Oumaro Racama raconte...
3 Données historiques
À partir du Ier millénaire de notre ère, des Berbères nomades venus du Nord, possesseurs de chevaux et de chameaux, s'installèrent dans cette région en voie de désertification. Ils assujettirent les agriculteurs noirs, qui devinrent leurs esclaves. Les Berbères furent à leur tour assujettis par les Arabes au XVIe siècle. C'est de cette époque que date la structuration en castes de la société mauritanienne: au sommet, on trouvait les Berbères — les lettrés et marabouts (ou commerçants) — et les Arabes (les guerriers). Ensuite, c'étaient les esclaves noirs (les Haratines) auxquels étaient dévolues les tâches agricoles. L'arabe intégra les dialectes berbères pour former l'arabe hassanya, la langue de la majorité des habitants de ce pays.
Les Français pénétrèrent dans le pays en 1858 et l'administrèrent à partir de Saint-Louis (aujourd'hui au Sénégal). La Mauritanie est devenue une colonie française en 1920 et fut rattachée à l'Afrique occidentale française. Elle devint un territoire d’outre-mer en 1946. L'esclavage traditionnel fut officiellement aboli, mais demeura ancré dans les mentalités mauritaniennes.
En 1957, la ville de Nouakchott devint la capitale mauritanienne en lieu et place de Saint-Louis faisant alors partie du Sénégal. L'indépendance de la Mauritanie fut proclamée le 28 novembre 1960 malgré l'opposition du Maroc et de la Ligue arabe unie, qui prétendirent que le pays faisait «partie intégrante du Maroc» et refusèrent de reconnaître l'existence même du nouvel État. En 1970, la signature d'un traité à Casablanca mit un terme aux revendications marocaines. Trois ans plus tard, la Mauritanie intégrait la Ligue arabe unie.
Suite à une longue période de sécheresse durant les années soixante-dix, les populations nomades maures et sédentaires noires durent affluer vers les villes, ce fut le début des tensions ethniques. Le pays connut une suite de coups d'État à partir de 1980 dont certains ont eu pour effet de favoriser les Maures, d'autres, les Négro-Africains. En 1989, des revendications pour un meilleur équilibre en faveur du groupe négro-africain entraînèrent une forte tension avec le Sénégal: des dizaines de milliers d'éleveurs noirs furent expulsés vers le Sénégal, qui renvoya parallèlement dans leur pays 100 000 Mauritaniens vivant au Sénégal.
Pendant ce temps, les communautés maures et négro-africaines s'affrontaient violemment et dégénérèrent en émeutes raciales. En 1990, à la suite d'incidents demeurés encore obscurs aujourd'hui, plusieurs centaines de cadres militaires négro-africains furent arrêtés, sinon torturés, et un grand nombre exécutés. Critiqué par la communauté internationale pour son non-respect des droits de l'homme, le gouvernement mauritanien fit promulguer une nouvelle Constitution en 1991 et instaura officiellement le multipartisme.
Cependant, les institutions démocratiques sont restées rudimentaires en Mauritanie. Ainsi, les ethnies négro-africaines sont encore très sous-représentées dans la vie politique, administrative et militaire du pays. Les forces de l'ordre et la brutalité policière semblent faire partie intégrante d'une façon de gouverner en Mauritanie.
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Yann-Ber TILLENON. Kêrvreizh
4 La politique linguistique d’arabisation.
Au lendemain de l'indépendance, seul le français avait acquis un statut officiel. En effet, l'article 3 de la Constitution de 1959 reconnaissait le français comme langue officielle du pays, mais l'arabe était retenu avec le statut de langue nationale. La réforme de l'enseignement de 1959 admettait aussi le français et l'arabe comme langues d'enseignement dans toutes les écoles. Comme on peut le deviner, l'arabe dont il est question ici, c'est l'arabe classique et non l'arabe hassanya.
Depuis cette époque, l'arabe classique ou moderne n'a cessé de bénéficier de la politique linguistique de l'État. Dans le domaine de la législation, la loi du 4 mars 1968 fait accéder l'arabe (lequel?) au statut de langue co-officielle avec le français. Dans le domaine de l'éducation, ce sont les réformes de l'enseignement de 1967, de 1973 et de 1978 qui ont renforcé la promotion de l'arabe. Ces réformes faisaient suite à une arabisation progressive et consistaient à augmenter considérablement les horaires d'enseignement et les domaines d'utilisation de la langue, notamment dans l'administration de l'État.
