces écrivains utilisent souvent la métaphore. Quelques trajectoires singulières Quelques auteurs sont à part : Mohamed Aziz Lahbabi, seul écrivain à avoir publié des textes littéraires en français et en arabe ; Ahmed Abdeslam Baqqali bilingue arabe-anglais qui a introduit le roman de science-fiction ; Mohamed Choukri autodidacte qui a fréquenté Jean Genêt, Tennessee Williams, Paul Bowles.

L'émergence d'une édition locale Aujourd'hui l'édition marocaine l'emporte en quantité sur ce qui est publié à l'étranger. La frontière n'est plus étanche entre la littérature écrite en français et la littérature écrite en arabe.

L'approche est moins passionnelle. Le phénomène de traductions croisées contribue à décloisonner une production accrue dans les deux langues grâce à de nouvelles maisons d'édition. En même temps l'alphabétisation de la population s'amplifie, permettant à un public croissant de lire en version originale les oeuvres.

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Yann-Ber TILLENON. KERVREIZH.

LES BERBERES Quelques notions générales Les Berbères constituent en Afrique du Nord un groupe culturel spécifique dont le caractère distinctif essentiel est la langue. Les découvertes archéologiques et la toponymie semblent attester que les Berbères ont occupé de tous temps le Nord de l'Afrique dont ils constituent les populations autochtones.

La langue et le système d'écriture des Berbères comptent parmi les plus anciens du bassin méditerranéen. Les Berbères sont répartis sur un territoire de près de 5 millions de km2 de la frontière égypto-libyenne aux îles Canaries et de la Méditerranée jusqu'au fleuve Niger et au-delà. Les régions berbérophones sont discontinues et entourées au Maghreb de populations arabophones.

Il y a près de 20 millions de berbérophones. Au Maroc ils représentent plus de la moitié de la population locale. Les parlers berbères forment l'une des branches de la famille chamito-sémitique. Il n'existe pas une seule langue commune à l'ensemble des groupes berbérophones.

Cependant l'unité structurelle du berbère est indéniable même si on trouve plusieurs variétés linguistiques correspondant à chaque région où il est parlé (touareg, kabyle, rifain...). Le berbère n'est officiel dans aucun pays d'Afrique du Nord. On a vu apparaître ces vingt dernières années une prise de conscience identitaire berbère.

Une solidarité internationale a pris forme, et de nombreuses associations ont été créées. Un long processus d'unification de la langue est en marche pour le passage à l'écrit de la langue de tradition orale et pour son enseignement. Littérature et chants berbères La production littéraire berbère sous une forme écrite ne représente qu'une faible partie des littératures berbères qui sont essentiellement orales.

La littérature culmine dans la poésie, manifestation souveraine liée au chant. Le rôle de la femme est essentiel dans la transmission de cette littérature. L'une des grandes difficultés consiste à transcrire cette littérature. Au Maroc Il existe deux groupes linguistiques au Maroc : le premier est formé par les parlers tamazight du Moyen Atlas, tachelhit du sud-ouest marocain, et ghomara de la région de Tétouan ; le second par les parlers zénètes du nord et du nord-ouest et de Figuig.

Dans les hautes vallées montagnardes, le berbère est la langue de tous les jours. Pour ceux qui vivent en milieu urbain, elle est la langue de l'intime, de l'humour, la langue de la créativité. Le roi du Maroc a pris position en 1994 en faveur de l'enseignement des dialectes berbères.

On constate aussi une augmentation de la production écrite avec davantage de titres berbères, recueils de poésies, journaux ou revues produites par les associations amazighes. Tamazight, le premier hebdomadaire berbère a vu le jour en janvier 1999. Arsène Roux Arsène Roux (1893-1971) s'inscrit dans la lignée de scientifiques qui ont animé les études berbères au Maroc durant la première moitié du XX° siècle.

Il s'intéressait particulièrement à la poésie populaire berbère, soucieux à la fois de conserver un patrimoine littéraire oral menacé et d'éveiller des vocations pour que d'autres continuent son œuvre. Il fut le premier directeur du collège d'Azrou (1927-1936). Entre 1915 et 1940, il a recueilli de nombreux spécimens de la littérature populaire du Maroc, en arabe dialectal et en berbère. Plus tard, directeur des études de dialectologie berbère à l'Institut des Hautes Etudes Marocaines, il enseigna le berbère aux officiers des Affaires indigènes qui recueilleront des données linguistiques directement auprès de la population berbère.

La bibliothèque d'Arsène Roux est conservée à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM). La partie la plus précieuse est constituée par une collection de manuscrits arabes et berbères du XVIe au XXe siècle qu'Arsène Roux a collecté toute sa vie au Maroc et qui constituent une collection unique au monde. On trouve également dans ce fonds de nombreux documents manuscrits dont l'essentiel est constitué par des recueils de tradition orale berbère du Maroc.

Textes poétiques en tachelhit du fonds Roux Je te demande une fleur, ô maître des jardins, Car mon cœur est plein d'amour. Amène, ô rigole, de l'eau douce à la citerne, Pour que le chemin conduise l'amant qui vient y puiser. Poèmes, devinettes, proverbes en tachelhit Ce vent est nouveau, préparez-vous à la neige. J'ai mis en garde celui qui est monté au col pour y passer la nuit L'homme raisonnable doit quitter la région où jaillissent les torrents, Tant que le grondement de l'orage ne s'est pas calmé.

Si tu marches, elle marche ; si tu t'arrêtes, elle s'arrête, elle te suit toujours ? L'ombre En marchant, il porte une petite serpe ? Le scorpion Il est chez nous un champ que nous n'arrosons que lorsque nous voulons en faire la moisson ? La chevelure L'ignorance est semblable à une mauvaise chamelle, celui qui la chevauche est perdu J'ai demandé, ô yeux noirs, ô colombe à la fenêtre, De n'être pas blessé, tant que mon désir ne s'est pas enfui.

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Yann-Ber TILLENON. KERVREIZH.