La politique actuelle est restée la même, hormis le fait que le statut du français est officiellement éliminé. Cette politique est résumée essentiellement dans l’article 6 de la Constitution de 1991. Les dispositions constitutionnelles précisent que les langues nationales sont l'arabe, le poular, le soninké et le wolof, et que l’arabe (classique) est la langue officielle:
Article 6
Les langues nationales sont l'arabe, le poular, le soninké et le wolof; la langue officielle est l'arabe.
Dans les faits, cela signifie que l'arabe classique est devenu la langue des lois et la langue des débats du PARLEMENT, ce qui n'interdit pas d'utiliser le français et l'arabe moderne dans ces mêmes débats. D'ailleurs, tous les ministres du gouvernement s'expriment en français lorsqu'ils lisent un discours politique en présence d'interlocuteurs étrangers et francophones, sinon ils le font en arabe classique.
En matière de JUSTICE, le français est couramment utilisé, mais il s'agit presque toujours d'un français local fortement teinté d'arabismes et d'africanismes; l'arabe hassanya est également employé dans les communications orales. Toutefois, les textes écrits sont en arabe classique ou en français.
Dans l'ADMINISTRATION gouvernementale, les langues orales employées avec les citoyens sont le hassanya avec les Maures et le français avec les Négro-Africains. Les textes administratifs officiels sont en arabe classique ou en français.
La situation linguistique dans les établissements d'ENSEIGNEMENT est plus complexe. Dans le nord de la Mauritanie, l'arabe moderne et le français sont enseignés dès le primaire. Dans le Sud, ce sont également l'arabe moderne et le français, mais quelques dizaines de classes expérimentales, gérées par l'Institut des langues nationales de Nouakchott, enseignent aussi le poular, le soninké ou le wolof.
Selon la réglementation en vigueur en Mauritanie, l'élève négro-africain du primaire a le choix entre un enseignement donné soit en français, soit en arabe. La plupart choisissent le français, mais l'apprentissage de l’arabe donne un avantage tant au point de vue religieux qu'au point de vue de la communication avec les Maures: en effet, la connaissance de l'arabe facilitera l'aptitude à utiliser le hassanya avec les Maures.
Au secondaire, seuls l'arabe moderne et le français sont enseignés. L'enseignement supérieur est assuré à la fois en français et en arabe par l'université de Nouakchott (fondée en 1981) et par une école d'administration également située dans la capitale.
Dans la VIE SOCIALE et ÉCONOMIQUE, l'arabe classique et le français dominent le paysage. Comme les quatre langues nationales — hassanya, poular, soninké et wolof — ne jouissent d'aucun prestige, elles sont exclues des domaines de la publicité, des affiches, enseignes et des médias écrits. La plupart des journaux (environ une quarantaine dans le pays) sont en arabe moderne, mais il en existe plusieurs en français.
La radio et la télévision d'État sont en arabe, mais le français local est largement utilisé dans les stations privées, notamment dans le sud du pays. Les transactions commerciales avec les petits commerçants se déroulent normalement en hassanya et en français local dans le Nord, généralement en français local dans le Sud.
La politique linguistique du gouvernement mauritanien favorise l’arabe moderne – et non pas l'arabe classique — aux dépens de toutes les langues nationales: le hassanya, le poular, le soninké et le wolof. Il semble pour le moins insolite que la Constitution ait donné un statut aux langues nationales négro-africaines et non à celle des Maures, pourtant l'ethnie majoritaire au pays.
Au moment de l'indépendance, toute l'Afrique du Nord voulait promouvoir l'arabe classique et c'est pour cette raison que la Mauritanie a probablement choisi elle aussi d'officialiser cette langue. Cependant, cet arabe n'a pas trouvé preneur en Mauritanie, les habitants lui ayant préféré l'arabe moderne et surtout le hassanya.
Pour le moment, toutes les langues nationales subissent les inconvénients de la promotion d'un arabe parlé par personne. C’est pourquoi certains proposent l'adoption d’un multilinguisme stratégique qui exploiterait toutes les ressources linguistiques de la Mauritanie.
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Yann-Ber TILLENON. Kêrvreizh